Regarder avant de juger… même un frelon

On est hypersensible ou on ne l’est pas

Histoire de vie, de mort et de survivance d’un frelon européen

Dialogue entre moi et moi-même

— J’aime les animaux. Tous les animaux. Surtout les oiseaux. Mais les insectes aussi.
— Même les bestioles à huit pattes ?
— Oui. Enfin… avant, j’en avais la phobie. Avant que ma curiosité envers tout ce qui vit ne grimpe la plus haute des hautes montagnes de la curiosité. Avant que la photo ne devienne une passion. Avant, quand j’étais plus jeune. Et surtout, plus ignorante.

— Et donc, les insectes ?
— Je ne les connais pas tous, mais je ne peux m’empêcher de les photographier dès qu’une antenne, une mandibule ou une patte fine passe à portée. J’ai mes petits chouchous : les colorés, les étranges, des minuscules aux plus imposants. Et, à force d’observer, je commence à reconnaître pas mal d’espèces. Je ne suis pas entomologiste, mais disons… entomologiste débutante.
— Même les guêpes et les frelons ?!
— Les syrphes, oui ! Ces mouches déguisées en guêpes, inoffensives, viennent parfois se poser sur moi comme sur un perchoir vivant. Les bourdons fatigués ? Je les transporte jusqu’à une fleur ou leur offre une goutte d’eau. Les abeilles, j’aide de loin, avec un bâton ou un mouchoir, pour éviter leur piqûre. Les guêpes, elles, me donnent des frissons instantanés (merci le souvenir d’une piqûre à la descente d’une balançoire). Mais je leur réserve quand même des morceaux de pomme, au bout de la terrasse : elles restent alors scotchées dessus, loin de ma table.

— Et les frelons ?
— Ma peur est proportionnelle à leur taille : terreur absolue ! Mais ma curiosité m’a poussée à apprendre à les reconnaître. Ici, en Belgique, deux espèces : le frelon européen, notre grand indigène, et le frelon asiatique, importé accidentellement, qui menace nos abeilles (car il en est friand).

Repère express pour les différencier :

  • Asiatique : corps sombre, anneaux jaunes fins, pattes jaunes.
  • Européen : plus grand, corps rayé jaune et noir, pattes brun-rouge, tête et thorax orangés.

— Tu les confonds parfois ?
— Non… enfin… c’est ce que je croyais. Je croyais qu’il suffit de « regarder » et pas seulement de « voir », pour identifier. C’est un peu plus complexe que ça. Parce qu’on nous montre toujours les différences « classiques », celles des individus parfaits, comme dans les manuels. Mais la nature est joueuse : tailles variables, couleurs plus ou moins marquées, individus malades ou atypiques… Et parfois, même avec un œil entraîné, on peut hésiter.

Ce soir-là

J’habite dans un quartier où vivent aussi des apiculteurs. L’an passé, des ruches entières ont été décimées par les frelons asiatiques. On nous encourage donc à signaler tout nid, qui peut se trouver haut dans un arbre… ou carrément sous terre. Et à notifier leur présence, surtout s’ils sont en nombre.

Je racontais récemment une rencontre avec une vingtaine d’asiatiques lors d’une balade. Le midi, pile au moment où je parle d’eux, un de ces géants ailés se pose sur « l’assiette des guêpes » sur notre terrasse. Mon amoureux réagit immédiatement : capture avec notre attrape-insecte et… noyade. Deux minutes de lutte. J’ai fui pour ne pas voir.

Trois jours plus tard, rebelote. Cette fois, seule, je prends sur moi : capture, immersion… mais une bulle d’air retarde la fin de l’insecte. Dix minutes. Je secoue, j’ajoute un filet d’eau. Enfin, il s’immobilise.

Le lendemain, trois autres visiteurs, à quelques minutes d’intervalle. Ils attaquent « mes guêpes ». Deux asiatiques capturés et immergés, un troisième… étrange. Plus petit, plus orangé. Pas le profil type d’un asiatique… mais pas non plus celui, bien marqué, d’un européen adulte. Et dans l’urgence, sans mon amoureux, je tranche : capture, immersion, fin rapide.

Le doute

En voyant les victimes alignées, flottant dans le bocal, ma fille me lance :
— Le plus petit bouge encore ! Et puis il n’a pas la tête d’un frelon asiatique… peut-être une reine guêpe ?
Ce doute me transperce. Je connais les critères de reconnaissance, je les ai utilisés… mais et si je m’étais fiée à une image trop « standard » ? Et si cet individu faisait partie de ces exceptions qui brouillent les lignes ?

Opération sauvetage

Sans réfléchir, je la fais extraire de l’eau. On la dépose sur une assiette garnie de fruits, protégée d’une cloche à filet. Pattes tremblantes, antennes frémissantes, elle titube, tombe de l’assiette, se retrouve sur le dos, les ailes trempées, collées à la table. Je lui tends une baguette chinoise : elle s’y agrippe, je la redépose. Peu à peu, elle se redresse. Elle s’applique à se nettoyer et à se sécher. Observer ce comportement est fascinant sur une bête de cette taille.

Ma fille me rappelle que j’ai Obsidentify sur mon téléphone (elle l’appelle « Pokédex » en référence aux Pokemon bien connus). Clic. Photo. Une seule, car la bestiole recouvre ses forces. Résultat : frelon européen ! Un petit gabarit, mais la morphologie ne trompe pas : pattes brun-rouge, tête orangée, abdomen plus jaune que noir.

Erreur confirmée… mais aussi réparée. J’avais agi trop vite, j’ai appris.

Je soulève la cloche : envol net, droit vers la cime des arbres.

Mon esprit romanesque imagine déjà son retour le lendemain, escorté d’une escadrille vengeresse.
Mon esprit naturaliste, lui, lui souhaite bon vent… et longue vie, loin des pommes des guêpes… et de ma vue !

Elle a hérité de poils blancs de l’un de nos chats… on voit bien la couleur de ses pattes : rouge foncé à brun, son abdomen est bien comme celui d’une guêpe, jaune et noir. La photo de celle-ci ne rend pas bien compte de sa taille, mais elle se rapprochait davantage d’une grosse guêpe que de son cousin frelon asiatique (en restant plus petit que ceux-ci. Alors que, dans la plupart des cas, « notre » frelon européen est plus grand que l’espèce asiatique).

🐝 Fiche naturaliste

Frelon européen & frelon asiatique

1. Identification rapide

CritèreFrelon européen (Vespa crabro)Frelon asiatique (Vespa velutina)
OrigineIndigène (Europe)Introduit accidentellement d’Asie
Taille25 à 35 mm (jusqu’à 38 mm pour les reines)20 à 30 mm (reines max 32 mm)
Couleur du corpsJaune vif + noir, thorax et tête orangésCorps brun/noir, segments abdominaux foncés avec bande jaune unique
PattesBrun-rouge ou brun foncéJaunes à l’extrémité
TêteLarge, orangéePlus petite, noire avec face orangée
AilesBrun clairBrun fumé
NidSouvent dans des cavités (troncs, murs, greniers)Sphérique, souvent haut dans les arbres ou sous abri

2. Points communs

  • Les deux piquent si on s’approche trop du nid.
  • Pas d’agressivité envers l’homme en vol isolé.
  • Se nourrissent d’insectes (y compris guêpes et abeilles) et de fruits mûrs.
  • Actifs de mai à novembre environ.

3. Les pièges de l’identification

🔍 Variabilité naturelle

  • Certains européens peuvent paraître plus sombres, surtout les jeunes ou les individus mal nourris.
  • Les tailles se chevauchent : un petit européen peut sembler asiatique, et inversement.
  • Les couleurs peuvent être atténuées par l’âge, la mue ou l’état de santé.

Conditions d’observation

  • Ombre, lumière rasante ou contre-jour peuvent fausser la perception des couleurs.
  • L’agitation ou la peur peuvent pousser à juger trop vite.

💡 Astuce :
Toujours observer plusieurs critères (pattes + abdomen + taille + tête) plutôt qu’un seul.

4. Rôle écologique

  • Frelon européen : prédateur d’insectes variés, régule certaines populations nuisibles.
  • Frelon asiatique : prédateur opportuniste, mais sa préférence pour les abeilles domestiques le rend problématique pour l’apiculture et la pollinisation.

5. Que faire en cas de rencontre ?

  • Isolé : observer, photographier, ne pas déranger, sauf s’il représente une menace directe (rare si le nid n’est pas à moins de 5 mètres)
  • Plusieurs individus en chasse ou en vol stationnaire près d’un rucher : noter la direction, prévenir un apiculteur ou les autorités locales.
  • Nid : ne pas intervenir soi-même, contacter un service de destruction agréé.
  • À ne surtout pas faire : écraser un frelon asiatique, sauf si vous voulez tout à coup être envahi par tous ses copains. En effet, quand il est blessé ou mort par écrasement, le frelon asiatique libère une phéromone « danger ! danger ! » qui attire tous les autres frelons à la ronde. Le capturer, sans le blesser et le noyer reste la meilleure solution pour ne pas être envahi et risquer des piqûres de défenses.

💬 Note personnelle de l’observatrice :

Même avec de bonnes connaissances, j’ai découvert que la nature aime brouiller les pistes. Un “profil type” ne reflète jamais toute la diversité d’une espèce : il existe toujours des subtilités, des exceptions, des erreurs de la nature… et parfois même des individus malades qui déjouent nos certitudes.
Mon erreur avec un petit frelon européen m’a rappelé à quel point l’observation patiente et le doute sont précieux avant d’agir.
Désormais, si un frelon est seul et ne représente aucune menace, je le laisserai poursuivre sa route. En revanche, face à un rassemblement suspect ou à un nid de frelons asiatiques, je prendrai une photo et contacterai les spécialistes.
J’ai choisi de garder mes gestes pour protéger… et non pour détruire inutilement.

📌 Ressources utiles :