Plus tôt dans la semaine, je me suis surprise à (re)lire un texte que j’ai écrit il y a près de 10 ans. Cette histoire a été éditée avec bien d’autres dans mon premier recueil autopublié chez Atramenta : Un oiseau peut en cacher un autre.
Comme j’ai aimé ce que j’ai lu, que j’avais presque oublié ce que j’avais écrit à cette époque, j’ai décidé de publier ici sur mon blog toutes ces histoires, une à la fois, au rythme du hasard :-)
Rififi chez les mésanges
C’est l’été.
Pierre est fier d’être le copain des moineaux de son jardin. Tous les jours, il leur verse de l’eau fraîche dans une assiette pour qu’ils puissent aussi se baigner.
Le rouge-gorge est toujours là. Pierre est ravi de voir autant d’oiseaux à observer.
Tout à coup, alors qu’il rentre à la maison après avoir rempli la baignoire improvisée, de petits oiseaux bleu, jaune et noir se disputent dans les airs. Ils crient et se volent dans les plumes. Pierre ne voit rien de tout cela, car pour lui c’est l’heure de déjeuner.
— Eh là, ne vous arrachez pas les plumes ! Que se passe-t-il ? demande un groupe de petits oiseaux rose, blanc et noir qui assiste à la scène.
Les petites mésanges ne lui répondent pas et continuent leur dispute un peu plus loin. L’une d’elles semble vouloir arrêter le spectacle, mais l’autre la poursuit jusqu’à son perchoir. Et de petits cris plaintifs resurgissent dans le jardin. Une des mésanges à longue queue intervient alors :
— Bon maintenant, ça suffit vous deux. Calmez-vous et séparez-vous. Allez ! dit-elle en volant dans leur direction.
La plus petite des mésanges, celle qui a du bleu sur la tête, n’est pas mécontente qu’une cousine contribue à l’arrêt de cette bagarre. Elle semble essoufflée car son ventre bouge à une allure folle.
À une branche plus haute qu’elle, l’autre mésange la regarde sévèrement. Furieuse, celle-ci dresse les plumes noires de sa tête.
Quelques instants plus tard, alors que tout le monde pense la bagarre terminée, la grande mésange s’envole à toute hâte et tente de déloger la petite bleue de son nid.
— Il est à moi, je l’avais vu avant ! Sors de là, va te chercher un autre nid ! lui dit le casque noir.
— C’est pas vrai : l’année dernière, j’ai élevé mes petits dans celui-ci, et j’ai déjà changé la mousse. Il est à moi ! lui répond-elle.
— Mais regarde, le trou a juste la bonne dimension pour moi. Il est trop grand pour toi ! argumente l’autre en hurlant.
— Il me va très bien ausi. Maintenant, va-t-en de là et laisse-moi tranquille, pleure la petite mésange à bout de patience.
Tout le monde peut entendre la raison de leur dispute : la disponibilité d’un nichoir en bois. Ces deux mésanges font tellement de bruits que les voix fluettes des mésanges à longue queue ne parviennent pas à atteindre leurs interlocutrices.
— C’est quand même incroyable cette histoire, dit l’une.
— Elle avait déjà ce nid l’année passée, il lui revient de droit, répond une autre.
— Mais non voyons, si le trou est de cette taille, c’est que c’est pour la plus grande, intervient une troisième.
— Quoi qu’il en soit, heureusement que nous n’avons pas ce problème. Nous n’avons pas besoin d’un nid pré-fabriqué. Nous, on le construit de nos propres pattes et bec, conclut une quatrième.
— Oui, et on est les meilleures dans ce domaine, continue la première.
— L’une des meilleures, précise la deuxième.
Et voilà que ces petites boules à longue queue discutent de ce sujet sans plus se préoccuper de la bagarre qui fait toujours rage.
Soudain, un visiteur roux et gris arrive, bec ouvert de colère.
— Ce n’est pas bientôt fini tout ce boucan insupportable ?! dit-il d’un ton sévère.
Un silence étonnant s’installe devant cet oiseau d’allure respectable et au ton autoritaire. Il n’est pas connu dans le quartier et des chuchotements s’élèvent de tous les becs.
— C’est qui celui-là ? ose demander une petite mésange à longue queue.
— Chuut, j’sais pas, lui répond une autre.
Le casque noir, qui est encore tout excité de sa dispute, ne peut plus se contenir :
— T’es qui toi d’abord ? De quoi tu te mêles ?
— Je m’appelle Panure et je niche dans les roseaux voisins, bien plus loin que les trois arbres. Vous faites tellement de bruit que non seulement, vous réveillez sans cesse mes petits, mais en plus vous faites fuir tous les insectes des environs !
Sa voix métallique et ses moustaches frémissantes obligent la mésange charbonnière à mieux se tenir. Le plumage de Panure montre un corps parfaitement entretenu ; ses plumes ressemblent à de la soie douce et lisse. Sa tête grise et son bec orange vif expliquent à eux seuls son rang dans la population des petits oiseaux.
Tel un professeur plein de sagesse, il explique aux deux mésanges qui se disputent qu’il y a plein de trous pour nicher. Il donne des exemples et précise quels endroits sont à visiter.
Pendant ce temps, la petite mésange bleue, toujours retenue dans son nid par le casque noir qui lui bloque la sortie, ne peut plus se retenir et commence à pondre !
Panure se rapproche d’eux. Il va demander à l’une des deux de s’en aller dans le silence et de l’accompagner à une première visite de nichoir quand il se rend compte que la petite mésange ne peut plus s’en aller d’ici.
— Petite Bleue, si j’en crois ton visage illuminé, tu vas bientôt être maman, n’est-ce pas ? lui demande-t-il d’une voix qu’il fait la plus douce possible.
— En effet Monsieur, je…
— Coucou chérie, je suis de retour, la coupe son compagnon.
(elle a un compagnon bavard, rendez-vous en compte)
— Excuse-moi d’avoir été si long, mais j’ai croisé la route d’un délicieux coléoptère et il m’a fait prendre un autre chemin pour l’attraper. Il en valait bien la peine, il était gigantesque. Regarde donc ce que j’ai entre les pattes, n’est-il pas énoooo… mais que se passe-t-il ici ? Tu as des problèmes ? Cette mésange, elle te cherche des puces ? Et qui est cet oiseau aux magnifiques couleurs ? termine-t-il enfin.
— Je te présente Panure, un lointain cousin. Il est arrivé de par delà les trois arbres, car je me disputais avec elle, explique Petite Bleue en pointant son aile en direction de la mésange charbonnière. Elle veut prendre notre nid d’amour et ce Monsieur est venu pour nous séparer et nous aider à résoudre ce problème.
Avec ces nouvelles naissances à venir, Madame charbonnière s’incline et laisse la place du nichoir à la petite bleue.
— Si vous voulez bien me montrer cet endroit où il fait bon nicher, demande-t-elle à Panure, je serais ravie de vous accompagner pour cette visite.
— Mais très certainement, venez, allons-y sans plus tarder, j’ai moi aussi une famille à nourrir.
Ci-dessous : une petite mésange bleue en hiver, sur le toit de notre maison (photo de 31/12/2016) et une panure à moustache. Cette dernière, la photo, date de 2006, quand je travaillais à La Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux :-) Cet oiseau avait été enlevé à un particulier qui n’avait pas l’autorisation d’avoir de tels oiseaux chez lui.