Le traquenard

6ème histoire, une qui fait partie de mes préférées… et vous ? merci à Cigalette, ma maman,  pour son illustration :-)

Isabelle va passer un week-end à la campagne. Elle veut à tout prix s’aérer l’esprit et passer un moment seule, loin du chahut du centre ville où elle habite.

Loin de tout, Isabelle tente de profiter de l’instant présent. Aujourd’hui, c’est l’été et il fait un temps superbe pour sortir. Cela tombe à pic car elle adore les promenades dans la forêt.

Après une bonne heure de marche, la jeune femme pense à s’asseoir. Non loin d’elle, un petit bois offre toute l’ombre nécessaire à un repos bien mérité. Elle ne doit pas y pénétrer bien loin pour découvrir un endroit qui lui convient.

 » Tiens, on dirait que je ne suis pas la seule à avoir eu cette idée. Ce lit de douces et immenses feuilles de marronniers me semble parfait pour ma sieste. »

Elle ne réfléchit pas plus longtemps et s’y installe. Rapidement, le sommeil la gagne. Le calme de la campagne, la douceur du soleil et la tiédeur du vent l’emmènent dans des songes bien différents.

Le temps passe rapidement. Petit à petit, la forêt est traversée par le soleil. Isabelle ne peut admirer ce spectacle d’ombres et de lumière car elle fait un terrible cauchemar où des milliers de fourmis grimpent sur elle, envahissant chaque orifice de son corps. Dans ce rêve sombre, beaucoup de détails font surface et rendent cette illusion réelle. De manière tout à fait involontaire, Isabelle repousse sur ses bras des insectes invisibles. Elle dort toujours. Des gémissements sortent de sa bouche. Ses yeux ont du mal à croire ce qu’elle voit. Elle ne souffre pas et pourtant malgré sa chair déchiquetée, malgré le sang qui coule abondamment, elle n’a pas mal. Elle rêve encore. Mais, quand une fourmi géante la mord à pleines pinces, elle se réveille en sursaut, chassant encore et toujours des bêtes imaginaires.  A présent, Isabelle est bien réveillée. Le soleil l’aveugle désormais et elle a mal aux yeux tellement la lumière est forte. Elle frissonne, de peur. Son cauchemar reste gravé dans sa mémoire.

« Aller, Isabelle, bouge-toi de là. Ce n’était qu’un rêve. Un stupide rêve. Les fourmis géantes, ça n’existe pas. Tu as quand même une imagination incroyable, d’où tu sors tout ça ? »  Elle tente de se rassurer toute seule.

Puis, pour faire disparaître ce cauchemar de ses pensées, elle se lève et décide de reprendre sa balade, à l’opposé du bois.

Ces derniers temps, elle fait souvent de vilains rêves et elle se demande ce qui provoque ces songes horribles.

Elle avance au pas d’escargot, lentement, doucement. La tête dirigée vers le bas, comme à chaque fois qu’elle se lance dans de grandes réflexions, elle ne remarque pas les fils barbelés qui bordent le sentier et qui délimitent un champ. Rien ne serait surprenant si ce n’est que d’étranges choses sont accrochées à des piques.

–         Ah mais quelle horreur ! hurle-t-elle.

Isabelle vient de découvrir une fine patte d’oiseau. Elle revient à la réalité. La première fois qu’elle a vu le reste de cet animal empalé sur le barbelé, un instinct de dégoût l’a immédiatement submergé. Elle a reculé d’un pas et son estomac s’est révulsé. Après cette réaction tout à fait normale, Isabelle ose à nouveau regarder ce spectacle inqualifiable. Quand elle s’aperçoit que ce n’est pas la seule victime à être accrochée de la sorte, elle pense immédiatement à un rituel sorcier. Elle ne connaît pas grand chose à la sorcellerie ou autre tour de magie mais elle trouve intolérable que de pauvres bêtes doivent payer de leurs vies pour ça. Curieuse de nature, Isabelle veut à tout prix découvrir le coupable de ces actes sanglants. Elle note sur un petit bout de papier tous les animaux ou ce qu’il en reste et qu’elle parvient à identifier, qui ont été déchiquetés.

Tous sont empalés sur le fil et tous sont en de piteux états.

« Bourdon, lézard, moineau, un truc qui doit ressembler à un coléoptère et d’autres restes d’oiseaux ! C’est écœurant ! Si je trouve celui qui a fait ça… »

Isabelle ne termine pas sa phrase, un oiseau masqué au bec crochu passe en vitesse juste à côté d’elle. Au début, elle croit que l’animal lui en veut mais elle se rend rapidement compte qu’il chasse un insecte. L’oiseau vole en zigzag, imitant à perfection la technique de vol de l’insecte terrorisé qui tente par tous les moyens d’échapper à son prédateur. C’est la première fois qu’elle voit ce genre d’oiseau.

« Je me demande quel oiseau c’est. Il a un bec de perroquet.  »

L’oiseau vole toujours à la recherche de sa nourriture. Isabelle plie la liste des victimes qu’elle a trouvée et la met dans sa poche. Elle se met à croupi pour observer un autre « indice ».

« Voilà que je joue au détective à présent.  » Chuchote-t-elle.

Isabelle ne se rend pas compte que derrière elle, un homme s’approche. Silencieusement, les pas se dirigent vers elle. Arrivé à moins d’un mètre d’elle, l’ombre de l’homme trahit sa présence et Isabelle sursaute quand celui-ci pose la main sur son épaule.

–         Que faites-vous toute seule par ici, jeune dame ? Vous vous êtes perdue ?

L’homme est habillé comme un militaire. Il a un pantalon kaki, un gilet brun sans manche et même ses chaussures sont foncées. De grosses lunettes fumées cachent ses yeux.

Il fait peur à Isabelle.

–         Heu, non, Monsieur. Je me promenais quand j’ai vu ça.

Isabelle montre du doigt un bourdon empalé.

–         Et là, la terre est retournée. Je me demandais s’il n’y avait pas un autre pauvre animal mort qui était enterré là quand vous m’avez surprise.

–         Oh je ne voulais pas vous faire peur. Je vois de quoi vous parlez, ça doit être le travail de l’Ecorcheur, répond l’homme d’un ton si doux qu’il met mal à l’aise la jeune femme.

L’homme ne semble pas remarquer le regard affolé d’Isabelle.

« Mais de qui il parle ? Il a l’air de le connaître ! Oh dans quel guêpier je me suis encore fourrée ?  »

Isabelle pense qu’elle est en danger. Elle cherche une excuse pour partir au plus vite mais l’homme l’invite à marcher un peu avec elle.

–         Vous n’auriez pas l’heure s’il vous plait ? Je n’ai pas de montre et mon, heu, mon fiancé m’attend pour le goûter, lance-t-elle dans un mensonge qui pue à trois kilomètres…

Isabelle est sûre qu’elle a trouvé le bon prétexte mais l’homme lui répond négativement :

–         Non désolé, je n’ai pas de montrer non plus. Mais il doit être à peine plus de treize heures. Si vous voulez, je connais un endroit pas très loin d’ici d’où on pourrait observer l’Ecorcheur. Vous avez encore un peu de temps devant vous. Qu’en dites-vous ?

Isabelle ne sait pas comment se sortir de ce traquenard. Il n’y a rien ni personne aux alentours pour l’aider.

–         Regardez, c’est juste là. Vous voyez la tente près du buisson ? C’est ma cachette. De là je peux tout voir. C’est un excellent poste d’observation, lui dit-il en pointant du doigt son refuge.

« Mais ce n’est pas une cachette, c’est une tente ! » Isabelle est surprise. Son comportement alerte le bonhomme.

–         Vous avez raison, ce n’est pas une cachette pour les humains mais pour les animaux, ils n’y voient que du feu.

« Un chasseur ! » Pense-t-elle.  Isabelle déteste les chasseurs.

Elle décide de se cacher une heure pour voir ce qui pourrait se passer. Après tout, il est bizarre mais n’a pas l’air méchant. Et puis, elle pourrait toujours lui donner un coup de genoux dans les parties intimes pour se sauver…

Evidement, personne ne passe, si ce n’est toujours le même oiseau au bec crochu qui ne cesse de faire des allées et venues le bec remplit de nourriture.

L’endroit où ils sont réfugiés n’est pas du tout confortable. Et puis elle a chaud, très chaud. Un coup d’œil aux alentours lui permet de croire qu’aucun animal ne sera plus tué aujourd’hui.

« Pas devant moi, il n’oserait pas. Mais si son copain l’Ecorcheur arrivait ? »

L’homme observe les environs aux jumelles. Etrangement, il est devenu silencieux. Isabelle ne sait même pas ce qu’il regarde, elle ne voit rien qui puisse l’intéresser et elle profite de ce moment pour s’éclipser. Au moment où elle fait un pas en arrière, il attrape son poignet.

–         Chuut, plus un geste ! dit-il en chuchotant. Il est là. L’Ecorcheur, il est là, devant toi ! Viens, prends les jumelles lui dit-il brusquement, et en la tutoyant soudainement !

Isabelle n’ose plus faire le moindre mouvement. Elle ne voit ni n’entend rien. Elle voudrait pleurer mais quelque chose l’en empêche. Et elle ne sait pas pourquoi elle se retient de verser des larmes.

–         N’aie pas peur, même s’il empale ses victimes sur ce fil barbelé, il ne risque pas de te faire du mal. Tu n’aurais quand même pas peur d’un oiseau ? Regarde, il fait des provisions pour sa nichée. Le nid ne doit pas être bien loin. Il s’appelle exactement Pie-grièche écorcheur. Un étrange nom pour un si bel oiseau, tu ne trouves pas ? Et ici, nous avons affaire au mâle, sa dulcinée doit certainement couver !

L’homme continue son discours ornithologique. Isabelle est prise au dépourvu. Rassurée par ce qu’elle vient d’entendre, elle s’approche plus franchement des jumelles installées sur le trépied.

Puis, elle regarde d’un autre œil cet homme qu’elle avait pris pour un tueur d’animaux ou pire… un tueur de jeunes femmes !

Un bruit dans la nuit

Histoire numéro 4 de la série. Merci maman Cigalette pour ton illustration !

Isabelle va passer quelques jours chez sa cousine Julie.  Pour les vacances de pâques, Julie lui a préparé un planning qui lui plaira à tous les coups. Au programme, balades dans la nature, esquisse d’animaux, formation sur la photographie et leçon de vie autour de la grossesse de Julie.

Julie et son mari Joe sont ravis d’héberger la « petite » cousine. Ils habitent la campagne, à plusieurs centaines de kilomètre d’Isabelle.

Julie va pouvoir se changer les idées. Depuis qu’elle a appris qu’elle attendait un bébé, elle est un peu tendue. La première grossesse ne s’était pas bien déroulée et elle avait perdu le fœtus.  A présent, elle en est à son septième mois et il y a moins de risques pour le bébé s’il venait à naître.

Au moment où Isabelle arrive, personne ne se doute de ce que vont vivre ces deux cousines. Des jours et des nuits d’angoisse les attendent…

Après la balade de l’après-midi, Isabelle se retrouve seule dans la chambre d’amis, sous le toit de la vieille ferme. La soirée arrive à petits pas et le ciel commence doucement à s’assombrir. Le printemps est bel et bien là. Les jours se rallongent et les températures sont plus agréables. C’est la saison préférée d’Isabelle.

Julie monte jusqu’au dernier étage pour souhaiter la bonne nuit à sa cousine. Au moment de baisser le volet de la fenêtre velux, quelque chose passe à l’horizon et fait reculer Julie d’un pas.

« Sans doute un pigeon » pense la jeune femme. Isabelle n’a rien vu et il vaut mieux ne rien lui dire pour ne pas l’effrayer.

« Voilà, tu peux t’installer à ton aise. Fais comme chez toi ! Je suis contente que tu sois ici, on va pouvoir faire de jolies balades et tu vas même m’aider à faire la chambre du bébé, Joe n’a aucun goût pour la décoration. »

– Oh oui, j’adorerais ! Et à propos, tiens Julie, c’est pour toi, enfin pour le petit qui est là. Isabelle tend un petit doudou multicolore en touchant de sa main le ventre de sa cousine. Dès le moment où toute sa main fut posée, le bébé réagit et se tourne.  L’émotion remplit la pièce. C’est la première fois qu’Isabelle peut ressentir une telle chose.  Alors que la joie est à son sommet, un étrange bruit se fait entendre non loin de la chambre.  Julie et Joe n’ont pas de voisins proches. Leur maison n’est attenante à aucune autre et pourtant, on aurait dit que quelqu’un ronflait très fort, juste à côté.

Tout de suite, l’imagination très fertile de la jeune femme se met en route. Elle s’imagine une étrange histoire avec un vagabond occupant de manière incognito la grande de la vieille ferme. Isabelle continue à rêver les yeux ouverts. Voyant la tête de sa cousine, Julie la bouscule gentiment et lui demande de retrouver la terre ferme.

– Tu as toujours été douée pour t’imaginer des histoires hallucinantes. Isabelle, s’il te plait, ne me fait pas peur avec ça. Tu sais ce bruit, et bien d’autres, ça fait une semaine que je l’entends et je ne suis pas encore parvenue à savoir d’où ça vient ni ce que ça peut bien être. Il est l’heure de dormir, on verra ça demain, tu veux bien ?

Isabelle ne veut pas donner des angoisses à sa cousine. Elle sourit et l’embrasse avant d’aller se faufiler dans son lit.  Elle va avoir tout le temps de réfléchir à la question après son départ

Demain est un autre jour…  mais avant ça, la nuit s’éternise.

Isabelle a du mal à trouver son sommeil. Elle essaie de dormir mais de discrets gémissements l’empêchent de fermer les yeux. Jamais elle n’a entendu pareils chuintements. Persuadée que ça vient de derrière son mur, elle se lève doucement et colle une oreille contre la surface froide et rugueuse du crépi. Elle n’entend rien. Pas un bruit, pas un froissement, rien ! Elle se recouche et à peine a-t-elle clos ses paupières que les plaintes recommencent. Dans sa tête, mille scénarios se bousculent. Impossible de mettre un mot sur ce qu’elle entend. Il fait extrêmement calme dans cette maison. Ce n’est pas comme chez elle où passage de bus, claquement de portière de voiture ou discussion bruyante se font entendre chaque nuit. Chez Julie, le moindre bruit prend de l’ampleur. Tout résonne. Isabelle peut même deviner quand sa cousine se lève pour aller à la toilette ou quand Joe monte les marches de l’escalier pour apporter un verre d’eau à la future maman.

Ça y est. Plus aucun bruit ne perturbe la quiétude campagnarde. Isabelle peut enfin sombrer dans ses rêves.

1h15 : un cri perce les tympans des habitants de la maison. Seul Joe qui dort avec des boules d’ouates dans ses oreilles ne se réveille pas. Le cœur de Julie palpite. Elle peut sentir son pouls cogner dans sa poitrine.

Isabelle s’est réveillée en sursaut et le temps d’un court instant, elle ne savait plus très bien où elle se trouvait. Quelqu’un la réveillée brutalement.

« JULIE ! » La jeune femme pense que sa cousine a fait un malaise pour crier de la sorte.  Elle descend bruyamment les escaliers et se saisit lorsque sa cousine ouvre énergiquement la porte devant elle.

– Qu’est ce qu’il se passe Isabelle ? Tu as fait un vilain rêve ? lui demande-t-elle d’un regard hagard.

– Mais ce n’est pas moi qui ai crié, je pensais que c’était toi ! lui répond sa cousine d’un ton inquiet.

Elles se regardent longuement. Ni l’une ni l’autre ne savent qui a poussé ce cri d’horreur.

Trois jours sont passés. Durant tout ce temps, les cousines entendent comme un cri dans ce mur.  Parfois ça passe presque inaperçu et à d’autres moments, ça se fait plus intense. Si fort qu’elles se demandent comment Joe n’a encore rien perçut.

Au début, avec le bruit de la télévision, Isabelle pensait à une course-poursuite de petites souris. Mais à présent, ce soir, elle l’a bien entendu. Impossible que ce soit un animal. Ça se rapproche davantage d’un gémissement ou d’un cri de douleur. Cette nuit, elle est restée debout, comme hypnotisée par cet étrange bruit qu’elle n’arrive pas à identifier. Par intermittence, il se fait plus net, plus clair, plus aigu. Parfois, elle en a la chair de poule. Après trois heures d’éveil, elle commence sérieusement à fatiguer. Son cerveau somnole, ses paupières se laissent tomber malgré elles. Le sifflement du vent épuise ses tympans.

4h25 : Tout le monde dort. Isabelle est toujours là, consciente de n’être plus que l’ombre d’elle-même. Elle devrait dormir mais elle entend encore ces chuchotements qui la dérangent. Ils sont moins forts que tout à l’heure mais ils sont encore là. Elle est curieuse et ne dormira qu’une fois le mystère résolu. Julie et son mari, eux, dorment à poings fermés.

Une demi-heure plus tard, ses sens sont en alerte maximum. Elle a, cette fois, entendu distinctement une voix ! Une voix humaine ! Une voix de femme ! Elle en tremble de peur. Elle commence à avoir froid. Elle passe son peignoir en laine. Sa cousine a aussi entendu le hurlement. Julie l’a rejoint. Elle s’est levée un peu précipitamment et elle a mal au ventre. Elle touche d’une main rassurante sa peau tendue par la trente-deuxième semaine de grossesse. Elle pince alors sa joue fraîche pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Elle n’entend plus rien ! Les deux cousines se regardent et ne comprennent pas très bien ce qu’il se passe. D’un pas incertain, Julie va jusqu’au mur de la chambre. Elle s’agenouille et colle son oreille contre le papier peint.

Joe dort d’un sommeil de juste. Rien ne le réveillera si ce n’est une urgence comme la course à la maternité.

Julie tourne en rond. Elle a du mal à se rendormir à cause de ce qu’elle a entendu. Elle décide de se changer les idées et va faire un tour dans la chambre de son futur bébé. Tout est presque prêt, elles ont bien travaillé. Il ne manque plus que le mobile musical. Le berceau, le fauteuil à bascule pour l’allaitement et les rideaux sur le thème des petites fées, tout y est. La lumière douce de la lampe murale renvoie les ombres de toutes les peluches. Le silence règne dans cette pièce. Julie s’imagine la petite fille qu’elle tiendra bientôt dans ses bras. Bientôt un petit être remplira de vie cette chambre encore vide de sourire.

Un petit coup de pied du fœtus rappelle la future mère à la réalité.

Un petit grattement sur le rebord de la fenêtre et un sentiment de peur renaît. Julie a rappelé sa cousine auprès d’elle mais elle hésite à réveiller son mari. Depuis qu’elle attend un heureux événement, ses peurs les plus profondes refont surface. Son odorat s’est développé et sa sensibilité s’est accrue. Toutes ces hormones de femme enceinte la déstabilisent. Ce n’est pourtant pas la première fois mais rien n’y fait, jamais elle ne s’y fera.

Les frottements dans le mur reviennent. L’esprit de Julie est à son comble. Isabelle et elle ont la même vision : elles s’imaginent qu’une jeune fille est emmurée, vivante, et qu’elle appelle au secours. Une image d’ongles grattant le ciment frappe les consciences des cousines. Et si elles avaient raison ? Et si une personne était vraiment en danger ? Comme par magie, au moment où elles émettent la plus improbable des possibilités, les bruits cessent. Elles se regardent. Le temps s’écoule lentement mais après dix minutes, il n’y a toujours aucun autre signe pour les mettre sur la voie de l’impensable. Julie baille à s’en décrocher la mâchoire. Il est temps pour les deux jeunes femmes de retourner dans leur lit.

Isabelle retourne, à tâtons, dans sa chambre. Julie est derrière elle. Le fœtus donne un second coup de pied, plus violent que le précédant. Elle s’assied sur le bord du lit, reprend son souffle et essaie de se tranquilliser. Elle doit se calmer, au moins pour sa fille. Le stress n’est pas bon pour le fœtus. Elle a déjà perdu un enfant en fausse couche tardive, elle ne tient absolument pas à perdre celui-ci. Sa cousine tente de la rassurer mais elle a du mal, elle-même ressent d’étranges choses.

Même si elles arrivent à se ressaisir, le sommeil ne veut toujours pas d’elles pour la nuit. Elles se relèvent toutes les deux, en même temps, et Isabelle veut passer de l’eau froide sur le visage de sa cousine inquiète.

Toujours dans l’obscurité la plus complète, elles se dirigent vers la salle de bain et ouvrent la fenêtre pour avoir un peu d’air frais. Julie connaît cette maison par cœur, il n’y a pas de quoi avoir peur. Le plancher qui craque, elle connaît. La voiture de patrouille qui roule lentement dans la rue ne la réveille plus. Le chat errant qui se faufile discrètement dans le soupirail de sa cave pour venir voler quelques croquettes ne l’étonne même plus. Elle tente, tant bien que mal de se rassurer, elle ainsi qu’Isabelle. Le gant de toilette humide l’accompagne dans sa reprise de conscience. Doucement elle parvient à refaire surface et à se calmer.

Soudain, un cri horrible déchire la nuit. Les cousines sursautent, l’une comme l’autre. Isabelle se raidit et n’ose plus bouger. Elle sent son cœur cogner rapidement dans sa poitrine. Julie se saisit et tombe à terre. Assise sur le linoléum, elle observe la chose s’envoler.

Isabelle suit du regard la même forme blanche s’éclipser dans la nuit.

Joe s’est réveillé d’un bond. Il cherche son épouse à côté de lui et ne la trouve pas. Il a un mauvais pressentiment. Isabelle l’appelle. Il ne sait pas définir si c’est une voix prise de douleur ou de peur qui le supplie de venir au plus vite.

Un liquide s’écoule du peignoir rouge de Julie. Tête baissée, elle sent cette flaque chaude sous ses fesses. Tout en aidant sa femme à se relever, Joe écoute avec attention l’histoire des drôles de voix, des chuchotements, des grattements qui ont amené sa femme et sa cousine à rester éveillées toute la nuit. Il n’arrive que péniblement à l’apaiser. Elle est sous le choc.

Isabelle, elle, n’a toujours pas bougé de la fenêtre. Elle  est tétanisée entre la peur pour sa cousine et son enfant et le cri qui lui fait perdre la tête.

Quelques secondes plus tard, après s’être assuré que ce n’était que de l’urine qui s’était échappé du corps de sa femme, Joe éclate de rire. Julie se décrispe et rigole à son tour, plus par nervosité que par spontanéité. Isabelle n’ose pas rire, trop gênée d’avoir été à ce point stupide.

L’idée même qu’une chouette effraie pouvait nicher dans la grange ne lui était même pas venue à l’esprit. Elle se dit qu’on ne l’y reprendrait plus.

Le mystère du croissant doré

Jeu 7 de Rébecca. Ecrire une courte nouvelle. Le point d’accroche de cette  fiction-éclair est le titre : Le mystère du croissant doré.

Erwan marche d’un pas assuré quand tout à coup, il aperçoit une forme géométrique luire dans la nuit. Quelque chose de jaune, de doré bouge à quinze mètres de lui, comme illuminé !

Erwan est un jeune garçon plutôt intrépide et sûr de lui. Or, ici, il s’arrête tout net et scrute la tache en forme de croissant bouger par à-coups.
Haute, dans le ciel, la lune pleine semble l’encourager à poursuivre sa route.
Dissimulé derrière des roseaux, les pieds dans l’eau, Erwan observe le croissant doré qui pique sa curiosité.
L’objet semble flotter à dix centimètres du sol. Il fait tellement sombre que le garçon ne distingue rien d’autres aux alentours.
Un bruit sourd résonne au loin.
Des clapotements déchirent le calme de l’eau.
Des ailes en mouvements lui font tourner la tête.

Erwan est bien content d’être tout seul. Ses copains riraient bien de lui s’ils le voyaient trembler comme une feuille, lui le « gars » qui n’a peur de rien, pas même du directeur d’école.
Il essaie de faire abstraction des bruits environnants. Il se concentre sur ce qu’il peut voir…
« Serait-ce la pierre de lune magique ? » pense-t-il. Il a beau avoir onze ans et ne plus croire aux contes de fées, le mystère du croissant doré l’a toujours intrigué. Pourtant, cette histoire n’est qu’une fiction…

A quinze mètres de lui, une marouette au derrière sali par la boue est sur ses gardes elle aussi. Tombée sur son pet, elle n’a pas vu qu’elle a écrasé un ver luisant… à présent, son popotin ressemble étrangement à un croissant de lune brillant, et un drôle de zozo à deux pattes l’épie !

Chose noire

Texte numéro 3… à vos commentaires :-)

Sa journée de travail est finie pour aujourd’hui. Isabelle prend un autre chemin que d’habitude car elle  accompagne une collègue jusque chez elle. Elles n’habitent pas très loin l’une de l’autre.

Il n’y a pas si longtemps, elle a déménagé et la jeune femme ne connaît pas bien les rues. C’est l’occasion pour elle de faire connaissance avec son nouveau quartier.

A quelques rues de sa nouvelle maison, Isabelle et sa collègue découvrent une habitation abandonnée. Pourtant, si on n’y prête pas trop d’attention, elle ressemble aux autres. Mais à son premier étage, une fenêtre sans châssis avec des restes de tentures brûlées raconte une bien triste histoire.

Isabelle s’arrête et observe cette maison. Le jardin semble avoir été entretenu il y a peu de temps.

– Ca doit être récent. Je me demande ce qui a bien pu se passer, dit-elle à Virginie.

Virginie, sa collègue, n’ose pas trop y prêter attention. Elle n’aime pas se prendre pour un détective. Isabelle, elle,  se concentre sur la fenêtre ou plutôt à ce qui pourrait s’y trouver un peu plus loin, au-delà du trou béant. Mais elle ne voit que du noir. Elle distingue à peine le plafond quand, tout à coup, quelque chose de ténébreux fait irruption dans l’obscurité. Elle n’a pas eu le temps de voir ce que c’est.

– C’était quoi ça ? Sûrement un animal. Et si c’était un cambrioleur ?

Alors qu’elle hésite à continuer son exploration, deux petites billes lumineuses se détachent de l’horizon et s’envolent.

– Impossible que ça soit un homme, sauf s’il a des ailes se dit-elle en rigolant. Virginie, tu viens avec moi, je veux voir ce que c’était !

– Heu, tu peux y aller. Je préfère t’attendre ici. Je n’aime pas rentrer chez les gens que je connais pas.

– Mais tu ne risques rien, il n’y a personne. Bon après tout, fais comme tu veux. Si tu restes là, préviens-moi alors si quelqu’un arrive.

Ce quelque chose a piqué sa curiosité. Elle regarde alors autour d’elle : personne. Elle franchit discrètement la barrière en bois. Elle passe l’entrée de la propriété. Son cœur s’accélère quand elle arrive à proximité de l’interdiction de passage qui se trouve sur le panneau. Sa détermination à découvrir ce qu’elle a vu furtivement est plus forte que la crainte d’être surprise à un endroit où elle n’est pas censée se trouver. Elle avance encore de quelques pas et s’installe dans le jardin. Très rapidement elle trouve sa position préférée. Assise en tailleur, elle attend que la chose réapparaisse.

– Et Isa, surtout te presses pas hein !

Dehors, il fait un temps très agréable pour se promener. Il est bientôt dix-sept heures. Le soleil est bas sans pourtant être déjà couché. Isabelle a encore au moins une bonne heure, si pas deux, avant d’être chassée par l’obscurité de la nuit. Elle n’aime pas la nuit. Elle a toujours peur des créatures imaginaires qui sont nées durant sa plus petite enfance et qui ne cessent de la pourchasser jusque dans ses rêves d’adulte ! Mais là, elle se sent bien. Demain, c’est le week-end, elle a tout son temps et n’est pas pressée de rentrer dans sa maison.

Dans sa tête, des mots défilent. Elle cherche à mettre un nom sur ce qu’elle a bien pu voir. Si la chose bizarre qu’elle a vue n’était pas là, elle se serait surprise à chercher la raison pour laquelle cette jolie maison a été abandonnée malgré l’unique pièce, semble-t-il, brûlée. Mais pour l’instant, il y a une autre énigme à résoudre. Obnubilée par son énigme, elle en a complètement oublié sa collègue qui se tient sur le trottoir et qui fait le guet pour elle.

« Je pencherais bien pour un chat. Mais ça semble être plus petit que ça. Une souris ? Non je ne l’aurais même pas remarquée. Et puis il m’a semblée que ça volait ou alors il a des ressorts sur les pattes pour faire des bonds extraordinaires ! »

Ainsi de suite, tout ce à quoi elle pense, est rapidement contredit par sa logique.

Un chat noir, un vrai, la distrait. Il passe non loin d’elle puis s’arrête. L’un et l’autre se regardent. L’animal semble calculer le danger potentiel qu’il risque s’il s’approche de la jeune femme. Isabelle ne bouge toujours pas. Elle pense attirer le minou tout noir. Celui-ci avance de quelques pas puis s’arrête à nouveau quand la silhouette aux contours mal définis réapparaît subitement. Isabelle ne sait pas où donner son attention : à ce chat noir à l’air sympathique ou à l’autre animal qui est dans la maison ?

« Car il doit bien s’agir d’un animal. A part ça, je ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre. Même une créature est considérée comme animal, non ? » se pose-t-elle la question à voix haute.

Le chat s’est encore rapproché et il n’est plus qu’à une longueur de bras de la jeune femme.

Juste derrière la haie qui sépare cette maison de la rue, deux petites mésanges volètent bruyamment. Isabelle ne leur prête pas réellement attention.

Un peu plus loin, dans le jardin, une poignée de moineaux pépie à tue-tête. Ils semblent familiers car aucun ne semble réagir à la présence d’Isabelle ni au petit manège du chat. En effet,  devant elle, le félin noir s’est couché de tout son long. La tête face au ciel rosé, ses yeux se sont fermés. Sa bouche s’est entre-ouverte brièvement mais aucun son n’est sorti de la gueule de l’animal. Un miaulement muet qui pourrait dire mille et une choses.  Isabelle sourit. Il ressemble un peu à son Minou sauf que le sien a une petite tache blanche sous le menton.

Soudain, un son étrange sort de la pièce accidentée, au premier étage de la maison abandonnée. Isabelle fixe la fenêtre fantôme.

Le chat s’est redressé d’un bond, ses oreilles dirigées vers la source du bruit.

Puis, plus rien. Le calme est revenu aussi rapidement qu’il a été brisé. Les mésanges se reposent et les moineaux font silence. Mais le bruit revient et se fait de plus en plus fort, de plus en plus précis.

Isabelle hésite. Dans son enfance, elle a déjà entendu ça. Elle était une toute petite fille mais elle se souvient très bien de la frayeur qui l’habitait alors. Elle devait avoir cinq ou six ans. Elle était en vacances chez son oncle, à une centaine de kilomètres de ses parents. C’était la première fois qu’elle dormait ailleurs et elle avait peur de cette séparation. Mais sa maman était très malade et elle devait bien se soigner pour vite guérir. Dans la maison de l’oncle Thomas, le plancher en bois craquait à chaque pas que l’on faisait. Les fenêtres vibraient à chaque passage d’avion et les portes s’ouvraient au moindre courant d’air. C’était une vieille cabane, perdue au fond des bois, mais les alentours étaient splendides. Tous les jours elle avait droit à une balade dans la forêt ou à une promenade en barque sur le Lac des Ancêtres. Mais un jour, un immense oiseau avait traversé la vitre du living. Dans un fracas assourdissant, l’animal emplumé s’était remis sur patte très rapidement. Il était indemne. Avec cette incroyable histoire, ce qui avait le plus surpris la petite fille, c’était que l’oiseau croassait d’une manière terrible. Il hurlait et faisait aller sa tête de bas en haut à chaque cri qu’il poussait. La voix du corbeau était grave et rauque. Son plumage était aussi noir que du charbon et personne n’osait l’approcher. Même le regard du corvidé était obscur. Isabelle croyait que l’oiseau allait voler jusqu’à elle rien que pour transpercer ses yeux.  Ni son oncle, ni elle n’a jamais su pourquoi le grand corbeau avait atterrit chez eux mais cette aventure avait marqué à tout jamais la mémoire de la petite Isabelle.

– « Ce bruit, ce cri, cette raucité dans la voix… il est revenu pour moi ! Mais comment m’a-t-il trouvée ? Comment est-il encore vivant après toutes ces années ? » Les questions se bousculent dans sa tête. Sa terreur est telle qu’elle est tétanisée et incapable de faire le moindre mouvement pour s’en aller loin de là.

Alors qu’elle est paralysée, le chat noir, rapide comme l’éclair, bondit dans le lierre accroché au mur de la maison. L’agilité des chats n’est plus à prouver, c’est connu. Aussi souple qu’un serpent, aussi fort qu’un lion, il grimpe sur le mur et pénètre dans la maison, par la fenêtre inexistante. On devine aisément la poursuite qui s’engage puis la bagarre qui s’annonce. Le grognement du chat n’arrive pas à couvrir la voix de la bête qu’il affronte.

Soudain, un oiseau aussi noir que la nuit et aux larges ailes s’envole par la fenêtre en poussant des hurlements effroyables.

Penaud et fier comme un paon, le chat ressort de la maison en se dandinant lentement, la queue dressée bien droite. Il vient se frotter au dos d’Isabelle, comme pour la rassurer. Isabelle se calme, caresse le chat et se promet de ne plus jamais franchir un endroit interdit.

– ça va comme tu veux, Isa  ? Tu as une de ces têtes ! Tu devrais te voir dans un miroir. T’as vu un fantôme ?

– Un peu, oui. Virginie, la prochaine fois, je ferai comme toi. Plus jamais je n’irai dans un endroit que je connais pas !

ça pique

Deuxième petite histoire dans cette série. Vous aimez ? Encore merci à maman Cigalette pour l’illustration !

Isabelle adore l’automne et les arbres qui se parent de leurs plus beaux habits. Mais elle déteste les journées qui deviennent plus courtes et les nuits qui arrivent plus vite.

Décembre est le mois qui annonce le début des festivités, de son anniversaire et des vacances d’hiver, juste après les examens. Généralement, c’est à ce moment-là aussi que le temps devient plus froid et que son jardin s’active de la visite de petits oiseaux frigorifiés et affamés. A présent qu’elle a un jardin, elle n’hésite pas à offrir aux mésanges, rouge-gorges et autres moineaux, des repas pour les aider à affronter les rigueurs de l’hiver. Elle ne se doute pas qu’il n’y a pas que les oiseaux qu’elle va attirer…

Le soir, juste avant d’aller retrouver sa couette qui va la tenir au chaud toute la nuit, Isabelle retrouve son calendrier. Depuis le premier jour de ce mois de décembre, elle a un petit rituel avant d’aller faire dodo. Sa meilleure amie lui a offert un calendrier de l’Avent avec pour chaque carré qui sépare le jour de Noël, un petit conte brillamment imaginé par une de ses camarades de classe. Les vingt-quatre petits contes forment une très jolie histoire complète sur Noël. Isabelle ne se lasse pas de lire ces mini récits et doit s’obliger à respecter l’ouverture des cases sous peine de voir briser toute cette magie.

Il ne lui reste plus que six cases avant de découvrir la fin de l’histoire. Elle s’est déjà imaginée plusieurs fins et elle sait qu’aucune ne se rapprochera de la bonne.

Dehors il fait déjà nuit depuis plusieurs heures. Les oiseaux sont partis des mangeoires. La lampe du jardin est éteinte depuis la dernière visite de madame la pie. Comme à son habitude, Isabelle s’est installée dans son lit pour lire. Elle déplie le petit papier qui est caché derrière le carré du dix-huit décembre. Il y a deux pages dactylographiées. Elle espère enfin pouvoir connaître l’identité de l’animal qui a fait autant de dégâts dans le jardin du vieux Gaspard. Elle croit qu’il s’agit d’un croisement entre deux bêtes féroces. Un animal qui fait autant de dommages, autant de bruit et qui passe inaperçu ne peut pas vraiment exister.

Avec le temps, elle a sympathisé avec bien des animaux, surtout ceux qui visitent son jardin. Elle aime beaucoup ces perruches vertes même si celles-ci la réveillent certains matins. Même le chat du voisin vient parfois discuter avec le sien.

 » Tout compte fait, ce déménagement n’est pas si mal. Jamais je n’ai eu autant de petits copains à poils ou à plumes.  »

Isabelle vient d’entamer sa lecture du soir. Elle est fatiguée mais ce petit moment ne lui prend pas beaucoup de temps. Elle veut savoir ce que c’est. Elle est tellement prise dans son récit que lorsque son minou saute sur le lit pour la retrouver, elle sursaute.

– Petit filou, tu m’as fait une de ces peurs…prévient quand tu sautes.

D’un geste automatique, elle caresse à son chat puis lui fait un bisou entre ses deux oreilles. Elle reprend son papier. Le félin ronronne de plaisir. Il cherche sa place au milieu du lit, il tourne sur lui-même deux ou trois fois et s’installe tout contre les jambes de sa maîtresse. Son ronronnement met du temps à s’arrêter. Bercée par ce bruit familier, Isabelle est sur le point de résoudre l’énigme de son histoire quand, tout à coup, la lumière dans son jardin s’illumine ! Les tentures sont fermées, mais un fin trait de lumière perce sur le bord du mur et au plafond. Elle n’a pas le temps de terminer le dernier paragraphe qu’un étrange froissement l’inquiète. Cette fois-ci elle n’a plus envie de se faire avoir comme avec les petites mésanges de l’été dernier. A regret, elle dépose le conte, se lève et enfile son peignoir.

Sur le bas de la porte qui donne au jardin, armée d’une torche puissante, elle balaye tous les endroits et moindres coins de son jardin. Aucun écureuil ne s’est enfui à son arrivée. Aucun oiseau ne s’est envolé subitement à son approche. Peut être n’était-ce qu’une chauve-souris qui passait par-là et qui a déclenché le détecteur de la lampe. Car elle ne voit strictement rien.

Quand Isabelle fait un quart de tour pour rentrer dans sa cuisine, quelques feuilles mortes au fond du jardin s’affolent. Le tas de feuilles qu’elle a amassé ce week-end semble ne plus former une petite montagne mais plutôt un amas informe. La lampe-torche dirigée à cet endroit ne permet pas de distinguer quoi que ce soit d’anormal ou d’étrange. Mais la visibilité n’est pas bonne, des zones d’ombres restent encore.

« Oh je suis sûre que ce n’est qu’une souris !  »

Sur cette certitude, Isabelle rentre chez elle. Elle est bien décidée à terminer sa petite histoire.

Sur son lit, à la place de son coussin, Minou s’est couché sur les feuilles de papier. Pas du tout intriguée par ce qu’aurait vu ou entendu sa maîtresse, il semble dormir d’un sommeil profond. Isabelle ne veut pas trop le réveiller. Elle tire délicatement sur le bout de la feuille qui dépasse de ses pattes avant mais Minou ne dort jamais complètement. D’un geste rapide, il tend une patte et sort ses griffes. Surprise, Isabelle a retiré sa main, mais c’est déjà trop tard. Une ligne rouge apparaît rapidement sur l’index de la jeune femme. Au sommet, une goutte de sang perle et tombe sur la patte de son chat. Minou se lèche puis continue sa toilette et tente de soigner comme il peut la petite blessure qu’il a occasionnée chez sa maîtresse. Ce n’est pas la première fois qu’elle se fait avoir de la sorte avec son Minou. Généralement, ça lui arrive quand elle joue avec lui. Il est toujours le plus rapide mais Isabelle essaye, en vain, de gagner à ces petits jeux inoffensifs. Et comme à chaque fois qu’il gagne, autrement dit tout le temps, elle doit panser la petite plaie par un sparadrap.

En revenant de la salle de bain, elle jette un oeil par inadvertance au tas de feuilles qui se trouve au fond du jardin. A cette vision, elle s’arrête subitement de marcher.

« On dirait que le vent se lève. Il a balayé tout mon travail dans le jardin. Plus de feuilles ni de branches bien regroupées. Tout est éparpillé.  »

Mais dehors, il n’y a pas le moindre souffle de vent. Pourtant, au fond du jardin, les feuilles mortes font du bruit. Un peu comme si quelqu’un marchait dessus.

La lampe s’est rallumée pour la seconde fois.

Toujours persuadée que son visiteur est une petite souris, Isabelle ne prête plus attention au jardin. Elle est plongée dans sa lecture…

Le lendemain matin, déçue de ne pas avoir eu réponse à sa question dans sa lecture du soir, Isabelle veut à tout prix connaître son mystérieux visiteur à elle. Elle n’a pas peur des souris mais elle craint qu’elles ne se reproduisent. Elle ne voudrait pas être envahie par ses petits rongeurs même si c’était pour le plus grand plaisir de son Minou.

Elle n’attend pas neuf heures pour attaquer ses recherches. Aidée d’une brosse à balai, la jeune femme termine le travail qui a été commencé la nuit : il ne reste plus une feuille morte sur une autre pas plus qu’une branche couchée sur une autre. Et il n’y a rien. Pas une souris, pas un mulot, pas un rat. Rien. Puis, un peu plus loin, en dessous de son barbecue en béton, Isabelle découvre un nouveau tas.

– Tiens donc, tu te cacherais là-dessous petite souris ?

 Il y a, normalement, une boîte en carton presque vide de petits morceaux de bois pour attiser le feu du barbecue. Isabelle ne distingue pas très bien la boîte mais imagine sa forme. Elle est dissimulée par tout un tas de feuilles mortes ! La jeune femme tente une nouvelle approche mais son pied glisse dans quelque chose qui ressemble à de la boue. Sauf que ce n’est pas de la boue ! C’est plus foncé et…

– Ah ! Ça pue !

C’est en reculant et en mettant la main devant sa bouche et son nez que la jeune fille découvre des traces de griffes sur le pourtour de sa clôture. Les marques sont profondes et trop épaisses que pour être l’œuvre d’un minou. Ce sur quoi elle a marché pourrait par contre correspondre à des déjections félines. Isabelle est dubitative. Il est certain qu’un animal doit rôder dans les parages mais lequel ?

Le dessous du barbecue est trop bas pour que la jeune femme puisse s’y glisser et y chercher quoi que ce soit dans la boîte en carton. Alors elle tend le bras. Elle enfonce sa main en plein milieu du tas quand, piquée à vif, elle crie de douleur et tombe en arrière. Sur presque tous ses doigts, de minuscules trous se sont formés et à chacun des orifices, une goutte de sang apparaît. Dans le creux de sa main, des éraflures à ne plus en finir strient sa paume. Isabelle tient son poignet par l’autre main. Elle jure et secoue sa main endolorie en même temps. Remise sur ses pieds, elle s’agenouille à même l’herbe humide et perce du regard ce qui reste du tas secoué. A une cinquantaine de centimètres de ses genoux, une petite boule brune respire péniblement. Isabelle ne distingue pas ses yeux, ni ses oreilles, ni même son nez. Elle perçoit tout juste les mouvements paniqués d’un corps qui se soulève et s’abaisse à un rythme apeuré. Le petit hérisson est resté en boule. Isabelle l’a réveillé en sursaut et son rythme cardiaque est troublé. La jeune femme s’en veut de ne pas avoir pensé à lui plus tôt. Elle sait, grâce à sa cousine, que réveiller un tel animal est dangereux pour lui. Alors, elle s’en va, rentre dans sa cuisine et découpe une pomme et une banane bien mûre qu’elle n’a pas encore jeté. Elle dispose le menu repas tout près du mammifère qui n’a toujours pas sorti sa tête. Ensuite, elle tente, un peu maladroitement, de reconstituer l’abri de fortune qu’il s’était fait. Elle espère qu’il va manger ce qu’elle lui a préparé puis se rendormir.