J’ai retrouvé ma première longue histoire que j’ai écrite quand j’avais 23 ans : « Simplement différent« .
Passionnée par les oiseaux, par leurs comportements, leurs couleurs, leurs différences, c’est naturellement sur eux que j’ai écrit.
L’observation d’un individu atteint de leucisme m’avait fort intrigué, c’était ma première observation de ce genre. A l’époque, l’on m’avait dit que c’était un problème de nourriture, d’une mauvaise qualité alimentaire… aujourd’hui, je sais que ce désordre génétique peut arriver à n’importe quel animal : oiseau, mammifère ou … humain !
Déjà jeune adulte, les corvidés me fascinaient par leur intelligence. D’un autre côté, les réactions des humains face aux différences de leurs semblables me hérissait de colère. J’ai toujours aimé expliquer la nature et le comportement tant des animaux que des humains. A cette époque, j’ai essayé de vulgariser des explications scientifiques pour faire comprendre qu’il existe différentes espèces de corvidés chez nous. Une amie avait relu mon histoire et noté 5 ou 6 passages comme « trop compliqué, trop technique »… J’espère que malgré tout, cela vous sera une lecture agréable :-)
Simplement différent
Quand on dit qu’il n’y a plus de saisons ! Hé bien moi, je vous dis qu’on a raison.
On est à la mi-février, la semaine passée a été étouffante avec des chaleurs abominables, beaucoup trop chaud pour ce mois. Et aujourd’hui, il neige ! Je n’y comprends plus rien et je suis sûr que je ne suis pas le seul.
Même si je suis très jeune, je sais certaines choses de la vie…bien que, ces derniers jours, je commence à me poser de sérieuses questions.
Pourquoi est-ce que je ne suis pas comme les autres, ou plutôt pourquoi les autres me regardent-ils d’une drôle de manière ? Même mes propres parents me rejettent et ça non plus je ne comprends pas très bien.
J’ai beau regarder autour de moi je ne vois pas beaucoup d’autres corneilles comme moi. Ou elles se cachent quelque part, ou bien elles se cantonnent ailleurs ensemble, à cause de leur différence. Pourtant j’ai la même taille, le même bec fort et assez grand, les mêmes pattes noires, je mange comme eux un peu de tout…oui mais j’ai quelques plumes un peu délavées. Il est vrai que cela se voit comme un bec au milieu d’un visage chez nous car nous avons un plumage entièrement noir ; alors des taches grises ou blanches, ça ne se loupe pas.
Je ne me souviens pas si j’avais ça dès la naissance ou bien si c’est apparu comme ça au fil des semaines.
Là où nous habitons, il y a plein de gens. Nous essayons toujours, dans la mesure du possible de côtoyer les humains car il y en a toujours l’un ou l’autre qui nous donnera à manger. Quoique certains, au contraire, nous chassent et disent du mal de nous, d’autres savent nous apprécier à notre juste valeur. Car si nous n’existions pas, il y aurait plein de carcasses d’animaux et d’autres détritus qui joncheraient les trottoirs et les rues, nous sommes là pour les nettoyer, un peu à la manière des rats, sauf que nous sommes plus propres qu’eux.
Avoir la faculté d’intelligence et de pensée n’est pas donné à tous les oiseaux. Cela a ses avantages comme ces ses inconvénients. Ainsi, dans mon cas, j’ai la chance de pouvoir réfléchir aux solutions qui pourraient exister pour mon problème de pigmentation de mes plumes, mais je ressens la haine et le mépris des autres et cela me blesse.
Pas plus tard qu’hier, j’essayais de me mêler à un groupe de jeunes corneilles qui jouaient dans la neige. J’ai pensé que les flocons de neige pourraient leurrer ces oiseaux car le blanc de la neige pouvait très bien se confondre avec mes taches blanches à moi. Ce petit jeu a très bien fonctionné mais comme tous les enfants, cela n’a pas duré très longtemps et ma joie ne fut que de courte durée.
Au fur et à mesure que je grandis, je me sens rejeté de mon groupe. On ne me laisse plus tranquille, on me chasse de mon perchoir et on me poursuit quand je suis trop près d’un autre jeune… Je n’en peux plus de cette situation. A force de devoir me battre à chaque fois pour quelque chose, je perds de mes forces et de mon courage.
J’ai décidé de partir, foi de Leuco, plus personne ne me reverra par ici. Dans un quartier plus éloigné, il y fait plus calme, je trouve un jardin magnifique. Il est accueillant et invite à le visiter, voire à y loger. Ce petit terrain d’herbes est bien entretenu. Il y a un parterre de fleurs autour de l’allée principale, un superbe arbre et quelques statues et fontaines décoratives. Je fais halte dans l’arbre touffu et contemple mon nouvel habitat. Comme l’herbe est tellement bien coupée, je ne risque pas d’être embêté par des insectes ou des oiseaux insectivores car ce n’est pas par ici qu’ils risquent de trouver suffisamment de choses à se mettre sous le bec.
Le silence, pas un seul oiseau à proximité, oh ! ouah ! J’adore cet endroit !
Quelques instants plus tard, un bruit me met en garde, un déplacement très silencieux mais pas imperceptible. Un félin, un chat ! On se jette un regard foudroyant, lequel de nous deux aura raison de l’autre ? Irrité, j’attaque le premier, il ne va pas réussir à me faire partir de ce merveilleux endroit. Je prends mon envol, lance un petit crooaaa et lui rase la tête. Je recommence ce petit jeu qui tout compte fait m’amuse bien, je l’attaque encore trois fois. L’animal à fourrure en a marre et ne s’acharne pas à vouloir se venger, il rentre chez lui penaud.
J’ai enfin réussi à défendre mon territoire, désormais il est à moi. Je peux me reposer un peu à présent. Un œil toujours attentif, je m’assoupis et tente de baisser ma garde et de ne plus être sur le qui-vive à chaque seconde.
Une heure plus tard, un autre bruit me sort de ma léthargie. Mais ce bruit est différent car pas du tout discret. D’un air maladroit, un oiseau vient se poser près de moi. Titubant un peu, pas très sûr, sur la fine branche où il sautille, il stoppe net, accrochant de toutes ses griffes une partie de l’arbre et ouvrant légèrement ses ailes pour retrouver l’équilibre.
Cet individu est différent de moi mais pas tant que ça, j’en ai déjà vu de son espèce là-où j’habitais avant. Celui-ci est plutôt calme et à l’air gentil. Tiens c’est curieux, il a les yeux bleus. Il voudrait s’approcher de moi, mais un cri lui fait lever la tête et il repart aussitôt. Je n’ai même pas eu le temps de lui demander son nom. J’espère qu’il reviendra.
Qu’est-ce qu’il est beau quand il vole…il a une superbe queue avec différentes couleurs. Ses plaques de plumes blanches sont bien définies, ce n’est pas comme moi… il est plus fin et plus élancé que moi, un bec un peu plus fin mais proportionnel au reste de son corps. Je suis sûr qu’on doit faire partie de la même famille, pas de la même espèce bien sûr, mais nos ancêtres devaient être les mêmes.
Je n’ai pas le temps de réfléchir que l’oiseau vient à nouveau se poser près de moi. Plus sûr que tout à l’heure, il se dirige droit sur moi. Il est suffisamment près pour découvrir que je suis un peu différent des autres corneilles mais cela n’a pas l’air de le déranger plus que ça. Il continue son chemin et s’arrête juste à côté de moi.
– Salut toi, comment tu t’appelles ? Moi c’est Pico. Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu es tout seul ?
Oh là là ! il en a des questions celui-là. Mais au moins il me parle alors je ne vais pas le lâcher.
– Je m’appelle Leuco et j’aime me retrouver dans cet endroit où personne ne peut m’embêter. Tu n’as pas remarqué mes taches ? Tu n’as pas peur ?
– Pffff ! Moi j’ai peur de rien ! Je sais ce que veulent dire les taches, mes parents me l’ont expliqué tout à l’heure quand je suis reparti si vite. Mais ils savent que je suis curieux et fort, ils n’ont pas peur pour moi. J’aimerais t’aider car je trouve cela ridicule que l’on mette de côté quelqu’un simplement parce qu’il est différent. Je n’accepte pas ça, on va changer le monde, c’est moi qui te le dis.
– Changer le monde ? Eh bien dis donc, tu en as toi de ces idées…t’es optimiste. Je peux te poser une question ?
– Bien sûr, pose-moi toutes les questions que tu veux. J’aimerais mieux te connaître et devenir ton ami…enfin si tu veux bien de moi comme ami ?
– Oh vraiment ? Mon ami ? Chic alors, je n’en ai pas encore eu jusqu’ici. Bien sûr que je le veux bien. Pourquoi tu as les yeux bleus ?
– Ah ça, c’est parce que je suis encore jeune. Ils vont devenir noirs quand je serai un peu plus grand. Normalement, je crois que ton espèce a les yeux bleus quand elle est jeune. Mais tu n’as pas dû voir grand monde ou plutôt personne n’a dû te laisser approcher des toutes jeunes corneilles à cause de tes taches. Ce n’est pas bien grave, tu ne loupes rien d’important, c’est simplement une caractéristique qui définit notre âge, enfin du moins quand on est petit. Tu sais que les tiens sont bleu foncé. Ça veut dire que tu es presque adulte, en tout cas plus âgé que moi.
– Ouah ! tu m’en apprends des choses. Il faut dire que je ne me suis pas encore regardé dans un miroir, j’aurais sans doute peur de m’y voir. Tu appartiens à une autre espèce que moi alors ? Je m’en doutais bien mais je ne sais plus laquelle.
– Oui, je suis une Pie. Mon nom scientifique complet est Pie bavarde mais les gens nous appellent souvent la Pie voleuse car nous avons un attrait particulier pour tout ce qui brille et cela nous amène irrésistiblement à le chaparder sans demander l’autorisation du propriétaire du bien. Il y a des différences entre nous mais elles ne sont pas bien terribles, car nous appartenons tous les deux à la famille des corvidés. Nous apprécions aussi la présence des humains, mais nous nous en méfions quand même. En effet certains nous aiment bien tandis que d’autres nous haïssent carrément. Ceux qui nous haïssent, moi je dis qu’ils sont des ignorants car nous les aidons à garder leur rue propre et même ça ils ne le savent pas ou bien ils ne veulent pas le savoir. D’autres encore nous donnent même le surnom d’oiseau nuisible car selon eux, nous chassons trop de petits oiseaux et détruisons beaucoup trop de leur bien. C’est étrange, les humains de ce pays ont eu l’idée de diviser le pays. Ainsi dès que l’on passe un champ de blé, on se retrouve dans une autre région. Ce qui fait qu’avant ce champ, on était une espèce protégée et quasi rien ne pouvait nous arriver, passé ce même champ notre chasse est permise et on peut nous abattre !! Je trouve ça vraiment ridicule, et on doit apprendre à faire attention et à ne pas vagabonder n’importe où ni n’importe quand à cause de ça. Heureusement dans l’énorme famille des oiseaux, il existe des coups de patte que chacun donne quand il peut. Ainsi un merle peut donner l’alarme si un humain, chat ou autre prédateur d’oiseaux s’approche trop près de lui. En sonnant cette alerte, il prévient tous les oiseaux du quartier. Pour le remercier, un autre jour ce sera une mésange, un moineau ou un pinson qui donnera à son tour cette alerte. Tout le monde veille au bien-être de leur territoire et tout le monde peut compter sur les autres. Mais dans un champ ou au-dessus d’un étang, c’est plus difficile, et là il faut être le plus rapide, le plus rusé.
– Ça alors…j’en reste bec cloué. Il existe une loi qui autorise de nous tuer ?
– oui mais il faut dire que nous nous reproduisons tellement bien que l’année d’après notre effectif se rétablit.
– Oui mais quand même, nos amis, frères et sœurs se font massacrer !
– parfois c’est mieux ainsi, on va dire qu’avec le temps on s’est habitué et on en conclut que ceux qui se font prendre, c’est qu’ils sont faibles et que donc tôt ou tard ils auraient été tués.
– Bien raisonné, je n’y avais pas pensé. Si tu savais comment je suis heureux que quelqu’un veuille bien me parler.
– tiens un morceau de pomme, tu en veux un morceau ?
– Oh que c’est gentil, oui je veux bien mais fais attention, il y a un chat ici.
– je n’ai pas peur d’eux non plus, tu sais.
– Attention, il est là derrière toi, file vite.
– ça alors, je ne l’ai pas entendu. Flap flap, mince alors je n’ai pas la rapidité des grands pour décoller aussi rapidement qu’eux.
– Raaaaa, raaaaa, tu vas laisser mon ami tranquille toi ou je te donne un coup de bec sur la tête que tu vas t’en souvenir durant toutes tes 9 vies de félin ! Hihi regarde comme il a filé, il a eu peur de moi. C’est bien fait, il n’a qu’à s’y prendre à un autre, le vilain matou.
– ouf merci, je te dois une fière chandelle, je te dois la vie. Tu es courageux, fort et bon. Je ne regrette pas du tout d’être devenu ton ami. Si on partait faire un petit tour ? Qu’en dis-tu, Leuco ?
– Oh je ne sais pas trop tu sais. Toi tu es gentil avec moi mais les autres vont me houspiller jusqu’à ce que je disparaisse de leur vue. Je suis bien ici, avec toi.
– Eh regarde, il y a quelqu’un derrière la fenêtre de cette maison. J’espère que cette personne ne va pas nous chasser. Restons tranquille.
– Elle nous jette à manger. Super ! Les restes de son repas. J’ai vraiment trouvé un endroit en or…
– Oui ça tu l’as dit. Elle a même appelé son chat pour qu’il rentre. Tu as vu comment elle nous regarde d’une drôle de manière ?
– Oui mais je crois savoir pourquoi. Est-ce qu’en temps normal les pies et les corneilles sont ensemble ? J’ai le souvenir que nous nous pouvons être l’un de vos prédateurs en gobant les œufs de vos parents et même parfois en mangeant les petits qui viennent d’éclore. Mais je ne suis pas comme ça tu sais, moi. Je ne ferai jamais de mal à une mouche vivante. Je préfère me contenter de ce que je trouve : fruits, légumes et autres détritus que je peux trouver dans les poubelles, bourgeons de fleurs, pomme de pain…
– Oui c’est sans doute cela que maman a voulu m’expliquer tout à l’heure mais je n’ai pas écouté. Déjà qu’elle me donnait une remontrance parce que tu as un plumage plus fragile, je ne voulais pas continuer à écouter ses sornettes. C’est vrai que normalement nous sommes des omnivores. On mange de tout, aussi bien des légumes, des féculents, que de la viande et des fruits. Je n’aime pas beaucoup non plus la viande mais il nous en faut bien un petit peu pour avoir certaines vitamines.
– Oui c’est pour ça que moi, une fois la nuit tombée, je fouille les rues à la recherche d’un corps. C’est déjà mort, je ne dois plus me fatiguer à chasser et à tuer. Il me reste juste à la manger, parfois ce n’est pas très frais mais ce n’est pas non plus tous les jours que je fais ça. Quand je le peux, je préfère un régime alimentaire plutôt végétarien, un peu comme certains humains.
– Je suis toujours écœurée quand mon père part à la chasse. Il a le don pour capturer de pauvres petites créatures sans défense, j’ai horreur de ça. Mais bon parfois il n’a pas le choix et puis les animaux fraîchement tués ont une ressource en vitamine qu’on ne peut pas trouver partout.
– Miam, la dame de cette maison est trop gentille, c’est délicieux. Tu veux toujours partir ?
– Oh peut être par tout de suite, profitons de ce qui nous est offert. Une petite sieste pour digérer tout ça et peut être après ou même demain. Il faut que tu bouges un peu, ce n’est pas en restant ici que tu vas te dégourdir les pattes et découvrir les merveilleuses choses de la vie.
– Tu crois vraiment qu’il existe de belles choses dans la vie ? Il faut obligatoirement partir pour les voir ? Toi tu es bien venu jusqu’à moi alors pourquoi pas les bonnes choses ?
– Toi, tu n’as jamais dû voyager, à t’entendre. Tu sais il existe dans la nature, de superbes coins où tu peux te dorer au soleil pour faire fuir les parasites, où tu peux te désaltérer, ou tu peux te percher et t’endormir sous le couvert de grosses feuilles. La campagne regorge moins de pollution, la mer te donne une bonne bouffée d’air frais, la forêt te berce avec de douces mélodies de chants d’autres petits oiseaux. Et puis voyager, c’est aussi pour le plaisir des yeux, voir un paysage ouvert sans buildings pour te couper la vue ou un champ de blé où tu peux jouer à cache-cache. La vie est merveilleuse quand on se donne la peine de la découvrir et de la partager avec un ami.
– Que tu racontes bien, tu me donnes sincèrement envie de partir loin d’ici. Demain tu m’emmèneras à la mer. Tu restes avec moi ce soir ou tu dois aller retrouver tes parents ?
– à présent que je sais me débrouiller seul, je n’ai plus besoin de mes parents pour m’aider à me nourrir, je vais où je veux et je fais ce que je veux. Enfin presque, car si je suis à portée de leur regard, ils veillent encore sur moi pour voir ou si je ne mets pas ma vie en danger.
– Pico, toi et moi on est différents des autres. Toi aussi parce que normalement, nos espèces vivent en communauté, enfin en grands groupes je veux dire.
– Bon il commence à se faire tard. Le premier qui a trouvé le perchoir idéal pour passer la nuit a gagné…a gagné le droit de dormir la première partie de la nuit, l’autre devra veiller.
– D’accord.
Les deux compères décollent de leur branche. Leuco est le premier a s’envoler pour repérer le meilleur endroit mais Pico est plus fin et donc plus agile à passer entre les branchages. Lequel des deux pourra s’endormir paisiblement le premier ?
– Gagné ! crie Pico.
– Attends j’arrive…Ouaip, c’est vrai que c’est pas mal avec ces branches au dessus qui forment comme un parapluie. Au moins s’il pleut ou s’il neige on est un peu à l’abri. Tout contre le tronc, cela nous protègent du vent. Tu as gagné. Ferme les yeux et fais de beaux rêves.
– j’y compte bien. En plus j’ai toute confiance en toi et je sais que je peux m’endormir paisiblement en pleine quiétude, merci. A tout à l’heure.
Je suis content que ce soit lui qui ait gagné, je pourrai le protéger et veiller sur lui comme si c’était mon meilleur ami depuis toujours. Et puis cette rencontre me donne plein de courage et plein de nouvelles idées. Je ne remercierai jamais assez Pico d’avoir fait le premier pas et d’être venu jusqu’à moi.
De fait, Leuco veille toute la nuit, voyant que Pico a besoin de sommeil, il ne le réveille pas pour prendre la relève. Et puis il est tellement content de partir à la mer qu’il ne pourrait pas s’endormir car trop d’excitation brûle en lui. Découvrir de nouveaux paysages, sentir l’odeur de la mer, voir peut-être d’autres oiseaux-qui sait de nouveaux amis peut être-, écouter le bruit des vagues…vivement demain se dit la jeune corneille.
– Oh làlàlà, je n’ai pas l’habitude de veiller si tard. En plus comme c’est l’hiver, le soleil tarde à montrer le bout de ses rayons. Mais Pico mérite bien une nuit entière de sommeil, je me rattraperai la nuit prochaine.
Une petite heure plus tard…
– Coucou Pico, il est l’heure de se réveiller. La journée va être longue pour nous aujourd’hui.
– Rooa. Mais c’est le matin ! Pourquoi tu ne m’as pas réveillé plus tôt pour veiller à mon tour ?
– Tu dormais si bien et tu avais l’air tellement fatigué. Tu es mon ami à présent et rien que pour ça je te dois bien une nuit complète de sommeil. Tu me rends heureux et je ne vois plus l’avenir en noir, grâce à toi. Alors plus de question et allons-y, j’ai hâte de dégourdir mes ailes.
– Allons-y alors mon ami !
Les deux oiseaux décollent et volent en direction du soleil. Le chemin est long mais ils ont tout le temps. Sans se presser, ils passent volontiers là où il y a des champs, des forêts, des coins de verdures, des étangs…
– Que c’est calme par ici. Il fait encore tôt et certainement que tout le monde dort encore. C’est magnifiques ces paysages, je n’aurais jamais cru en tant de beauté si mes yeux ne les voyaient pas par eux-mêmes. Nous y sommes bientôt Pico ? Je n’ai pas dormi et je dois t’avouer que je commence à fatiguer.
– Oh naturellement. Nous y arrivons presque, encore dix minutes de vol, tu crois que ça ira ou tu veux faire une petite pause ?
– Non pas de pause, sinon je ne décolle plus de la matinée…continuons notre chemin.
Après plusieurs centaines de battements d’ailes, Leuco voit enfin arriver la fin du voyage.
– Nous y sommes, nous pouvons s’arrêter sur ce toit.
– Ouah que c’est beau. Oh mais c’est quoi tous ces cris ? Qui sont ces oiseaux ?
– C’est vrai que tu n’as pas dû en voir beaucoup, ce sont des goélands. Des oiseaux de mers, les princes de l’air. Il en existe plusieurs espèces mais parfois je me mêle les pinceaux entre tous car je trouve qu’ils se ressemblent très fort les uns aux autres. Ce sont en quelques sortes de grandes mouettes, ça tu dois connaître.
– Oui oui elles je les ai déjà souvent vues près de l’étang chez moi. Ce sont elles qui ont un capuchon chocolat sur la tête durant l’été. Elles ont cette couleur uniquement durant la période de reproduction, après, pfuiiit le brun disparaît.
– Exact. Ici les goélands n’ont pas ça, la subtilité est vraiment minime s’il y en a une. Par contre tu vois, ils ont une tache rouge sur le bec jaune. Je me demande à quoi cela peut bien servir….
Khya, khya… Ce petit cri met fin à la discussion de la tache rouge sur les becs des goélands…
– Eh ça c’est un de notre famille Leuco, regarde par là !
– Heu je ne vois pas ! Où ça ?
– Tourne la tête, sur le toit de la maison plus loin.
– Ah oui je vois maintenant. Mais il me ressemble, quoiqu’il ait l’air plus petit.
– Allons lui dire un petit bonjour, je suis sûr qu’il est gentil. Bonjour, pouvons-nous vous déranger un petit instant ?
– Bonjour, mais très certainement. Que puis-je faire pour vous ?
– Mon ami ne connaît pas grand monde qui soit différent de son espèce. Il n’a jamais eu l’occasion, jusqu’ici, de voyager et de partir à la rencontre d’autres lieux.
– Avec plaisir, quoi que je ne sois pas si différent de lui physiquement… comment t’appelles-tu jeune homme ?
– Je m’appelle Leuco, lui c’est Pico.
– Enchanté, moi c’est Chouchouc. Mon nom complet est Choucas des tours. Oui des tours car autrefois je nichais dans les vieilles tours des monuments importants. Aujourd’hui je m’accommode aisément des trous dans les arbres, des cavités naturelles ou non des églises, dans les rochers ou falaises et même dans les bâtiments abandonnés, bref je ne suis plus si exigent que mes aïeuls. Comme tu peux voir Leuco, je te ressemble très fort sauf que je suis un peu plus petit que toi…et tu vois j’ai un demi-collier gris autour de mon cou.
– Oui et vous avez aussi les yeux clairs, vous êtes aussi un jeune ?
– Ah non, chez notre espèce, les yeux de cette couleur, nous les gardons toute notre vie, encore une petite différence par rapport à toi. Comme je l’ai dit là tout de suite, notre site de nidification aussi est différent…mais j’ai aussi un bec assez puissant, de pattes robustes et un plumage totalement noir. Encore une autre petite différence, c’est mon alimentation. J’ai une nette préférence pour les insectes, ce qui me caractérise de tous les autres corvidés. Néanmoins, comme toi et comme les autres, je peux aussi manger des œufs et de petits oisillons. En hiver, je m’intéresse davantage à tout ce qui touche à la végétation, tandis que ceux de ton espèce se reposent beaucoup sur les déchets et « dons » des humains. Comme la plupart des corvidés, je suis très sociable et j’aime la vie de groupe.
– Combien sommes-nous dans cette famille de grands passereaux ?
– oh quelques…, commença Chouchou.
– quelques uns. Tu vas le découvrir par toi-même si tu le veux. Ne dévoilons pas tout, tout de suite à Leuco, Chouchouc, laissons-lui le temps de savourer chaque découverte.
– tu as bien raison, Pico. J’espère que tu es content de m’avoir rencontré. Je pense un peu comme ton ami à propos de tes petites taches…les oiseaux qui en font tout un plat, ce sont des égoïstes et ils ne valent pas la peine d’être côtoyés. Bonne continuation et à un de ces jours j’espère.
– merci, oui à bientôt.
– Merci pour tout, monsieur Chouchouc.
Chouchouc sourit intérieurement, c’est la première fois qu’on l’appelle Monsieur. Mais il n’en veut pas au jeune Leuco car comme chez les corneilles, il n’y a pas de dimorphisme sexuel, autrement dit, il n’y a aucune différence physique et visible entre Monsieur et Madame.
– Tu en sais des choses Pico, comment cela se fait-il que tu en saches autant ?
– tu as oublié, je suis un grand curieux et tout ce qui me pose des questions, je demande des explications à mes parents. Pour ça ils ont réponse à tout. Et puis je sors beaucoup de mon territoire pour découvrir autre chose que la vie de famille. C’est un peu comme ça que je t’ai rencontré.
Ils passent le restant de la journée à observer les goélands, à écouter le bruit de la mer. Leuco en profite pour faire une petite sieste car la fin de l’après-midi arrive et ils doivent faire demi-tour.
– Il commence à faire plus frais, si on rentrait par le bois pour s’abriter du vent ? Vivement l’été que l’on puisse dormir à la belle étoile.
– Oui, j’ai vu une belle et grande forêt un peu plus loin. On va y passer la nuit.
– Ce n’est pas trop dangereux de dormir dans un endroit que l’on ne connaît pas ? J’ai peur de l’inconnu.
– Trouillard, si on fait attention, on ne risque rien, il faut juste bien veiller à trouver un endroit tranquille.
– Je te fais confiance. Tu n’as pas faim ? J’ai aussi un petit creux et surtout soif. Stop, j’ai vu une petite flaque de pluie par là, je vais boire et je reviens.
– Je te suis, je vais faire la même chose que toi.
Chacun regarde à gauche puis à droite pour voir si aucun prédateur ne risque de les surprendre à terre. Aucun renard ne se montre, pas un chat à l’horizon, ils sont rassurés. Baissant d’abord la tête, ils trempent le bec dans la flaque d’eau, puis tête en l’air ils avalent doucement ce liquide froid.
– Ça fait du bien par où ça passe, si on pouvait trouver quelque chose à manger ce serait chouette aussi.
– Kraaii, venez par ici, j’ai fait un stock de glands de chênes. Entre membre d’une même famille on peut bien s’entraider quelques fois. Bonsoirs chers amis, bienvenus chez moi.
– Qu’est ce que vous nous avez fait peur, on ne vous avait pas vus.
– Je crois que je reconnais cet oiseau, il y en a aussi dans le bois près de chez nous. C’est un geai des chênes. Il se cache toujours à l’abri des regards, très méfiant et curieux envers l’homme ou nos prédateurs tels l’Autour ou l’Épervier, il fait partie en effet de notre famille.
– Bien vu mon garçon…et je vois que je n’ai même plus besoin de me présenter à ton compagnon.
– Vous aussi vous faites partie de notre famille ? Mais comment est-ce possible, tous ceux que je connais ont un plumage presque entièrement noir et de grandes pattes toutes aussi noires…
– Oui c’est vrai que j’ai des couleurs un peu voyantes par rapport à vous autres et c’est d’ailleurs pour ça que je préfère me cacher plutôt que de me montrer, mais j’ai un bec tout aussi puissant que le vôtre, je suis omnivore également, bien que je préfère mes petits glands et je suis tout aussi intelligent que vous. Heu voyons voir quoi d’autre… ah oui je me sers également de mes orteils pour prendre toute ma nourriture, je la transporte et ne la mange quasiment jamais sur place. Une autre petite différence, je me déplace à terre par de petits bonds tandis que vous, je crois que vous marcher davantage. Sinon, j’adore les jeux, pas vous ?
– Oui nous aussi on aime jouer. C’est comique comment tu racontes tout ça. Alors Leuco, persuadé qu’il fait partie de la même famille que nous ?
– Mouais difficile à croire mais c’est vrai qu’il nous ressemble plus que les goélands ou les mésanges.
– Comme je sais que vous êtes fatigués, je ne vais pas vous demander de chercher la nourriture. Suivez-moi. C’est bien parce que nous soyons dans une histoire car je doute qu’en réalité nous nous entraidons entre espèces différentes. Mais il est vrai qu’entre nous, entre Geais ou entre vous les Corneilles ou les Pies, nous ayons une hiérarchie et un sens d’aider son prochain assez développé. Tous les oiseaux ne sont pas comme nous, souvent c’est chacun pour soi.
– Merci beaucoup, tu es très gentil avec nous, pourrais-tu nous indiquer un endroit où l’on pourrait passer la nuit tranquillement ?
– Hummm, ma compagne ne va pas apprécier si je ramène ainsi des invités sans l’avoir avertie avant. Si vous aller tout droit puis, au premier croisement de deux chemins, que vous prenez à gauche, vous devriez tomber sur un vieil arbre immense. Il est souvent déserté car ses branches craquent souvent la nuit et ça fait peur aux autres. Mais comme vous êtes prévenus, vous ne devriez pas en avoir trop peur. PPIAAAA, PPIAAA…
– Mais qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce qu’il te prend ?
– Vous n’avez pas vu ? Il y avait une buse qui tournoyait juste au-dessus de nous. J’ai imité son cri pour lui faire croire qu’il y avait déjà une autre de son espèce sur le coup et que cela ne valait pas la peine qu’elle s’arrête là et qu’elle perde son temps.
– Sur le coup de quoi ? Là je ne te suis pas, je ne comprends pas très bien.
– Sur nous. Ah làlàlà ! On voit que vous êtes encore jeunes et sans expérience. Une buse qui tournoie dans le ciel signifie qu’elle est à la recherche d’une proie à se mettre sous le bec. A cet instant, c’est nous ces proies…vous saisissez ? La buse est aussi un rapace et bien qu’elle ne se nourrisse qu’exceptionnellement d’oiseaux, si l’occasion se présente, elle n’hésitera pas à nous poursuivre et à nous tuer. En imitant son cri, je lui ai fait croire qu’il y avait déjà une autre buse qui nous chassait…
– Crouah ça alors, j’ai le souffle coupé. Comment tu as appris à imiter son cri ? C’est génial !
– Les corvidés et les psittacidés (les perruches et perroquets) ont la faculté d’imiter ce qu’ils entendent. Bien sûr il faut être attentif, écouter encore et encore, mémoriser et … essayer. Moi je me suis spécialisé dans l’imitation des buses mais j’ai un répertoire varié. Je suis sûr que vous aussi un jour ou l’autre vous tromperez vos semblables…On joint ainsi l’utile à l’agréable. C’est un peu comme le plumage de certains oiseaux qui les aident à se confondre dans le paysage…le camouflage c’est aussi une imitation de la nature…je t’imagine bien toi Leuco en train de te rouler dans la neige pour dissimuler tes taches blanches, pour tromper les autres, c’est un jeu comme les autres sauf que toi tu as besoin de ce jeu pour passer comme normal aux yeux des autres, aux yeux des ignorants.
– Merci beaucoup, c’est vraiment sympa et intéressant. Nous devons y aller, la nuit tombe rapidement. Bonjour à Madame et à un de ces jours peut être…
– Dis Pico, notre famille est bien grande et si différente parfois, qui risquons-nous encore de rencontrer ici ? Et comment cela se fait-il que ceux que nous avons eus le plaisir de connaître jusqu’ici m’apprécie vraiment pour ce que je suis et ne me rejette pas, tu leur as parlé avant ?
– Non pas du tout, seulement la « malformation » dont tu es victime arrive le plus fréquemment à ceux de ton espèce. Les autres ont un regard différent car cela ne les atteint pas et il le comprenne peut-être un peu mieux. Pour la question d’autres rencontres, ça c’est la surprise du hasard. Viens, dépêchons-nous avant que la nuit ne nous surprenne. Ah voilà le chemin qui se sépare. A gauche toutes !
– Voilà le vieil arbre. Qu’il est grand et beau. Dommage qu’il fasse fuir plus d’un car il regorge d’endroits où se blottir.
A peine nos amis se sont-ils installés, qu’un gros bec crochu, des griffes acérées et d’immenses yeux ronds et lumineux les font fuir.
– Ouh Ouh ouuuuuuuu
– Aaaaaaaaa, qu’est-ce que c’est que ça ? Pico au secours, j’ai peur. Ce n’est pas l’arbre qui a parlé quand même ?
– Tu rêves trop Leuco, ton imagination est débordante. Bien sûr que non ce n’est pas l’arbre qui a parlé, il ne nous aurait pas fait peur comme ça lui. C’était un Hibou. Un rapace qui vit la nuit. N’empêche, on l’a échappé belle, il aurait pu nous manger s’il avait faim. Il doit connaître aussi le bruit que fait l’arbre, il ne doit plus en avoir peur.
– Nous manger ? Quoi ? Tu plaisantes ? Cette bestiole ne mange même pas des oiseaux comme nous. N’empêche cette forêt me donne la chair de poule.
– Tu avais raison, on ne connaît pas très bien cet endroit. Il vaudrait mieux pour nous de nous éloigner de ce sous-bois. Si on traverse la forêt, il y a tout au bout un champ avec des arbres en bordure de chemin. C’est plus calme, plus éclairé avec les lampadaires des humains. On y serait plus à l’abri.
– Je préfère ça.
Quelques secondes ont suffi pour quitter la forêt. Comme prédit par Pico, le champ et les arbres étaient là. Espacés de quelques mètres les uns des autres, ces grands végétaux rigides allaient servir d’abri provisoire pour cette nuit froide. La lumière chaude des réverbères aiderait nos amis à avoir moins froid.
– Cette fois, c’est à moi de monter le premier la garde. Tu peux commencer à t’endormir tranquillement, je veille sur nous.
– Super, merci. Qu’est-ce que je suis fatigué, je ne tiens plus debout. A demain Pi…aouhhhh quel bâillement, j’ai failli me décrocher la mâchoire. A demain Pico, dort bien et ne fais pas comme moi, réveilles moi quand c’est mon tour de veiller.
– Oui oui…
Les derniers rayons du soleil embellissent la robe de Pico. Le vert, le mauve, le bleu ressortent doucement de sa longue queue. Petit à petit, la jeune Pie grandit.
La nuit passe doucement. Calme, tranquille, pas un bruit ne vient perturber ce silence. Pico veille des deux yeux…puis d’un. Il s’endort avant même de réveiller Leuco pour le changement de garde.
– Qu’est-ce que j’ai bien dormi…mais oooh, Pico s’est endormi sans me réveiller. Le pauvre, la journée a été longue pour lui aussi. Eh ! Qu’est-ce que c’est cette grosse chose à côté de lui ? Mais, mais, c’est un gros oiseau ! Il est énorme, il est même plus grand que moi !
Sans s’en apercevoir, Leuco avait crié ces derniers mots. Il a fait sursauter Pico qui est tombé de son perchoir. Heureusement, il s’est rattrapé et a ouvert instinctivement ses ailes avant de choir par terre.
– hein, quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Leuco ? Où suis-je ? Qu’est-ce qu’il t’a pris de crier comme ça ?
– Heu regarde à côté de toi, enfin là où tu t’étais endormi…
– ben oui c’est un oiseau. Je ne me suis même pas rendu compte qu’il s’était collé à moi. Il devait avoir froid et cherchait un peu de chaleur pour se réchauffer avant de s’endormir. Je ne sais pas de quel oiseau il s’agit, il a la tête enfouie dans les plumes de son dos. Il est tout de noir vêtu, a de grosses pattes noires avec de bonnes griffes… il te ressemble un peu sauf qu’il est, me semble-t-il, un peu plus grand que toi. Hep, vous, qui êtes-vous ?
– Tu es sûr qu’il est encore vivant. Il n’a pas bougé quand j’ai crié, il ne réagit même pas à ton petit coup de bec…il semble inerte.
– regarde, Leuco, il respire encore. Peut être qu’il est sourd, peut être qu’il est vieux et qu’il lui faut du temps pour émerger de son sommeil. Attend, je le pousse encore un petit peu.
– Humm humm…oui ? Pico, un instant…j’arrive…
– Eh il connaît ton nom ? Tu le connais ?
– Non je te jure que non, c’est bien la première fois que je le vois.
L’oiseau mystère se réveille doucement. Il enlève son bec de ses plumes et montre alors un robuste grand bec gris pourvu d’une callosité blanche en sa base.
– Bonjour les enfants. Vous voilà enfin arrivés, je vous attendais depuis hier soir. Alors Leuco, comment vont tes petites taches ?
– Mais comment nous connaissez-vous et comment savez-vous nos noms ? Qui êtes-vous ? Comment saviez-vous que nous devions arriver ici hier soir ?
– Oh làlà bonhomme, que de questions en ce début de matinée. Alors je m’appelle Corvus et je suis un Corbeau freux.
– Maître Corvus ? C’est vous ? Je me dois de m’incliner, mes parents m’ont tellement parlé de vous quand ils ont découvert mes taches dans mon plumage. Vous êtes un sage, vous avez réponse à tout et vous connaissez tout.
– il connaît tout ? Personne ne peut tout savoir.
– Ha ha ha, c’est vrai, je ne sais pas tout mais je sais beaucoup de choses. Vous avez remarqué comment vous avez changé en si peu de temps ? Regarde ton ami, Leuco, que voit-tu de différent en lui ?
– Heu, je ne sais pas trop, nous nous connaissons que depuis deux jours.
– Mais vous vous dites de bons amis, n’est-ce pas ? D’excellents amis ? Alors tu dois être capable de voir que quelque chose a changé en lui. C’est même visuel.
Pico est gêné, lui non plus ne sait pas ce qui a pu changer en lui. Son ami le dévisage et l’observe du bec jusqu’aux pattes.
– Oui ! J’ai trouvé, il n’a plus ses yeux bleus ! Ça veut dire qu’il est adulte ?
– Très bien Leuco. Ça veut dire en effet qu’il a atteint l’âge de la maturité. Il a passé le cap de l’enfance. Regarde aussi sa queue, elle est belle, grande et remplie de magnifiques couleurs qui se dévoilent sous les rayons lumineux du soleil. Il peut à présent se reproduire et penser à être papa dans les prochains mois. Mais toi aussi tu sais…mais il faut tout d’abord que je te, enfin que je vous raconte une histoire.
Pico se regarde, s’admire, il est adulte ! Il pense à fêter cela mais après que le sage leur ait raconté l’histoire.
– Il était une fois, il y a très longtemps, une maman corneille qui couvait ses œufs. Elle était pour la première fois mère et prenait un temps fou à protéger sa future progéniture. Un jour, un rapace aux grandes ailes, tournoyait au-dessus du nid et de maman corneille. Jusqu’au bout elle défendrait sa nichée, même s’il fallait mourir, disait-elle. Elle criait, criait si fort que toutes les corneilles des environs volaient à son secours. Par la masse d’oiseaux noirs se formant, le rapace prit peur et alla chercher une autre victime. Quelques jours plus tard, les bébés corneilles cassaient leurs coquilles d’œufs et sortaient respirer l’air libre. Cinq petits étaient nés. Encore forts protégés par maman corneille et nourrit par l’autre parent durant une bonne dizaine de jours, les petites corneilles ne sont pas encore indépendantes qu’elles pensent déjà à quitter le nid. Ne sachant pas encore voler, elles risquent leurs vies à jouer à l’équilibriste sur le bord du nid. Soudain, un beau matin, il n’en restait plus quatre. Le plus gros, le plus maladroit et le plus têtu est sorti plus tôt que prévu. Sans gros bobo, il avait atterri à terre. Ses plumes n’étant pas suffisamment développées pour le vol, il ne pouvait que marcher et sautiller pour se déplacer. Il avait beau crier pour que sa maman ou son papa viennent jusqu’à lui pour lui donner à manger, ses cris restaient sans réponses. Ses parents s’étaient dit que comme il avait voulu quitter plus tôt le nid familial, à l’encontre des conseils des grands, il n’avait qu’à se débrouiller tout seul.
Tant bien que mal, il était arrivé à grimper, pierre après pierre, sur le rebord d’une fenêtre ! Il ne savait pas ce qui l’attendait, il ignorait s’il frappait à la bonne vitre. Fort heureusement pour lui, une dame assez âgée avait eu pitié de lui et avait décidée de l’héberger chez elle le temps qu’il atteigne l’âge adulte. Seulement, la pauvre dame ne s’était pas très bien renseignée et donnait une nourriture pas adéquate à la petite corneille. Du pain trempé dans le lait aidait l’oiseau à grandir et vivre mais il se développait mal.
Quelques semaines plus tard, il revenait à son nid retrouver toute sa famille. Bien qu’il sût à présent voler, il était différent des autres. Il était plus petit et des barres grises s’étaient formées sur chacune de ses ailes.
Les parents voyant cela l’ont banni et interdit de revenir dans leur territoire. Toutes les corneilles qui étaient adultes savaient qu’un sort avait été jeté à ce pauvre jeune oiseau devenu grand. Même s’il était accepté par d’autres tribus, au moment de la reproduction il ne trouvait personne qui voulait bien l’accompagner dans la vie de couple. Malheureux, il avait réussi à se faire oublier et plus personne ne l’avait revu vivant. Ils ne savaient pas si cet oiseau maudit avait fini par mourir plus tôt que les autres ou bien si ces taches avaient fini par disparaître après la nouvelle mue. Ce mystère était resté dans toutes les mémoires.
Aujourd’hui, on ignore toujours la suite de cette mauvaise pigmentation mais on en connaît la cause. Une mauvaise alimentation durant la période de nourrissage au nid peut avoir un effet très négatif sur l’évolution de la taille et sur la couleur des plumes. Ainsi pour cette petite corneille, qui avait été recueillie par un humain et n’avait été nourrit principalement que de pain trempé dans du lait accompagné de restes de repas. Déjà que le lait est indigeste pour les animaux mais alors avec du pain, cela manque cruellement à l’équilibre naturel d’un oiseau. Et depuis ce jour, les mauvaises langues ont répandu une fausse croyance : toute corneille qui avait des taches blanches ou grises dans le plumage signifiait qu’elle s’était enfuie du nid familial et qu’un sort lui avait été jeté afin qu’elle ne puisse jamais plus se reproduire. Une leçon en quelque sorte pour toute jeune corneille n’écoutant pas les ordres de ses parents. Malheureusement, il fallait se rendre compte à l’évidence que d’autres corneilles étaient touchées par ce sort. En effet, il suffisait que des parents se nourrissent plus souvent avec du pain qu’à l’habitude, qu’ils donnent cette nourriture par régurgitation à leurs enfants pour que ceux-ci soient eux-mêmes indirectement victimes de cette carence. Hélas, comme beaucoup d’adultes, les premiers parents à avoir vécu cela ne voulaient pas se remettre en question et admettre leur faute. Ils ont alors fait croire que les jeunes corneilles qui étaient touchées par ce sort allaient mendier ailleurs derrière le dos des parents et revenaient au nid pour ne pas se faire sermonner. C’est ainsi que cette malédiction a vu le jour et se propage dans l’histoire de toute nouvelle corneille qui voit le jour.
– Mais alors, je vais mourir bientôt ou alors mes taches disparaîtront ?
– Je ne peux pas te répondre, mais je crois que si tu as vraiment envie de changer l’histoire, il faut vivre pour leur montrer que tu es le plus fort et que malgré cette différence tu es capable de te reproduire et d’élever à ton tour des enfants.
– Mais un jour j’ai rencontré un merle entièrement blanc immaculé. Il avait aussi les pattes et le bec rose. C’est qu’il n’a dû se nourrir que de pain alors ?
– Non, avoir un plumage entièrement ou partiellement blanc net, c’est une malformation congénitale. L’alimentation n’a rien à voir avec cela. Les individus qui ont cela ont parfois aussi les yeux rouges. Généralement aussi, ils ne vivent pas très longtemps et, eux, sont incapables de se reproduire, non pas par refus de compagne mais parce qu’il manque un gène dans leur corps qui fait qu’ils sont stériles et qu’ils ne peuvent donner le produit qui féconde les œufs. On les appelle des albinos ou le terme d’albinisme caractérise cette malformation.
– Si je comprends bien, je ne dois plus jamais manger de pain alors ? C’est vrai que je m’en suis souvent nourri lorsque je commençais doucement à me faire rejeter de ma colonie. J’étais à ce moment là plutôt faible et pas très beau car mon plumage était tout abîmé. Mais je ne me souviens plus quand les premiers symptômes sont arrivés. Si ça se trouve mes parents eux-mêmes sont responsables car ils n’ont pas été assez doués pour trouver la nourriture qui me fallait ? Ils étaient aussi peut-être fatigués de nous nourrir. Je suis le plus jeune de tous, le dernier né. Je comprends qu’après avoir nourri quatre rejetons, on manque de courage pour un cinquième !
– Oui tes parents sont peut-être partiellement coupables et le fait que tu étais faible, plus petit et avec un plumage pas très joli, c’est le résultat de ces taches. Essaye de manger le plus de matière végétale et animale et peut être que tout cela ne sera, plus tard, qu’un mauvais souvenir. Manger équilibrer, c’est la meilleure recette pour une bonne santé, et c’est valable pour tout le monde.
– Mes parents m’avaient raconté cette histoire mais je n’y croyais pas trop dès le début. C’est un coup de chance que je l’ai pris sous mon aile et aidé à voyager. Nous avons dès lors rencontré le sage et nous savons tout à présent sur cette carence. Nous allons faire changer l’histoire, enfin nous allons essayer car il faut non seulement rééduquer nos parents mais aussi éduquer les humains à ne plus nous jeter du pain en quantité si importante.
– Ça va être difficile, c’est immense notre mission. Ce n’est pas demain qu’on rétablira l’ordre des choses, mais, qui sait, peut être que nos petits-petits enfants ne connaîtront plus ce problème ni cette superstition idiote.
– Apprenez aux autres qu’une différence n’est pas un poids mais une mauvaise histoire que l’on colporte. Il y a solution à qui veut entendre. Etre moucheté n’a pas non plus que des inconvénients, on peut ainsi savoir quel âge a la victime, on peut la reconnaître parmi mille autres oiseaux. Ces oiseaux sont simplement différents, un point c’est tout.
– Moi je retiens qu’il ne faut pas se faire une idée tant que l’on ne connaît pas toutes les informations qui se cachent derrière.
– Et moi je me souviendrai toute ma vie qu’il ne faut jamais abandonner espoir tant qu’on n’a pas cherché toutes les solutions.
– Et moi je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir écouté et d’avoir cru en moi. Un sage, tout le monde peut l’être un jour. Il suffit de vivre, d’écouter et d’aider son prochain.
FIN DE L’HISTOIRE
