Pour ma deuxième participation aux ateliers d’écriture dans les bois, animés par Isabelle de Time to C’ink, voici mon texte, retravaillé chez moi.
Pour ce soir d’écriture dans les bois, un extrait d’un texte de Le Clézio a été partagé à haute voix. J’ai naturellement embrayé sur le style tout en y apportant bien sûr ma touche personnelle.
J’ai choisi un arbre, un sapin, et Isabelle m’a offert quelques infos pour guider mon écriture : spiritualité, fluidité du lien, espoir, don, générosité, résistance, résilience
Mon ami l’arbre
Sylvestre, j’ai fait sa connaissance il y a tout juste dix ans. J’avais alors deux ou trois ans et, avec mes parents et ma sœur, nous venions d’emménager chez lui. Enfin, nous avons pris possession des lieux, de la maison et du jardin. Pas de Sylvestre. Sylvestre habite dans le jardin. Il est grand. Il est vert et brun. C’est un sapin. Sylvestre est un immense arbre. Il est le gardien de la maison.
Les précédents locataires nous ont raconté qu’il devait bien avoir 128 ans. Ça peut vivre très vieux un arbre. 128 ans pour un arbre, c’est grandiose ! C’est très vieux, et pas tant que ça. À l’école, j’ai appris que les arbres pouvaient vivre bien plus longtemps. Jusqu’à 4000 ou même 5000 ans. Si on, les humains, on les laissait vivre. Si on ne les coupait pas. Si on les laissait grandir. Si on s’occupait d’eux. Si on les soignait quand ils tombaient malades.
Je veux donc bien croire que Sylvestre a 128 ans. Il est immense. Majestueux. Un vrai roc. Sa cime flirte avec les nuages. Bon, j’exagère un peu, mais il doit bien mesurer une dizaine de mètres de hauteur. Comparé à ma taille de nain de jardin, il a la tête dans les étoiles notre gardien ! Si un enfant peut grandir de 6 à 12 centimètres par an, je peux facilement m’imaginer qu’un arbre dont la croissance est infinie, peut très bien pousser de 12 à 18 centimètres par an. Non ?
Sylvestre, c’est mon ami. Il est mon confident. Mon guide. Conseillé à ses heures perdues, il a un langage qui lui est propre. Une voix caverneuse, gutturale. Il mâche ses mots et les consonnes sont littéralement hachées, voire étouffées, dans ses crissements, dans ses craquements voyellisés.
Il me conseille, il m’accompagne dans la vie de tous les jours. J’avoue ne pas toujours respecter son avis ou ses avertissements. Je ne suis qu’un enfant. Un adolescent buté qui, je le reconnais, ne suis pas facile à vivre tous les jours. Ses conseils, il me les donne quasi tous les soirs, quand, au printemps et en été, quand il ne pleut pas comme vache qui pisse, je peux rester des heures assis à ses pieds. Assis à lui parler, à me confier à lui, à lui poser des questions. Quand il est sûr que de vilaines oreilles ne traînent pas tout près, il me chuchote des mots, il me recommande une action, il m’encourage à faire ou à taire des choses.
Au début, quand nous avons fait connaissance, je ne comprenais vraiment pas bien ce qu’il me baragouinait. Il bredouillait ses sons incompréhensibles à mes oreilles, ses bras branchus en mouvement parasitaient le bruit environnant et couvraient sa voix éraillée, piquante, stridulante. Je me souviens qu’il m’a fallu longtemps avant de le comprendre enfin. Voyez-vous, Sylvestre s’exprime par expressions ! Il répète et répèpète les jeux de mots qu’il entend de-ci, de-là.
Cette maison a été construite dans les années soixante. Elle n’a jamais connu aucune propriétaire, que des locataires. Elle a été construite par un architecte, qui n’y a jamais habité, pas plus que ses enfants ou les enfants de ses enfants. Pourquoi ? Je l’ignore. Toujours est-il que Sylvestre a connu pas moins de douze familles avant la nôtre. Nous sommes la treizième à occuper son territoire. A le voir grandir, s’épanouir, gémir sous le vent et la pluie. Les treizièmes locataires à le côtoyer. Je suppose que toutes ces gens n’étaient pas des spécialistes en expressions, mais en autant d’années, il a certainement dû en entendre des vertes et des pas mûres. Il les a emmagasinés, tous ces jeux de mots et drôleries d’humains, les a mis en aiguilles dans son tronc, les a bien tenus au chaud sous son écorce rugueuse pour pouvoir les ressortir un jour à quelqu’un comme moi qui le comprenait.
Pour vous donner un exemple, voici ce qu’il m’a dit quand j’étais tout petit. C’était la première fois que je l’entendais parler, me parler. Je venais de m’écorcher le genou en tombant sur le chemin de pierre devant la maison. Je pleurais de plus en plus fort, car un petit peu de sang perlait de ma plaie égratignée :
« Sèche donc tes larmes de crocodile, petit, et viens donc voir par ici. »
Sylvestre avait penché sa chevelure verte pour me parler. Du moins, c’est ce que j’en ai en souvenir. Aujourd’hui, je ne suis plus très sûre qu’il ait pu se pencher de la sorte, mais soit.
Évidemment, je n’avais rien compris. Entre ma morve qui coulait, mes yeux humides qui m’empêchaient de bien entendre et ma bouche qui vomissait des cris aigus, j’ai interprété quelque chose comme ça :
« èèèèsse on è aaaame e oo-oo-iile, eu-i, é hein on oi ar i-iii »
Et puis, par je ne sais quel miracle, un lien s’est formé dans ma tête. Un lien, un choc, une ficelle, un déclic, un éclair. Appelez-ça comme vous voulez. J’ai cessé de pleurer immédiatement. Intrigué par cette voix que j’étais, semble-t-il, le seul à entendre. Dans ma tête, une connexion s’est formée. Une traduction automatique. Et j’ai tout compris. Fluide comme si c’était maman qui m’avait consolé. Aussi clair que de l’eau de roche !
Depuis ce jour, lui et moi, on est devenus les meilleurs amis.

Image par WikimediaImages de Pixabay
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Merci Cécile
A toi aussi
Bises et bonne journée
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Merci maman. Oui en effet, d’excellents booster d’énergie 🥰
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Merci Béa 🥰 J’aime beaucoup aussi ce prénom. Belle mi-semaine à toi aussi et douce nuit.
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Coucou une très belle histoire avec ton ami Sylvestre les arbres sont nos amis, nos confident et nos booster d’énergie! Bonne journée bisous
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Quelle très belle histoire avec ton ami Sylvestre… de 128 ans
Grand bravo !
Pour la petite histoire, mon petit-fils, fils de ma fille, qui aura 6 ans le 1er juillet se prénomme Sylvestre… Et son prénom n’a pas été donné par hasard par ses deux parents. J’aime beaucoup son prénom.
Bises Cécile et bon début de semaine
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💚🌲
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