J’ai découvert sur la toile virtuelle un chouette blog : tisser les mots. C’est un peu ce que j’avais envie de faire en imaginant lancer un jeu d’écriture sur mon blog une fois par mois. Tisser les mots, c’est un atelier d’écriture virtuel où tous les mois, 2 propositions d’écriture sont données.
Voici mon texte à partir de la proposition 48, les mots en gras sont des mots imposés et le thème est « partir à la découverte d’un nouveau monde ».
Petit soleil deviendra grand
Quelque part, sur l’étoile Soleil, à quelques XX6ξϠWOZ degrés ouest de notre latitude…
Jonas, les cheveux en bataille, les vêtements sales et troués était occupé à dessiner un étrange, petit, riquiqui, minuscule bonhomme quand son Maître de l’équilibre passa à côté de lui.
– Alors mon rayon, on oublie ses leçons ? Cesse donc de gribouiller ces trucs, ces extrasoleilestres, ces Terrons comme tu les appelles, et passe-toi de l’eau sur ton visage, tu vas bientôt t’enflammer comme une brindille !
Jonas n’a pas plus de cent et huit ans, il en paraît mille de plus tellement il se néglige. Sa lumière est pâle mais bouillante, ses membres ne rayonnent plus droit, et avec sa manie de laisser pousser ses cheveux, il se ramasse toutes les poussières de l’univers, héritant ainsi de taches brunes disgracieuses sur presque tout son corps jaune.
Il va à l’école, deux fois par cycle. Une fois sur deux, il a la tête dans la Voie Lactée, l’esprit ailleurs, et son Maître de l’équilibre désespère de lui apprendre le b.a.ba de sa leçon : chauffer, sans brûler, illuminer sans aveugler, bref trouver le juste équilibre, telle est sa devise.
Jonas est un petit soleil comme tous les autres pourtant. C’est juste qu’il est distrait la plupart du temps. Il n’est pas méchant, que du contraire, mais à vouloir absolument faire croire à tout le peuple solaire que les Terrons existent bel et bien, il va finir par être rejeté, ou pire, pris pour un fou !
Si au moins, il retenait ce qu’il apprenait, il en aurait des réponses à ses questions qui le tourmente .
Mais il trouve son existence longue et ennuyeuse. Ils sont tellement nombreux sur cette étoile que s’il venait à disparaître, personne ne le remarquerait. Personne, sauf, pense-t-il, un Terron. C’est la raison pour laquelle il s’intéresse particulièrement à eux. Il croit en une vie ailleurs, par delà la couronne solaire, par delà l’obscurité, il y a une autre lumière, moins criarde, moins aveuglante, plus douce.
Le soir arrive… A la maison, emmailloté dans son pyjama qui ne laisse passer ni lumière, ni chaleur, Jonas se penche par la lucarne de sa chambre et observe au télescope le petit grain de sable bleu qu’il nomme la Terre. Il sait que la distance qui le sépare de ce petit grain fausse toutes les perspectives. Il s’imagine que les Terrons sont petits, très petits et qu’un habitant de cette planète devrait être aussi grand que la moitié du sixième du tiers de son plus petit rayon inférieur. Jonas pense qu’ils sont tout à fait différents physiquement, ils doivent avoir la peau bleue, du même bleu qu’il observe au travers de la lentille de son appareil, et peut-être même qu’ils ont le sang froid, à être aussi éloignés du Soleil.
Il ne croit pas que là, tout en bas, certains vivent aussi un train d’enfer comme lui. Il n’est pas le seul à fabriquer de la lumière, mais comme il a beaucoup de mal à envoyer toute cette énergie dans l’univers, il doit fournir beaucoup plus d’effort pour que les photons parviennent jusqu’à l’atmosphère et brûlent d’une chaleur honorable. Il faut dire qu’est né avec un peu moins d’hydrogène que les autres, c’est pour cela qu’il a un peu moins de force. Heureusement, la nature a été généreuse avec lui en développant un peu plus un autre sens : la vitesse. Tous les jours, quand il n’a pas école, il passe son temps à courir après la lumière. Dès qu’il atteint les 300 000 kilomètres par seconde, il lâche l’énergie emmagasinée dans ses rayons et il calcule avec inquiétude la distance qu’elle effectue le temps qu’il reprenne son souffle. Parfois, il doit s’y reprendre à deux ou trois reprises afin que la traînée arrive à la frontière de son étoile. Quand il voit une étincelle jaillir tout au loin, c’est le signe qu’il a réussi à atteindre son objectif. Il peut alors contempler ses efforts et admirer son travail quand les fils immaculés sortants de ses rayons laissent une belle traînée or derrière eux.
Après, bien sûr, il y a toujours des compétitions entre les enfants : ils calculent l’énergie la plus rapide, celle qui donne le plus de chaleur, la plus puissante en lumière, celle qui dure le plus longtemps, qui fait la plus belle traînée, etc.
Jonas n’aime pas ces concours, il gagne rarement.
Quelques cycles solaires plus tard, au lendemain d’une lune rouge fabuleuse…
Depuis qu’il a pris son travail pour un jeu et non plus comme une obligation pesante et barbante, notre petit Soleil a fait des progrès extraordinaires.
Quand il a veillé toute cette nuit Dame Lune, pour la voir disparaître puis revenir toute rousse, pour ensuite renaître plus brillante que jamais, il a tout de suite pensé aux enfants qui vivent sur la Lune et qui ont dû beaucoup s’amuser à changer la couleur de leur satellite.
Au petit matin, il s’est alors plu à courir toujours aussi vite, mais en y mettant une énergie qu’il n’avait jusqu’ici pas encore sortie. Une énergie puissante et rapide.
Ce matin, Jonas, petit soleil parmi des milliers d’autres, a réussi à remporter le trophée de la plus belle traînée zigzagante qu’on ai jamais vu depuis plus de deux cent cinquante ans ! Il était tellement fier de sa prouesse, qu’à peine son souffle récupéré, il s’est remis à courir aussi vite que l’éclair. Et il a réussit une deuxième fois le même exploit !
Aujourd’hui, Jonas se pose toujours plein de questions, mais il se sent un peu moins malheureux depuis qu’il a vu qu’il était capable de laisser une trace différente sur cette étoile gigantesque. Il ressemble peut-être à des milliers d’autres petits soleils, et pourtant, il est différent.
Est-ce qu’il existe un petit Terron comme lui, en bas ? Un gentil enfant tout bleu, qui regarde en l’air en se demandant s’il existe d’autres êtres vivants, ailleurs, d’une autre couleur ?
Ça se pourrait bien ! Jonas, lui, y croit toujours. Et à présent, il se demande quel travail peut bien faire un petit Terron… mais ça, c’est une autre histoire.
