Dans les nuages

Pour une ancienne proposition (la n°9), Tisser les Mots, voici ma petite histoire qui est un vrai délire :-)

Dans les nuages

Me voici coincée à l’hôpital pour quelques jours, le temps d’une opération. On m’opère du dos, une opération courante, mais une première pour moi.

Ce matin, à jeun, je me lave avec un savon spécial, corps et cheveux, puis j’enfile la chemise des opérés, une chemise qui se ferme dans le dos… heureusement, les infirmières sont là pour m’aider, même si je sais que je finirai presque toute nue sur la table d’opération, je préfère ne pas y penser. L’opération se passe  bien, du moins, je le suppose, je n’en garde aucun souvenir, bien sûr. Après avoir vomi et déliré un peu, on me remonte dans ma chambre.

Il est quatorze heures. Couchée sur le dos, je ne ressens pas la moindre douleur. Je profite de cet instant où je n’ai pas mal aux jambes et tourne ma tête vers à la gauche, côté fenêtre. Ma chambre d’hôpital est située au 5ème étage et j’ai une vue dégagée de ma région. Cet après-midi, le ciel est bleu parsemé de quelques moutons blancs, épais, qui dessinent dans l’horizon d’étranges créatures imaginaires… ou non. Je devine sans difficultés la tête d’un cheval quand celle-ci se déforme. Je crois rêver quand mon regard fixe l’œil de la bête et découvre un petit bonhomme potelé qui s’active et monte sur une échelle. Le cheval tout à coup a un profil plus allongé, un museau qui s’effiloche et ses oreilles disparaissent carrément. De ses mains aux doigts dodus, le petit bonhomme enlève le regard de l’animal en prenant une poignée de cumulus pour en faire une boulette bien ronde, puis il l’intègre dans la nouvelle forme qui prend vie, là, juste sous mes yeux. Le cheval n’est plus, en lieu et place se trouve un magnifique champ de fleurs. Le petit bonhomme souffle sur quelques détails, le nuage allongé bouge un peu, prend plus de dimensions. Les fleurs s’élèvent sur des tiges immenses et elles continuent leur ascension quand le petit artiste se retourne et m’interroge avec un pouce levé puis un pouce vers le bas avec un léger mouvement de la tête pour me demander mon avis. Je ne suis pas certaine qu’il s’adresse à moi, donc je ne réponds pas. Le petit bonhomme s’approche de ma fenêtre, il est assis à califourchon et avance sur une sorte de fusée russe ultra moderne. Le bonhomme, qui est en fait un autre nuage, plus épais, plus rebondi, avec deux étoiles pour pupilles, a un charme indéniable. Et là, à mon niveau, il n’y a plus le moindre doute, c’est bien à moi qu’il s’adresse. Par des gestes, il me fait comprendre que je dois choisir la hauteur des fleurs : plus haute ou plus basse ? Je regarde alors plus attentivement derrière lui et constate que les tiges sont si grandes que je n’en vois pas la fin. Alors, ma main, d’abord haute, descend, encore un peu, un peu plus jusqu’à ce que les tiges, mangées par le petit bonhomme nuage atteignent une hauteur normale pour des fleurs nuages. Alors je lève la main pour dire « stop ». Le fleuriste moutonné sourit, s’accroupit, grignote la base des fleurs puis, de ses deux petits bras, rassemble toutes les fleurs coupées et m’offre ce beau bouquet de Tulipus Cumulus Nimbus.

Jamais, jamais, jamais, je n’aurais cru possible un tel délire!

Il me faudra attendre le lendemain matin pour que le produit anesthésiant ne me fasse plus divaguer et que je découvre, sur l’appui de ma fenêtre, un bouquet de fleurs blanches en… bonbons !