Interview de Roger Janssen,
Président de La Maison du Conte et de la Parole de Liège
Lors d’un après-midi d’été, un petit lutin devait se glisser dans le jardin de Roger. Le petit lutin cherchait du rêve, de la magie, des histoires à raconter, à partager. Et tout ça, il l’a trouvé ici. Voici son histoire.
Le petit lutin espiègle passe par la boîte aux lettres. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? La fenêtre donnant sur le jardin est pourtant grande ouverte. Mais le coquin a voulu prendre un autre chemin, pour surprendre des secrets et surtout pour qu’on ne le surprenne pas, lui !
Ni vu, ni connu, ni même entendu, le petit lutin saute sur le sol carrelé du hall d’entrée. Déjà, là, son voyage promet d’être extraordinaire : des marionnettes par-ci, par-là, en haut, en bas, l’observe. De gentils pantins aux regards malins et aux sourires bienveillants, pas du tout méchants. Si, si, même pour le loup !
Après quelques pas, le petit lutin trouve une porte ouverte à sa droite. Il entend des voix. Discrètement, sur la pointe de ses chaussons pointus, il se glisse sous une chaise puis sous un meuble. De là, il peut tout entendre et surtout tout voir, sans être vu. Hypnotisé par les centaines de marionnettes de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les couleurs, de toutes les matières, il se couche sur le ventre. Les coudes sur le sol, il pose son menton au creux de ses deux mains et se laisse emmener au pays de Roger et de son épouse.
« … il y a ici plus ou moins 300 marionnettes de 20 pays différents ! La collection a débuté après ma pension, en 2003-2004. Oh non ! Je ne suis pas marionnettiste mais quand j’avais une dizaine d’années, j’ai reçu pour mon anniversaire, un vrai théâtre. Sans doute cela a-t-il été le début de cette passion. Je suis toujours émerveillé par tout le travail que cela demande, d’une précision, d’une manipulation extraordinaire. Quand je conte, j’en utilise parfois, surtout dans les écoles, avec les enfants. De temps en temps, je fais aussi des expositions.
(…) Avant, j’étais éducateur et je passais mon temps avec les enfants, leurs parents, les familles. C’est une de mes filles, qui travaillait dans une école des devoirs, qui m’a soufflé l’idée de devenir conteur. Je craignais tellement d’être en manque de contact à ma retraite… Quelle belle idée elle a eue ! J’ai entamé ma première formation à Chiny, avec Yvan Couclet et Etienne Piette, de La Maison du Conte et de la Parole de Liège. Après trois jours de formation, il y avait deux jours de contes, de mise en pratique. C’était en 2004. Depuis, je me suis senti tellement bien accueilli à la Maison du Conte avec une ambiance un peu familiale que j’ai été de suite régulier dans les veillées du 7 qui se faisaient en Pierreuse.
(…) J’ai tellement aimé cette formation que 18 ans plus tard, en juillet dernier, en 2022, j’ai remis le couvert : formation à Chiny avec les mêmes formateurs. C’était extraordinaire. »
Le petit lutin a les yeux qui brillent. Il a bien fait de faire sa halte ici, à Seraing. Il sent qu’il va avoir un tas d’histoires à raconter au village, un tas d’histoires à ramener, à partager avec son petit peuple féérique.
Le petit lutin change de position, il se met sur le dos, les bras derrière la tête. Pour mieux voyager. Pour mieux rêver. Pour mieux s’évader.
« (…) Ce que j’aime dans le conte, c’est de raconter une histoire qui existe déjà, mais à ma façon. Avec mon imaginaire. Avec ma voix. Avec mes idées.
Je me souviens d’un conte que j’ai travaillé en formation avec notre regrettée Michelle Dispa : « La petite grand-mère ». C’est sans doute le conte que j’ai le plus travaillé, qui a le plus de vies, que j’ai conté le plus de fois et qui me plait le plus. « La petite grand-mère » raconte l’histoire d’un loup qui veut attaquer la grand-mère dans sa maison. Mais la grand-mère n’est pas seule. Elle est entourée d’une foule d’objets vivants qui la défendent. Dans ce conte, il y a des répétitions et je crois que c’est ça qui plaît aux enfants. Au fil du conte, les enfants en viennent même à dire la suite, grâce aux répétitions. C’est une histoire pour laquelle j’ai grand plaisir et beaucoup de bonheur à conter. »
Le petit lutin s’imagine très bien la scène avec une casserole, des couverts, un tableau qui pourchasse le loup sans répit et la grand-mère qui sourit, tranquillement. Une grand-mère un peu espiègle peut-être même qui rirait doucement dans son châle.
« (…) Il y a deux lieux où je me rends toujours : le marché du monde à Seraing, qui chaque année, le 11 novembre, organise des activités. Cette association qui organise ce marché et dans laquelle je suis bénévole, s’occupe des immigrés. Le second lieu est une autre association qui organise, chaque année également, début août, un camp. Ce camp, pour une quinzaine d’enfants placés par le juge, est une véritable bulle d’oxygène. L’animateur m’appelle chaque année, et chaque année, j’y viens avec mes contes et mes marionnettes. »
A ces mots, le petit lutin se remet sur le ventre et observe à loisir toutes les marionnettes accrochées ici et là aux murs et d’autres posées sagement sur un meuble, une table, un fauteuil. Il se perd dans cette contemplation et n’a pas réalisé immédiatement que Roger continue de raconter une histoire. Une autre.

« (…) Je pense qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de troupes de conteurs qu’avant. Mieux admis pour adultes, les mentalités changent, le conte n’est plus réservé qu’aux enfants.
Pour moi, le conteur doit aimer son histoire et avoir envie de la partager. Partager une histoire, c’est bien plus que raconter, c’est transmettre quelque chose, c’est dépasser le spectacle. Surtout, ne pas rester sur l’écrit. Sinon, on reste figé dans le texte. D’ailleurs, moi, je ne relis ni ne répète un conte. Quand je choisi un conte, je note quelques idées et je regarde (dans ma tête) si je connais l’histoire. Si c’est ok, je la conte.
(…) Et oui ! Moi aussi, j’ai toujours le trac avant de « monter » sur scène. je ne sais pas comment je fais pour le gérer, mais je dirais qu’une heure ou deux avant de conter, je sens la petite boule au ventre, mais dès que j’entends mon prénom, je me lève et hop ! Plus rien ne compte que le conte. Tout va bien. La présence de mon épouse (qui donne des formations sur la dentelle) ml’aide. Mais elle ne sait jamais ce que je vais conter à l’avance. »
Le petit lutin rigole dans ses petites mains. Son rire fait diling diling comme un carillon. Il rigole, mais il admire cet homme qui ne répète jamais un conte avant de le dire devant son public. Tout est dans sa tête et à chaque prestation, l’histoire change. Le conte vit et se peaufine, s’affine, s’affirme.
Le petit lutin se demande s’il doit aussi être le Président de son village pour pouvoir raconter aussi bien que Roger. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, voilà que l’homme parle en deux-trois mots de son rôle de Président à La Maison du Conte et de la Parole de Liège.
« Cela doit faire à peu près 3 ans que je suis Président. Mon job, c’est un peu celui d’un chef d’équipe qui a pour principale tâche de préserver la cohésion du groupe et l’intercommunication entre les membres. Dans ma façon de faire à moi, c’est de laisser à chacun le pouvoir de faire ce qu’il a envie de faire. Je ne suis pas pour établir un programme et obliger à s’y tenir. Chacun a la possibilité de s’exprimer et de proposer, le tout est de garder une ligne de conduite. »
Le petit lutin qui est un peu moins jeune que Roger s’assied en tailleur et se plonge dans une réflexion profonde. La pointe de chacune de ses deux oreilles frétille, comme à chaque fois que ce petit lutin réfléchit. Mais, très vite, il est tiré de cette introspection, car la voix de Roger l’emmène déjà vers un autre voyage avec un conte particulier qu’il a écrit à une occasion spéciale.
Raconter
Offrir
Grande famille
Enchanter
Rêver

Les P’tits D’jes chez « Simone »…
Vous connaissez Simone ?
C’est une petite dame bien de chez nous… de la rue du Molinay.
Un chignon au-dessus de la tête, une jupe trois quart, des grosses chaussettes on n’en distingue plus très bien la couleur, parfois le petit orteil montre son nez, autour de la taille un tablier à carreau bleu et blanc. Toujours souriante, sourire qui laisse apparaître ses dernières dents.
Son homme, à Cockerill… il fait les pauses. 6-2, le matin il travaille, 2-10 le matin il dort jusque midi, 10-6 il rentrer pour aller dormir.
Que faire de sa matinée, Simone commence sa journée le matin à partir de 6 heures. Simone fait son petit ménage, balaye son trottoir en chantant et c’est ici que tout à commencé. Les voisines, il y a Georgette une Ardennaise à droite, à gauche Anna l’Italienne, en face Marieke la flamande. Je vous assure que quand elles se parlent d’un trottoir à l’autre… les maris qui sont rentrés ne savent plus dormir. Alors c’est d’un trottoir à l’autre et d’un étage à l’autre que ça gueule. La police est intervenue plusieurs fois. La semaine dernière Simone a été emmenée, manu militari en combi, pour rébellion et injures à un agent dans l’exercice de ses fonctions.
Elle en est ressortie avec interdiction de faire le trottoir entre 6 heures et midi du lundi au lundi, ils n’ont ainsi oublié aucun jour. Vous vous rendez compte une fille sérieuse comme Simone, accusée de faire le trottoir, c’est une honte.
Rue Molinay ce n’est pas la rue Marnix. Simone ne s’en remettra jamais.
Depuis cette interdiction, chaque matin à 6 heures, Georgette, Anna et Marieke, se retrouvent chez Simone.
La première semaine elles papotent dans le corridor, Giovanni, le marie de Simone est réveillé.
La semaine suivante elles sont rentrées dans la cuisine.
La semaine après elles se sont assises dans la cuisine.
La semaine après, après la suivante, elles ont déjeuné ensemble.
La semaine après après après la suivante la moitié de la rue va prendre « Son P’tit D’jes chez Simone »
Vous connaîtrez la suite le mois prochain.
Roger Janssen
