Musa, seule dans le noir

Une petite nouvelle écrite à l’occasion d’un concours dont le thème était « Seule dans le noir ». Nouvelle parue dans mon 1er recueil « Mes animaux imaginaires »

Musa, seule dans le noir

 Dans un quartier retiré de Bruxelles, Musa va vivre une incroyable aventure. Elle est loin de se douter que ce jour va être unique pour elle.

Alors que le temps avance inexorablement, Musa se prélasse dans sa chambre. Entre deux cartons de déménagement, son copain, un petit d’homme, lui a disposé sur une assiette fleurie, la moitié d’une tartine au fromage. Elle adore le fromage, surtout en tranche. Sans prêter attention aux allées et venues du petit d’homme, Musa déguste son dîner. Malheureusement, perdue dans ses pensées, elle ne se rend pas compte que les cartons partent les uns après les autres et elle finit par s’assoupir, le ventre repus. Ce n’est que tard dans la journée qu’elle se rend compte qu’ils sont tous parti.

Musa avait pris l’habitude de les entendre, de les voir passer à côté d’elle. Elle s’était même prise d’affection pour le petit dernier de la famille. Le petit d’homme l’invitait souvent à manger. Elle appréciait moins les autres mais ils étaient une présence rassurante pour elle.

A présent, elle est âgée. Si vieille. Elle n’est plus assez vigilante pour se débrouiller toute seule. Elle a besoin d’aide mais ne sait pas comment la demander. Malgré son âge avancé, elle reste timide. Elle garde en mémoire de vilaines expériences. Depuis ces mésaventures, elle ne va plus vers les autres, ce sont les autres qui viennent à elle.

Cela doit bien faire trois semaines que Musa se doute que quelque chose se prépare mais elle n’arrive pas à comprendre ce qu’il se passe.

 – Mais où sont-ils tous passés ? Ils ne m’ont quand même pas abandonnée sans rien me dire ? Je ne veux pas me retrouver toute seule !

 Dans la maison, tout est vide. Tout est noir. Elle a peur du noir. Elle ne voit plus bien dans la pénombre et elle craint tout ce qu’elle ne distingue pas clairement. Contrairement à ses habitudes, elle ne sortira plus de chez elle que quand il fera jour. Elle devra faire un effort pour lier connaissance avec les autres voisins.

 – Même s’ils n’ont pas l’air très sympathiques, peut-être y a-t-il une autre âme sensible chez eux qui aurait pitié de moi ?

 Seule dans le noir, elle finit par clore ses yeux.

 Le lendemain à l’aube, ses paupières s’ouvrent péniblement. Elle a de plus en plus de mal à dormir toute une nuit. Ses siestes en journée ne sont plus récupératrices. Elle manque d’énergie dès le réveil.

Une nouvelle journée s’annonce. Par la fenêtre de sa chambre, le soleil lui caresse doucement le visage. Elle aime cette chaleur. Elle a besoin des rayons ultraviolets pour ne pas paraître un fantôme. Elle est si pâle.

Avec son poids plume et sa démarche chancelante, elle ne peut survivre longtemps seule. Si elle ne veut pas mourir trop vite, il lui faut trouver de l’aide. Elle chasse les souvenirs traumatisants de harcèlement et se pousse à franchir la porte.  Mais dans le hall d’entrée, un miroir cassé gît sur le sol et arrête sa progression vers l’extérieur. Musa s’assied péniblement à côté des bris et s’observe longuement. C’est bien la première fois qu’elle peut se regarder de la sorte. Jamais auparavant elle n’a pu s’admirer. Si seulement elle avait des lunettes, elle y verrait mieux. Il ne lui reste que six dents. Elle ne sait plus ronger ses griffes qui sont devenues longues avec le temps. Elle a des poils qui lui poussent de partout et elle n’y voit plus goutte.

 – Qui voudrait encore de moi ? A présent, je n’ai plus personne. Plus de copain, plus de famille.

 Contrairement à ses sœurs, elle n’a jamais pu donner naissance à des enfants. Célibataire, elle avait attendu longtemps son prince charmant. Trop exigeante, elle n’avait trouvé le compagnon idéal. Aujourd’hui, plus personne ne se soucie d’elle.

 Elle voudrait mourir…mais elle a peur. Musa a peur de la solitude, de l’inconnu. Peur de l’incertitude de l’au-delà. Il lui faut absolument, coûte que coûte, trouver quelqu’un qui puisse l’aider à passer ses derniers jours de vie, sans angoisse. Peu importe la personne, ça peut être un autre petit d’homme – elle aime beaucoup les enfants, ils sont généreux avec elle, ils jouent et ne s’arrêtent pas à son physique – mais ça peut être aussi un oiseau ou un ange. Du moment qu’on la nourrisse et que l’on passe avec elle d’agréables moments.

Elle se sent si vulnérable et si triste.

 Dehors, les nuages deviennent nombreux. Le vent se lève rapidement. Le soleil a disparu. Les branches des arbres dansent follement. Sur la terrasse, les feuilles tourbillonnent. Plus aucun oiseau ne chante. Des éclairs fendent le ciel devenu gris cendre. L’orage gronde. Il ne pleut pas encore mais ça ne saurait plus tarder. La maison est plongée dans l’obscurité.

Musa ne sait plus se relever. Son arthrose la fait abominablement souffrir. Jamais elle n’aurait dû s’asseoir. Elle ne sait pas atteindre les interrupteurs, jamais elle ne l’a su. C’était le petit d’homme qui allumait tout le temps les lumières chez elle. Mais il n’est plus là. Ni lui ni ses parents ne sont là. Malgré la matinée bien avancée, elle se retrouve quand même dans le noir. Seule.

 – Foutu temps !

 Soudain, Musa entend des petits cris. Elle n’est pas très douée pour identifier d’autres animaux, mais ceux-là, elle les craint. Elle est persuadée que ce sont des rats qu’elle entend. De gros rats bien gras. Eux ils ont toutes leurs dents. A les entendre, ils sont plusieurs. L’union fait la force, dit-on. Elle n’est pas de taille à les affronter. Ce sont des vilaines bêtes, de vrais prédateurs pour elle.

Musa peine à distinguer sa propre image dans le morceau de miroir. Elle n’ose imaginer à quoi ces bestioles peuvent ressembler.

 – Au moins je ne serai pas surprise par leur laideur.

 Hélas, elle risque de ne pas les voir s’approcher d’elle. C’est surtout ça qu’elle craint le plus. Ne pas avoir le temps de leur échapper. Les couinements se rapprochent. Musa tremble. Des frissons parcourent tout son maigre corps. Tous ses poils se hérissent. Elle en est sûre, sa fin va être atroce. Elle peut sentir la maladie suinter de ces horribles bestioles. C’est à ce moment précis que la crainte de souffrir devient plus grande que celle de mourir. Tétanisée par la peur, elle n’arrive plus à bouger le moindre orteil. Musa cherche une astuce pour échapper à cette fin barbare.

 – Et si je faisais la morte ? Passeraient-ils à côté de moi ?

Mais les rats sont omnivores. Ils mangent tout et n’importe quoi, mort ou vif ! Cette ruse ne marchera donc pas.

Musa fait une crise d’angoisse. Elle est prise de palpitations. Son souffle devient rapide et irrégulier. Les rats ne sont plus qu’à quelques mètres d’elle. Ils pourraient l’atteindre en un bon gigantesque, ce dont ils sont capables. A moitié inconsciente, elle pense son heure arrivée quand elle entend une mélodie. Telle le chant d’une flûte, une musique parvient jusqu’à ses vieilles oreilles. Ce qu’elle entend est doux, fluide et léger. Elle se laisse bercer par le son. Ses muscles se relâchent. Avant de s’évanouir, Musa perçoit un drôle d’animal blanc immaculé. Sa vue n’est pas très nette mais il lui semble que l’apparition a les traits de la déesse Sourisa. Cette gracieuse souris vient à elle. Sur sa bouche, repose une longue flûte jaune. Au-dessus de sa tête flotte une couronne d’or.

Dans son délire, Musa continue à parler toute seule :

– Elle est si belle. L’ariette qu’elle joue est si douce…

La divinité continue de jouer de l’instrument. Derrière elle, accourt des centaines et des centaines de petites souris. Toutes rigolent. Certaines dansent. D’autres encore font la course pour attraper l’ennemi. L’une d’entre elles semble même savourer particulièrement ce moment. En tête du cortège des souris, Musa reconnaît sa sœur cadette. Elle pense alors que le paradis l’appelle.

Le nombre incalculable de ces petites souris fait fuir les vilains rats. Sans demander leur reste, les vilaines bêtes prennent leurs pattes à leur cou et s’échappent par le soupirail.

La déesse Sourisa fait un signe de victoire avec l’une de ses pattes avant. Elle a réussi sa mission ; les souris ont gagné. C’est l’euphorie générale.

Dans le hall, une lumière laiteuse apparaît à côté du miroir brisé et illumine toute la maison. Un délicieux parfum de fromage envahit le museau de notre petite Musa. Par l’odeur alléchée, elle recouvre ses esprits. Ne sachant pas si elle est dans la réalité ou au paradis, la petite souris prend la main qu’on lui tend et se relève.


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Auteur : ecrimagine

La lecture, l'écriture, la photographie et l'observation de la nature, sont pour moi de bonnes sources d'apaisement, de relaxation, d'imagination, d'évasion, de partage, de découverte,...

2 réflexions sur « Musa, seule dans le noir »

  1. Coucou Emilie, merci de ta visite sur mon blog :-)) je n’ai rien écrit durant les vacances sauf mes articles d’avis de lecture, je lis, lis et lis pour le moment. Et là, je vais aller faire dodo ha ha
    Gros bisous et à bientôt. Cela m’a fait très plaisir de t’entendre au tél tantôt.

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  2. je vois que tu n’as pas cessé d’écrire durant les vacances… un petit texte de rentrée ? :-)

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