Même les méchants rêvent d’amour

Même les méchants rêvent d’amour, de Anne-Gaëlle Huon.

« Jeannine a 89 ans passés. Elle aime : les bals musette, les costumes des patineuses artistiques et faire un six aux petits chevaux. Elle n’aime pas : le sucre sur le pamplemousse, les films d’horreur et les gens qui postillonnent. Le jour où on lui annonce que sa mémoire s’apprête à mettre les voiles, Jeannine est déterminée à ne pas se laisser faire. Alors elle dresse des listes. Et elle consigne dans un carnet tous les bonheurs qui ont marqué sa vie. Quand Julia, sa petite-fille, la rejoint en Provence, elle découvre ce que sa grand-mère n’a jamais osé raconter. L’histoire d’un secret, d’un mensonge. Julia va tenter de faire la lumière sur les zones d’ombre du récit. Et s’il n’était pas trop tard pour réécrire le passé ? »

Des personnages « entiers » que j’ai pris plaisir à découvrir et avec lesquels j’ai aimé passer un bon moment de lecture. Ce sont ces personnes faites de lettres et de mots qui m’ont donné envie de tout savoir sur leurs histoires, leurs secrets, leurs amours et leurs peines.

C’est pourquoi, j’ai eu envie de vous les présenter ici avec des extraits du livre qui les présentent tour à tour.

Il y a d’abord le personnage principal, Jeannine, la grand-mère de presque 90 ans :
« Sa mémoire, Jeannine se la figure comme une falaise attaquée par les vents. Un rocher qui s’érode à chaque assaut des vagues. Alors depuis un mois, chaque matin après avoir fait un brin de vaisselle et tiré la courtepointe, Jeannine écrit. Devant un portrait de Julia, sa petite-fille, lumière de sa vie. Elle écrit pour qu’elle sache d’où elle vient Et surtout, pour lever le voile sur ces secrets qui la grignotent de l’intérieur. Pour témoigner, transmettre, pardonner aussi peut-être, si tant est que cela soit possible. »

Puis, il y a l’autre personnage principal, Julie, la petite-fille de Jeannine :
« – Et toi, tu as grandi ici ?
– Oui et non, j’ai grandi à Paris. Mais je venais passer toutes mes vacances chez ma grand-mère.
Elle repense à tous ces souvenirs que lui a fabriqués Jeannine, à grand renfort de fous rires et de caresses.
– J’habite à Paris maintenant.
– Tu fais quoi ?
– Elle baisse les yeux vers la table, chercher quelque chose à grignoter.

J’écris.
Ces derniers temps, le moelleux des biscuits et le croquant du chocolat sont les seuls remparts contre ce mal-être un peu diffus qui s’est installé en elle. Une sorte dinquiétude sans objet, un bruit de fond désagréable que seule le sucre semble apaiser. »

Ensuite, il y a Félix, l’assistant de vie de Jeannine :
« – Salut, je suis Félix, l’assistant de vie de Jeannine, dit-il en enlevant son blouson.
Il est jeune, songe Julia en bafouillant son prénom. Et franchement mignon. Un assistant de vie ?
– Ah ! Jeannine m’a beaucoup parlé de toi !
Puis, se penchant vers la vieille dame :
– Je suis passé au marché ! Mme Abello vous a mis de côté un camembert à la truffe, vous m’en direz des nouvelles ! dit-il en ouvrant son sac à dos. Et ça, c’est le saucisson aux olives du vieux Flavio.
Se tournant vers Julia, il chuchote :
– Il a le béguin pour Jeannine, le vieux Flavio !
 »

Et puis il y a aussi cet homme :
« Une fourgonnette s’avance alors. Une vieille 2 CV rafistolée au fil des années et des pots de peinture, un capot vert, un toit bleu ciel. Alors qu’elle s’attend à en voir sortir un vieux boulanger ou un paysan à casquette, la portière s’ouvre sur une barbe de trois jours et deux yeux bruns illuminés par une large fossette. L’homme, quarante ans à peine, fait un signe de tête au vieux Flavio.
(…)
– Je vous fait goûter ?
Elle sursaute. Les yeux bruns et la fossette se sont matérialisés à ses côtés. Si proches qu’il lui semble sentir la caresse de ces longs cils noirs sur sa joue. (…) Julia remarque alors les ongles noirs. La peau mate. Les mains terreuses. Elle n’a vu que des brouillons de mains avant celles-là. Elle lève les yeux et toute la place fait silence, du primeur jusqu’aux tourterelles. Même les cloches de l’église, le vent dans les arbres, jusqu’à l’eau dans la fontaine. »

Mais autour, avec, en accompagnant de-ci-de-là, il y a aussi Eliane, l’infirmière de la maison de repos :
« Une infirmière s’approche, la cinquantaine ronde et joyeuse. On peut entendre pétiller ses yeux. (…)
– Ne vous excusez pas, c’est humain le chagrin, la réconforte Éliane. Le plus dur, c’est pas pour les malades, c’est toujours pour leurs proches. Ils voient cette maison comme une gare avant le grand voyage. Un quai où il faut faire ses adieux. Heureusement, nos résidents ont souvent l’air plus joyeux que leurs visiteurs !
Éliane dégage quelque chose de rassurant, de lumineux. Côtoyer la vieillesse lui a conféré une sagesse, une sérénité que Julia lui envie. »

Et Lucienne, la meilleure amie de Jeannine. Elle est là en second plan, personnage distillé tout au long de l’histoire. Une vieille dame qu’on apprend à connaître depuis qu’elle a trois ans, dont on parle par petites doses, jamais très longtemps, mais qui pourtant l’histoire ne serait rien si elle n’était pas là.

N’oublions pas Madeleine, Gisèle, Pierrot et tous ces autres résidents et soignants de la maison de repos. Nous devons le titre de ce livre grâce à une super Mamie tricoteuse hors pair et philosophe à temps plein !

Ce roman est-il l’histoire d’un secret ?  Non, une histoire de secrets, au pluriel. Une histoire, des histoires d’amour. De la jalousie. De la guerre. De l’amitié. De la famille. Une histoire vivante que je compare un peu avec les deux livres que j’ai lus de Valérie Perrin : Les oubliés du dimanche et Changer l’eau des fleurs. Car dans ces trois livres, on retrouve des histoires fortes qui parlent de la vie, de la vieillesse, de la famille, d’amour, de secrets. D’un temps passé et d’un présent chamboulé, d’un futur incertain.

Le calme avant la tempête

Je joue avec Tisser les Mots, pour la proposition 67.  Une histoire de Temps qui passe, encore et toujours.

Le calme avant la tempête

Tempête, elle s’appelle. Une vraie boule de poils pleine d’énergie. Son quart d’heure de folie pouvait durer une heure, et cela avait lieu deux à trois fois par jour. Tout déménageait à son passage. Les boules de papier, les plumes et autres jouets n’avaient qu’à bien se tenir, car Tempête, quand elle courrait, faisait tout voler sur son passage, même ses longs poils blancs éclatant et ses longues moustaches courbées.
Et puis un jour, Tempête changea ses habitudes. Ses moments de jeux duraient moins longtemps, ils n’avaient lieu plus qu’une seule fois par jour. Son humaine appréciait ce calme tout relatif. Ce silence plus long entre 2 courses poursuites avec le vent, avec la poussière, avec la joie et la jeunesse. Tempête sauta moins haut, mais il n’y avait qu’elle pour le remarquer. Cinq centimètres lui manquaient dorénavant pour sauter du premier coup sur le haut dossier molletonné de la chaise du salon. Alors, pour ne pas se couvrir de ridicule, elle changea son parcours et saute à présent sur le dossier du fauteuil en tissus. Moins haut, meilleure accroche, plus large aussi.
Petit à petit, elle mangeait avec moins d’appétit, moins d’envie, moins d’entrain. Elle n’avait jamais connu la faim grâce aux croquettes disponibles jour et nuit, nuit et jour, jour après jour, semaine après semaine. Cela aussi, il n’y avait qu’elle qui le remarquait. Elle vidait toujours sa gamelle du matin, même si elle mangeait ses 50 grammes de viandes en sauce en trois fois ; quand son humaine partait travailler, la gamelle était nettoyée, comme avant. Comme avant que la vieillesse ne la rattrape. Puis, elle était devenue sourde, cela aussi, il n’y avait qu’elle qui le savait. La surdité ne se voit pas et puis comme Tempête était toujours collée aux basques de son humaine quand elle était dans la maisonnée, il ne fallait jamais l’appeler pour manger, pour sortir dans le jardin ou pour baptiser la litière tout propre, toute fraîche.
Tempête ne comptait pas les années. D’ailleurs savait-elle compter ? Cela a-t-il une réelle importance quand on sait que ses années à elle ne sont pas les mêmes que celles de son humaine ? Un an pour Tempête, c’est beaucoup, c’est énorme, c’est très long. Un an pour sa copine à deux pattes, c’est quoi ? Douze mois ? Ça rime à quoi tout ça ? À plus ou moins 365 longs dodos ? Pour Tempête qui dort souvent, au moins dix à quinze siestes par jour, le dodo de la nuit, celui qui dure plus longtemps, se rajoute aux autres sans aucune notion de différence.

Aujourd’hui, Tempête tire la tête. Oui, elle boude. Et qui le remarque ? Personne ! Pas même le petit colibri qui est dans sa tête, qui bat des ailes frénétiquement dans chacun de ses rêves quotidiens. Tempête est fatiguée d’avoir mal, de souffrir du Temps qui se la pète, du Temps qui passe ; elle est épuisée par son corps qui vieilli et qui la ralenti. Alors, distraite, pensive, douloureuse, Tempête avance une patte après l’autre sans se rendre compte des petits trous, des petites plaies qui se multiplient sur son corps tout poilu. Elle se gratte, elle se lèche, elle se lave, elle prend encore soin d’elle, sans se demander combien de temps elle va devoir encore subir tout ça, tous ces changements, tous ses ralentissements, toutes ces douleurs sourdes et silencieuses. Elle les subit et les oublie le temps d’un câlin, d’un échange d’affection, d’un moment de partage et d’amour.
Si près de son amie à deux pattes, tout contre elle, au chaud, confortablement installée sur la couverture toute douce, Tempête-le-chat ronronne. Et c’est là que l’humaine voit les petits trous, les croûtes, les plaies multiples qui ravagent discrètement la peau de son chat.
Tempête est vieille et devenue sensible aux moindres changements du temps sur sa peau fragile, usée, abîmée par les années mais cachée par des milliers de poils blancs, gris et noir.
Tempête sera bientôt dans le Temps de la Paix, le calme pour elle avant la tempête d’émotions qui va ravager son humaine qui ne va pas comprendre pourquoi tout va si vite, pourquoi son compagnon à quatre pattes qu’elle affectionne depuis tant d’année va bien devoir partir un jour, et que ce jour est peut-être bientôt là…
Le Temps qui passe est le même pour tout le monde, il avance simplement à une vitesse différente selon l’espèce qu’Il accompagne.

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Mon petit chat Chouna

Le week-end passé, j’ai commencé un petit texte pour Tisser les Mots. Ce matin, je l’ai terminé. Il est desormais programmé pour dans quelques jours.

Mais je voulais ajouter un petit mot pour mon chat Chouna. Car il s’agit bien d’elle, une petite femelle qui se fait vieille. 

Chouna vient de fêter ses 13 ans. 13 un chiffre porte malheur ? 

Il y a 2 semaines environ je découvrais sur une de ses pattes avant comme une petite boule rose, entre 2 doigts. Elle n’a pas voulu que je lui coupe ses griffes, elle semblait avoir mal à cette patte. Puis, de jour en jour, je découvrais plusieurs petites lesions plus ou moins sanguignolantes un peu partout sur son corps.

La semaine passée je l’emmène chez le vétérinaire. Il était plutôt inquiet par rapport à cette boule. Antibiotiques injecté + comprimé pendant 7 jours… rien n’y faisait.

Nous l’avons donc opérée ce matin… plein de pu s’est échappé de sa patte. Et une prise de sang a été faite également. 

3 ou 4 points de suture et un bandage plus tard, la voici qui dort encore…

Je ne veux pas qu’elle souffre, je ne m’acharnerai pas si le paradis des chats l’attend, mais je veux pouvoir lui dire combien je l’aime et lui dire aurevoir. Mes chats comptent beaucoup pour moi. L’année dernière, aussi au mois d’aout, c’était Vicky qui avait failli y passer… 

J’espère que ma Chou-Choun auta autant de forces et de combativité. 

La solitude d’une dame âgée

Voici une « petite » nouvelle que j’avais écrite pour un concours… mais après divers avis, je ne l’ai pas envoyé car il y a encore pas mal d’incohérences. J’ai voulu m’essayer à un autre style (policière), mais cela ne me va pas trop.

Madame Gertrude, dame âgée, vit seule. Elle est solitaire d’apparence, débrouillarde et a un caractère bien trempé.
Abandonnée volontairement à la naissance par ses deux parents, elle vit avec ce tragique événement qui a marqué le début de son existence. Aujourd’hui, elle n’a toujours aucune famille.
D’origine bruxelloise, elle a déménagé en Wallonie à cause d’un amour de jeunesse, d’une relation qui n’était pas payée de retour et qui l’a conduite à quitter la région où elle a été adoptée.

Voilà cinquante-huit ans qu’elle habite Liège et pourtant, elle n’a toujours pas réussi à se faire des amis. De vrais amis qui font partie de sa vie, pas comme ses anciens collègues qui, dès qu’elle est partie en retraite, l’ont rayée de leurs listes de contacts . Des amis sur lesquels elle peut compter en cas de coup dur, comme quand son amour l’a quittée sans la moindre explication, en emportant tout avec lui, même le lit dans lequel ils dormaient ensemble ! Ou comme quand on lui a découvert un cancer du sein à tout juste quarante-cinq ans.
Madame Gertrude n’a donc personne à qui parler de vive voix, personne avec qui partager un café, personne avec qui rigoler, passer un agréable moment, rêvasser du temps écoulé.

Elle a juste des voisins qu’elle croise à certains instants de la journée sans vraiment les connaître, car les uns déménagent, les autres meurent et d’autres encore lui ferment la porte au nez quand elle demande un peu de beurre pour dépanner un jour férié ou un matin gelé par un hiver mordant.

Alors, depuis qu’elle est pensionnée, son train-train quotidien se partage entre la course au supermarché du coin, l’achat de son pain à la boulangerie d’en face, le retrait de son magazine à la librairie du rez-de-chaussée et la visite à la pharmacie pour son traitement chronique. Le reste de la journée, c’est dans son petit appartement qu’elle tue son temps.

Malgré son âge avancé, Madame Gertrude n’a besoin ni d’aide-soignante, ni d’infirmière ni même de repas servis à domicile.

Les mauvaises langues aiment dire qu’elle fait partie de ces personnes qui “nous enterreront tous”, tellement elle est “coriace”, une “dure à cuire”, malgré tous les aléas de la vie qui ont marqué son quotidien.

Est-ce parce qu’elle est timide, parce qu’elle a une “tête qui ne revient pas” ou tout simplement parce qu’elle trouve que les conversations du quartier ne sont que des commérages, qu’elle ne parvient à lier une amitié avec le libraire, la boulangère, la pharmacienne ou la caissière ?

Nul ne le sait.

Un matin, au début de l’été, alors que le soleil vient à peine de se lever, un grand fracas s’entend chez elle.
Beaucoup de bruits. Des cris.
Une douleur subite, inattendue. Comme un coup de poignard dans le coeur !
Des objets qui se cassent, un choc sourd qui tombe sur le sol. Puis, plus rien. Le silence.

Un silence de mort.
Et une absence.
Une absence qui commence à se faire longue.

Les rideaux de la vieille d’en haut sont tirés depuis deux jours. On n’entend plus le tac tac de sa canne sur le parquet de son salon ou sur le carrelage de sa cuisine. Ni la porte de son appartement qui claque. Pas plus que des bruits de vaisselle qui faisaient pourtant partie d’une habitude presque métronomique, tous les midis, à douze heures trente.
Le libraire connaît cette heure, car c’est à celle où il déjeune, et sa cuisine est juste en dessous de celle de Madame Gertrude… un son pas vraiment fort, un peu dérangeant et énervant, car jamais il n’a pu manger tranquillement, pas une fois en vingt-deux ans, pas une fois depuis qu’il a ouvert sa petite boutique.
Il se réjouit donc de pouvoir passer à table, dans un beau silence, ce jour-là et les suivants. Il ne se pose même pas la question de savoir pourquoi. Il savoure son dîner et profite enfin de la paix. Il espère secrètement être débarrassé de ce bruit qui finit par lui taper sur son système nerveux.

Mais, ce qu’il ne sait pas, c’est que ce qui le dérangeait jusque là va être remplacé par autre chose d’encore plus désagréable.

La boulangère non plus ne voit plus Madame Gertrude. C’est peut-être la seule qui la regrettera un peu, car la vieille ne s’était jamais habituée au nouvel argent et quand elle venait chercher son pain avec son billet de cinq euros, elle parvenait toujours à lui grappiller dix cents par-ci, quinze par-là… de toute façon, dame Gertrude ne le savait pas…

Enfin, c’est ce que la commerçante croyait.

La pharmacie ne se plaint de rien. C’est juste une cliente en moins. Avec les médicaments que Madame Gertrude prenait, pas étonnant qu’un jour elle s’en aille. Son départ n’est qu’un détail, à tel point qu’il n’est même pas nécessaire d’en parler. Tout le monde le sait…

Enfin c’est ce que la pharmacienne pensait.

La caissière est malade depuis dix jours. Une grosse dépression. Certains disent que c’est un burn-out. D’autres que c’est une nouvelle grossesse non désirée. Personne ne le sait vraiment. Elle ne remarquera pas l’absence de la petite vieille.

Finalement, on se décide d’avertir la police. On ? Pas de nom. Juste un appel anonyme. Il y a, comme qui dirait, une drôle d’odeur. Et vous savez… dans les films… une odeur forte, pestilentielle… une odeur qu’on relie tout à coup à une absence… forcément ça fait penser à un cadavre en décomposition qui pue.

Bien sûr, il est trop tard pour Madame Gertrude.
Vous pensez bien, après trente et un jours ! En été ! Dans un appartement en plein soleil. La chaleur… Le manque d’air…

L’agent Lackman, qui est sur place, ne peut que se boucher le nez, détourner le regard et penser à ouvrir une enquête pour meurtre (et une fenêtre pour les mauvaises odeurs).
Il est pris d’un sentiment qui ressemble à de la pitié. Une dame âgée. Il pense à sa grand-mère qui est décédée le mois passé. Il espère toujours qu’aucun “petit vieux” ne meurt comme ça : seul, dans l’indifférence la plus totale. Mais cela arrive bien plus souvent qu’on ne le croit. Alors, en plus, quand il s’agit d’un meurtre, ça l’écoeure. S’en prendre aux faibles, aux personnes sans défense… ça le retourne, le bouleverse complètement. Il suit l’affaire très au sérieux.

Avec son collègue, ils font l’état des lieux, interdisent l’entrée, interrogent les voisins, qui bien sûr ne savent rien,  n’ont soi-disant rien entendu, rien vu, rien remarqué, etc.

La mémoire est parfois très sélective, n’est-ce pas ?

L’agent prend bien son temps pour inspecter, fouiller, examiner le petit appartement de la victime. L’appareil photographique fonctionne à plein régime. On immortalise la position et l’endroit exact de la morte, les objets cassés, les traces de sang (très peu, étrangement), les tiroirs retournés (pas tous), les coussins éventrés. Une scène digne d’un feuilleton policier, tous les ingrédients sont là pour conduire les enquêteurs sur les traces d’un cambriolage qui a mal tourné. Les indices ne manquent pas, l’auteur du crime a, croit-on naïvement, négligé son travail.

Mais petit à petit, la police découvre des objets qui contredisent l’hypothèse d’un cambriolage. Un i-Phone, un i-Pad, un e-Reader et un ordinateur portable sont trouvés dans le tiroir du bureau.
Le collègue de l’agent Lackman croit que c’est le bon moment pour faire une remarque “rigolote”. Ce dernier a beaucoup d’humour, mais il est bien le seul à se marrer de ses blagues stupides et déplacées.
– Ouah, la vieille était geek ! Complètement geek ! Que pouvait-elle bien faire avec tout ça ? Savait-elle seulement s’en servir ?
Georges Lackman ne dit rien. Il répond simplement par un “hum hum”, histoire de faire comprendre qu’il a entendu l’ânerie.

Le collègue ignore que Madame Gertrude était vraiment au top de la technologie. Non seulement, elle avait tout ce qu’il fallait, mais en plus elle savait s’en servir et bien… Et celui qui se moque d’elle est loin de se douter de la vérité sur ce drame.

Quelques jours plus tard, au laboratoire de la police, l’agent Lackman vient aux nouvelles. Il a fini de travailler pour aujourd’hui, mais il veut savoir ce que les techniciens ont trouvé dans tous ces appareils. Si ce n’est pas pour le vol, quel pouvait être l’autre mobile du criminel ?

Sylvie, la super douée en informatique n’a pas besoin de l’entendre pour savoir ce qui l’amène au labo.
– Madame Gertrude semblait très à l’aise avec son époque. Elle était connectée à Facebook, avec cent vingt-sept “amis”, tenait un blog sur la solitude et tweetait pas mal. Sur sa liseuse, c’était surtout des bouquins de grandes littératures, mais il y avait aussi quelques policiers, des Agatha Christie. Son i-Phone servait surtout à suivre ses tweets et à lire ses mails. Elle s’était abonnée à plusieurs revues spécialistes de technologie. C’était sûrement grâce à son ancien travail qu’elle continuait à rester à ce point « connectée » ! Sur son i-Pad, que des jeux gratuits : Angry Birds à toutes les sauces, jeux de mots, jeux d’arcades et d’autres du style ! Pas mal, hein ? dit-elle en faisant un clin d’oeil.

Georges Lackman est ravi d’entendre tout cela. Finalement, la pauvre dame n’était pas si seule, ou du moins pas complètement. Même si malheureusement ses contacts étaient tous virtuels… et qu’aucun ne s’est inquiété du silence de la victime. Mais de nos jours, à force d’utiliser des pseudos tout le temps, les visiteurs ne savent pas vraiment qui se cache réellement derrière les mots.
Il demande à lire le blog. Il espère qu’il va y trouver un indice qui le conduirait sur la piste du criminel.
À nonante ans, cette dame postait encore régulièrement des articles. Le dernier en date était celui intitulé “dernier voyage”. Elle expliquait qu’elle n’avait pas peur de la mort, qu’elle savait qu’elle se réincarnerait et qu’elle espérait que sa nouvelle vie serait plus intéressante que celle-ci. Elle avait tellement envie qu’on s’occupe un peu d’elle. Elle se sentait trop seule malgré les dizaines d’internautes qui la suivaient régulièrement sur son blog, car sur la toile virtuelle, c’est le monde qui s’ouvre. Et sur son journal informatique, c’était tous des Français qui la soutenait, qui l’épaulait… aucun Belge, aucun Wallon, aucun Liégeois… Du moins, c’est ce qu’elle s’imaginait.

Enfin, après plus de deux heures de lecture, l’agent Lackman s’arrête sur un commentaire. Celui-ci date de plus de deux mois et est signé “Mona”. Si le contenu est déjà très étonnant, le nom ou pseudonyme utilisé lui donne un petit pincement au coeur. Sa grand-mère s’appelait Yvonne, mais tout le monde l’appelait Mona.
Bonne chance dans ton projet. Fais attention quand même, ne souffre pas inutilement, sois prudente.”
La victime, “Grande Solitude” avait répondu en toute liberté à ce commentaire, sans tabou, sans langue de bois :
“On parlera enfin de moi. On se souviendra de moi… enfin de mon cadavre. Ne dit-on pas mieux vaut tard que jamais ? Je t’embrasse.”

– Un suicide ?! Tu crois vraiment qu’une pauvre petite vieille peut se donner la mort en faisant toute cette mise en scène ? demande-t-il à Sylvie.
– La solitude est vicieuse, douloureuse et elle peut parfois nous pousser à bien des choses. Oui, je pense qu’elle en était tout à fait capable.

L’agent Lackman ne peut s’empêcher de dire à son collègue que la “vieille geek” l’a bien eu, mettant un terme à ses remarques désobligeantes.

Qu’est-ce que la mort ?

Poésie ou non… quelques mots sortis de mon coeur, quand pour la dernière fois, il a pleuré.

 

C’est le bout de la vie.

C’est un stop brutal.

 

C’est la fin d’une maladie

C’est la fin de la vieillesse

La fin d’une horreur.

 

C’est le début d’une douleur sourde.

C’est souffrance.

C’est puissance.

Le cœur s’immobilise.

Le dernier souffle est silence.

Le regard ne voit plus.

 

Ce sont des images,

Des moments

Des instants qui resurgissent

Des sentiments

Une réalité du temps passé…

 

C’est une histoire.

Qui se termine parfois trop tôt !

Trop brutal.

Trop rapide.

Parfois, on a beau s’y attendre,

Mais on n’y est jamais préparé.

 

Ce sont des larmes.

Ce sont des questions.

C’est aussi libération.

 

La mort, c’est un mot court.

Pourtant longue est la peine.

 

Mort. Mot. Une seule lettre en moins…

Bien des choses à partager pourtant.

 

J’aurais un mot à dire à la mort.

Mais elle ne m’écoute pas.

 

J’aurais plein de choses à dire à tous ces morts

Que j’ai connus avant, vivants…

Mais les mots me manquent…