Eh bien non ! Je ne prends pas de somnifère, j’ai toujours eu la chance de pouvoir et de savoir m’endormir très vite, quand je le veux. Et pourtant, je suis en train de me demander ce que mes enfants ou mon compagnon mettent dans mon eau ou dans mes repas du soir pour faire des rêves aussi tordus et bizarres ! C’est flippant !
Si au moins je peux dire que je prends un médicament, quel qu’il soit et qu’il s’agit là d’un effet secondaire ou indésirable, mais que nenni, je prends actuellement juste la vitamine D et mon jus de citron matinal. Ou est-ce une overdose de vitamines qui provoque ces délires nocturnes ?
Le livre que je lisais, et que j’ai fini par abandonner à la moitié (aussi loin, il est rare que je stoppe ma lecture, mais si c’est pour m’ennuyer, ça ne sert à rien) aurait pu en être la cause vu ce qu’il y avait d’étranges bestioles dans cette histoire, mais ça fait deux jours et deux soirs que je ne l’ai plus ouvert et que j’ai commencé un autre livre…
Ou alors, c’est à effet retard. Comme certains médicaments (rires).
Il fait beau. C’est le printemps. Dans le jardin, des fleurs s’épanouissent. Nous sommes plusieurs à être là, à papoter, à regarder les insectes butiner, un verre de jus de pommes à la main.
Nous sommes plusieurs, mais j’ai l’impression d’être la seule à être vraiment là. Une désagréable sensation que les autres, c’est du vent. Une façade. Une image qu’ils se donnent. J’entends un brouhaha de blabla, sans discerner les mots, sans comprendre les phrases, sans entendre les rires faux et superficiels. À bien les regarder, eux ne font attention à rien, fleurs, insectes, papillons, n’existent pas. Uniquement la ou les personnes en face d’eux. Le centre de leur attention est dévié.
J’avance dans l’herbe haute. Le jardin s’est transformé en champ. Immense. Les gens me semblent moins nombreux. Je respire mieux. Par-ci, par-là des bloqués de verre, comme des serres ou des vérandas disposés nonchalamment dans le champ. Une sorte de cuisine ici. Un atelier de menuiserie là-bas.
Tout à coup, je le vois. La voit. Une flèche bleue. En vol. Elle fonce. Le Martin-Pêcheur a vu un poisson nager dans le petit étang, à travers la vitre d’un bloc de verre. Le choc est inévitable. J’assiste impuissante à l’accident. PAF ! J’attends une ou deux secondes qui me semblent interminables. Va-t-il se relever ? S’en remettra-t-il ? Il ne s’envolera pas. Il est sonné. Vite ! Vite ! Je vais le retrouver. Je pousse des coudes. Je demande pardon. Personne ne se soucie de moi. Et encore moins de l’oiseau inconscient qui traîne par terre.
Il est là. Je le prends délicatement dans mes mains. Il semble bien plus grand que dans mon souvenir. Des Martin-Pêcheurs, j’en ai déjà vus. Plein. Taille d’un Rouge-Gorge, un chouia plus grand peut-être, plus robuste, plus « trapu ». Celui que je tiens entre les mains a la taille d’un Pigeon ramier, et encore, plutôt une corneille, mais avec la force des ailes d’un Pigeon. Il s’est à moitié réveillé. Je fais attention à son long bec, comme un poignard, comme celui du Héron, en plus court néanmoins. Je desserre mon étreinte. J’hésite à essayer de le relâcher. Mais pas ici. Pas avec tout ce monde. Le champion de la pêche, se calme aussitôt. Il retombe tout mou dans mes mains. Sous le choc. Ne pas le relâcher immédiatement. Le mettre à l’abri. Dans le noir. Dans le calme. Après on verra. Après, je verrai.
À travers son plumage électrique, je sens son petit cœur battre. Son pouls est rapide. Il galope tel un cheval dans une prairie. Son corps est tout chaud. La température corporelle des oiseaux est plus élevée que la nôtre. Même plus haute que celle du chat. Elle avoisine les 40-41 degrés Celsius, si je me souviens bien.
Saut dans le temps, saut dans l’espace, saut dans le monde onirique. Toujours des gens. Plein de gens. Dans une immense maison à plusieurs étages. Je suis au rez-de-chaussé. Beaucoup d’enfants aussi. Bruyant. Criant. Courant partout. Ma collègue à la librairie est là. Je la retrouve dans une pièce à l’écart. Elle me parle de sa belle-famille. De sa méchante marâtre. Sa belle-mère, je l’ai vue il n’y a pas si longtemps, elle ne me semblait pas terrible, pas méchante. Que du contraire.
« Les gens sont faux » me dit-elle. Elle est en pleurs. Je la console comme je peux. Un peu maladroite, mais remplie de tendresse. Je n’aime pas voir les gens que j’aime, si mal. Je suis une éponge. J’absorbe leur mal-être et je me sens mal à mon tour.
Elle est partie se changer les idées. Dehors. Prendre l’air. Respirer. Me laissant seule. Avec tous ces inconnus. Je mange un biscuit. Avec du chocolat. Le chocolat est réconfortant. Des enfants arrivent. Ils courent autour de moi. Ils rigolent avec force et vie. Je me sens oppressée. Je n’aime pas le bruit. Je déteste les cris. Les rires exagérés. Tout à coup, un enfant me chipe mon biscuit. D’autres ont pris mon pull. D’autres ont caché mes affaires. Mon téléphone portable. Mes clés. J’essaie de récupérer mes affaires. Je maintiens une petite fille. Huit ans maximum. Elle me défie du regard. Elle a une force surhumaine. Je n’arrive pas à lui faire lâcher prise. Elle sourit. Elle se moque de moi. Alors je mord un doigt. Et je la regarde. Elle n’a pas mal ! Je suis démunie. Je veux récupérer mes affaires. C’est à moi. Je me mets à pleurer. Toutes les gosses se moquent de moi. Me montrent du doigt. Quand les mères rappellent leurs rejetons, elles s’en vont, légères, sans se soucier de la souffrance qu’elles ont causé chez moi. Insouciantes. Égoïstes. Mal élevées. Méchantes.
Le réveil est brutal. Subit. Comme un appel d’air. Bouche sèche et pâteuse. Gorge serrée. Besoin de me lever. De marcher. De retrouver mes esprits. À côté de mes pompes. À côté de mes pantoufles. Pas bien. Ailleurs. Déstabilisée.
Je me prépare un chocolat chaud, oubliant mon jus de citron matinal et même mon thé, ma routine. Et je mange un biscuit au chocolat en guise de petit-déjeuner !!
Je ne veux plus me rendormir.
On est dimanche. Il est 6h30 quand je me réveille pour de bon.