Il était une fois… une femme, une passeuse d’histoires

Interview de Marie-Claire Desmette,
de La Maison du Conte et de la Parole de Liège

Il était une fois une petite fille qui était née à Soignies. Cette petite-fille s’appelait Marie-Claire.

Marie-Claire avait un rêve : conter, raconter, partager une histoire ; monter un spectacle qui serait applaudi, qui serait plébiscité, qui serait reconnu, apprécié à sa juste valeur. Un spectacle, une histoire, un partage qui la ferait voyager. Qui la ferait rêver. Qui la ferait aimer. Un spectacle, une histoire qui serait nourrie d’une cause qui lui tient fort à cœur : la place de la femme dans la société, dans la vie. Une place parfois non reconnue à sa juste valeur, une place parfois trop éloignée de la réalité de la vie, une place parfois mal défendue, mal reconnue, mal racontée. Une inégalité qui est en progrès. Progrès trop lent.

Un jour, Marie-Claire s’inscrit à une formation sur l’art oratoire. Elle découvre Hamadi El Bousbi et les contes. Révélation. À plus de 50 ans, elle se sent enfin libre de partager ses valeurs, ses convictions, ses rêves. Qu’est-ce qu’elle aime cette place : en scène, devant un public, avec juste elle, son corps et sa voix. Comme elle aime dire « rien dans les mains, rien dans les poches ». Être elle, entièrement, pleinement. Transmettre et partager une histoire personnelle ou une cause qui lui tient à cœur avec uniquement sa présence, sa voix, ses gestes, son regard.

Avec des amies conteuses et amis conteurs, elle fonde « Parole Active », puis quelques temps après, après, « La Maison du Conte et de la Parole de Liège ». Nous sommes en 1992.  La petite fille a bien grandi, devenu femme, devenue épouse, devenue maman, devenue grand-mère.

De voyage en voyage, de conte en conte, d’histoire en histoire, Marie-Claire partage. Marie-Claire parle. Transmet. Donne. Elle écrit des poèmes, des contes, des histoires. Elle monte des spectacles. Elle donne vie à un livre.

Elle chemine dans cet art de la parole avec douceur, détermination et plaisir.

Copyright : ? (Si l’auteur.e de la photo se reconnaît, qu’il/elle me le signale pour que je puisse mettre son nom. Merci)

Durant toutes ces années, elle a vu la place du conte et du conteur évoluer, changer. Avant, il y avait beaucoup de demandes et peu de conteuses, peu de conteurs. Avant, il y avait davantage d’argent pour cet art, pour cet outil oratoire. Avant, il y a plus de demandes et moins de professionnels, donc plus de travail pour eux. Si aujourd’hui, le conte est davantage reconnu par le ministère de la culture (au côté du théâtre dans la rubrique « spectacle vivant »), s’il y a même bien plus de conteuses et de conteurs, il y a moins de subsides et les enveloppes prévues pour le conte, moins grosses. L’évolution du conte et des conteuses et des conteurs, en Belgique, reste encore assez mal déterminé.

Pour Marie-Claire, le conte traditionnel reflète assez bien la société : le héros est souvent de sexe masculin qui doit résoudre une quête et qui vit plein de péripéties. Quand il y a une fille, celle-ci est uniquement récompensée parce qu’elle est charitable. On en revient à la place de la femme. Un sujet très important pour elle : la grossesse de la femme et son accouchement. Pour elle, c’est la plus belle chose et le plus incroyable travail que peut faire la femme, uniquement la femme. Pendant longtemps, elle a cherché un conte qu’elle pourrait s’approprier et qui raconterait cette incroyable histoire, l’histoire d’une femme, histoire d’un travail, histoire de naissance. Une véritable histoire d’une femme enceinte, d’une héroïne qui accouche, qui donne la vie. Longtemps, elle a cherché. Des accouchements symboliques, ça ne manque pas. Mais le véritable enfantement, elle n’a pas trouvé. Alors, elle a écrit. Oui, elle l’a écrit. Son histoire, son héroïne.

Marie-Claire est marquée par ce conte qu’elle n’a pas trouvé. (Si vous en connaissez, surtout, n’hésitez pas à partager avec elle !) Alors, entre temps, elle a écrit Almeya. Almeya qui a du mal à tomber enceinte. Qui se voit conseiller de donner son premier enfant à la mer. Almeya qui attend finalement un heureux évènement a peur à présent de l’accouchement. Alors, la peur se transforme en travail. Ce conte personnel, Marie-Claire l’a eu en gestation, l’a porté en voix, l’a mis au monde, sans douleur, comme pour ses trois enfants auxquels elle a donné vie.

Un autre jour, ailleurs, du côté de Chiny, Marie-Claire présente un spectacle plus long, d’environ une heure : La genèse en gros sabots. Entre ses conteries, ses veillées contées, son travail dans diverses associations de contes et les formations qu’elle donne, Marie-Claire était là, à Chiny lors d’une journée professionnelle. Et là, son rêve s’est réalisé ! Dès le départ La Genèse en gros sabots est bien accueillit, remarqué, plébiscité. On lui demande de revenir, d’aller de-ci, de-là, ici et là-bas. C’est le conte qu’elle a le plus partagé, qui la fait le plus voyager. Marie-Claire a une préférence pour un public varié, d’adultes. La genèse en gros sabots ne s’y trompe pas. Interdit aux plus jeunes oreilles, la conteuse est en joie quand elle entend les rires du public. Elle est heureuse de voir l’air embarrassé de certaines personnes, entre autres les curés et les pasteurs. Son spectacle raconte la genèse d’Abraham à Joseph. Il parle entre autres de la fécondation de femmes ménopausées et de bien d’autres sujets délicats. C’est raconté avec dérision et raison, mais aussi pour dénoncer l’absurdité de certaines paroles qui n’ont jamais été remises en cause. Et elle le raconte avec l’accent picard pour honorer ses origines.

Des contes et des histoires, Marie-Claire en raconte et elle en écrit. Parfois grâce à une inspiration savamment dosée, parfois sur commande. Les lieux et les publics ne sont pas toujours bienveillants, plaisants, agréables. Si pour la plupart des présentations, elle prend beaucoup de bon temps et de plaisir à conter et à transmettre, parfois, un petit caillou vient briser l’instant magique. Comme cette fois où une bande d’adolescents est arrivée pour jouer les perturbateurs. Ça a tout gâché. Mauvais souvenir. Parfois, en maison de repos, ce n’est pas de tout repos non plus. Entre jongler avec l’un ou l’une résidant.e qui n’a plus toute sa tête et les interruptions des soignants pour venir en chercher d’autres, il n’est parfois pas aisé de tirer son épingle du jeu. Heureusement, il y a bien plus de bons moments que de mauvais.

Marie-Claire chemine dans les contes comme une abeille butine dans les fleurs. Si ce n’est que Marie-Claire tient la forme bien plus longtemps qu’une abeille ! Des contes et des histoires, elle en a adapté, s’en est approprié, un bon nombre ; elle en a écrit d’autres nombreux également. Elle avoue qu’elle en a même « volé » un à un ami conteur. Le conte d’origine était de Henri Gougaud. Mais au début, elle n’en savait rien. C’était l’histoire d’un lapin : « Comment le lapin fait bouger son nez ». Elle en a fait une ballade, elle a remplacé pas mal de mots par des sons.

Marie-Claire a bon pied bon œil ! Si les dates se mélangent quelques peu dans sa mémoire, elle se souvient d’énormément d’évènements, de moments particuliers, de temps partagés. Comme ce merveilleux moment dans la capitale. Invitée au Festival du Conte de Bruxelles « ô tour des contes » par l’organisateur Apollinaire Djouomou, elle était là en tant la conteuse doyenne de Belgique. Beaucoup de rencontres, beaucoup d’amitiés. Elle s’est sentie entourée, avec une affection et une bienveillance typique de l’Afrique :  de l’amour, de l’amour, de l’amour.

Copyright : Philippe Evrard

Marie-Claire va fêter ses 92 printemps à la mi-juillet 2022. Sa vie est un conte à lui tout seul. Elle pourrait être l’héroïne de sa propre histoire tant elle a vécu, elle a donné, elle a reçu, elle a offert. Qu’elle a inspiré la vocation de certaines conteuses, qu’elle a soufflé l’invitation à d’autres d’oser se lancer dans les contes, n’est point étonnant. Marie-Claire est énergie, partage, enthousiasme contagieux.

Aujourd’hui encore, elle reste toujours active dans le domaine des contes. Elle gère, seule, le mensuel de La Maison du Conte et de la Parole de Liège. Entourée d’une équipe de choc, elle poursuit ses aventures contées à travers toute la Belgique et même au-delà ! Entre spectacles, contes, poésie, chansons et dessins, Marie-Claire pétille la joie de vivre.

Parce que Marie-Claire est d’Or, j’ai choisi ce poème d’elle pour clore cet article-interview un peu particulier.

Cloisonnés

Rouge et or

                somptueuse volupté

                beauté des corps et des gestes

                tumultueux plaisir

                conscience inconscience

Bleu et or

                lagune paresseuse

                orteils en éventail sous les palmes

                soleil et sable

                ruisseau flânerie

Vert et or

                désirs souhaits projets

                courir devant soi

                caprice humour

                four-rire farce

Blanc et or

                liberté solitaire

                joie de sa force

                loin respirer

                sommet orgueil

Noir et or

                voile de fureur

                colères recuites

                justes injustes

                vengeance cruauté

et encore bien d’autres choses

derrière le front des respectables mères de famille

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Cécile (12/06/2022)