Robert des noms propres, Amélie Nothomb

Amelie Nothomb

2eme livre lu de cette auteur belge particulière.  Et bien : j’aime !

Cela faisait longtemps que je ne m’étais plus couchée ni levée sans vouloir absolument lire le livre.

robert des noms propres amelie nothombJ’ai commencé à le découvrir dans une petite gare. J’étais là bien en avance pour être certaine de ne pas louper le train qui me conduirait à mon interview.  Je n’avais jamais été à cette gare qui est pourtant toute proche de chez moi…  Comme il faisait beau, j’ai marché une vingtaine de minutes avant d’emprunter une petite ruelle. Là, au bout de ce passage étroit, un portique spécial séparait la rue du passage souterrain et des escaliers qui allaient me conduire au quai. Un quai pour deux voies… j’étais seule, durant les 25 minutes que j’ai attendu, pas un chat à l’horizon, juste la vue fugace de l’arrivée hyper rapide de quatre « Attention, train en passage »… bruit d’enfer qui déchire le calme à quatre reprises, qui fait taire les oiseaux qui chantaient, qui perturbe ma lecture.

Soleil, chaleur mitigée, vent légèrement frisquet qui me donne de temps à autre la chair de poule sur mes bras à moitié dénudés.

Lunettes de soleil sur mon nez, mes fesses dans un pantalon blanc cassé, je m’installe sur l’une des 3 chaises en métal rouge, je lis mon livre.

… … … Interview … … …

Après la journée est passée…  Je ne l’ai presque pas vue couler ses heures tellement j’étais dans un état se situant à cheval de deux émotions : heureuse de l’interview, contente d’avoir rencontré mes-je l’espère-futurs collègues, rêveuse du job convoité et d’un autre côté, je me posais des questions sur l’histoire du livre dont je poursuivais la lecture à la moindre occasion, grappillant ci et là des minutes de lecture, des passages forts.

Le soir arrivait, il ne me restait plus grand chose à lire, mais écoutant mon corps et mes yeux… j’étais fatiguée… j’ai refermé le livre en pensant que Plectrude attendra bien que je dorme huit heures avant de me divulguer la suite de sa vie ! Elle a 16 ans et elle vient d’apprendre que sa mère biologique s’est suicidée après avoir tué son père et lui avoir donné vie en prison… Sa mère avait 19 ans quand elle, Plectrude, est née.

J’ai donc fermé mon livre sur ces derniers mots lus : « J’ai seize ans. Encore trois ans à vivre et un enfant à mettre au monde. »

Le lendemain matin, Vicky, mon chat, m’a réveillée par un câlin et des ronrons. 5h45, c’est son heure. Je me réveille. Je la caresse, elle ronronne de plus belle. Petit à petit, tout mon corps quitte son état ensommeillé, mes paupières saluent le petit matin, éclairé par la lumière extérieure qui filtre par tous les petits trous que n’occulte pas la tenture. Je dis au revoir à la nuit, aux songes non sans me rappeler brièvement que nous sommes samedi matin.

D’un geste automatique, j’embrasse le front de mon chat, je pousse le drap qui me tenait chaud, plie une jambe pour porter mon poids sur ce membre qui va m’aider à me relever sans demander à mon dos de faire tout le travail (habitude prise après l’opération de mon dos qui date de 2 ans et demi). Chaussettes aux pieds, j’abandonne le lit conjugal. Je prends mon gsm qui me donne l’heure (en mode avion et silencieux pour ne pas avoir d’ondes la nuit) et mon livre, le 2ème d’Amélie Nothomb, deuxième pour moi. Je ne vais pas me recoucher au salon, non, pas ce matin, car je veux savoir comment cette adolescente au destin exceptionnel et tragique va poursuivre sa route maintenant qu’elle sait que cette femme qui l’a élevée et avec qui elle vivait une relation unique, puissante et fusionnelle n’est pas sa vraie mère. Que cet homme, n’est pas son vrai père. Que ces deux filles plus âgées ne sont que ses cousines et non ses sœurs….

Et la fin : quelle fin !! L’auteur s’est mise dans le livre, en tant qu’auteure, qu’écrivaine, mais pas dans un rôle des plus gais ! Cela ne m’a pas empêché d’adorer (rires)

Texte de Zygielle, concours achève-moi !

Voici la suite de Zygielle pour le concours Achève-moi. Elle a choisi le texte n° 4, avec le fameux président Rouvière qui se prend pour un cheval…  visiblement, ce début en a inspiré plus d’un(e) et c’est extra de lire tous ces textes différents ! Merci Zygielle pour ton texte.

Texte original de Jean-Claude Bologne (jusqu’au *)

Nosographie

Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec un président existant ou ayant existé ne saurait relever que d’une pure coïncidence.

La rumeur se répandit au galop dans toute l’entreprise : le président Rouvière se prenait pour un cheval. Une demi-heure tous les matins, de 11h 15 à 11h 45, avec une régularité de métronome, il s’enfermait dans un réduit reculé, au premier sous-sol, et cavalait bruyamment en hennissant et en ruant dans les meubles. Puis il ressortait, impeccablement cravaté, le cheveu à peine en désordre, et retrouvait toute son autorité sur un conseil d’administration perplexe et des secrétaires tétanisées.

Personne n’osait rien dire. Personne n’aurait rien su, peut-être, si un archiviste maniaque n’avait eu besoin d’un dossier confié à la poussière des caves depuis on ne savait plus combien de générations. Attiré par les cavalcades fougueuses qui s’échappaient du fond du couloir, il avait reconnu dans les cris gutturaux le timbre de son patron et avait tenté d’observer la scène par le trou de la serrure. Peine perdue ; la clé était restée dans l’orifice et l’empêchait de distinguer quoi que ce fût. Il avait confié le terrible secret au gardien, qui l’avait vu sortir bouleversé du sous-sol, en lui faisant jurer sur les clés de saint Pierre de garder le silence. Le gardien promit tout ce qu’on voulut : un tel serment, n’engage le plus souvent qu’à ne transmettre l’information qu’à un ami sûr en exigeant de lui le même secret. Aussi le gardien ne s’en ouvrit-il qu’au portier, un homme de confiance, qui ne le révéla qu’à la standardiste en soulignant combien il comptait sur sa discrétion. La standardiste avait beaucoup d’amis sûrs qui prêtèrent le même serment, et le soir même, seuls des confidents fiables étaient au courant. En fait, pas un salarié, pas un administrateur n’ignorait la découverte du vieil archiviste
Sauf le président, c’était le principal.

Un conseil d’administration se réunit en urgence. Le président était encore jeune ; il avait succédé à son père l’année précédente, et avait fait preuve d’un dynamisme et d’une inventivité qui manquaient depuis longtemps à l’entreprise. Toute l’équipe en avait été revigorée et le cours de l’action avait bondi. Le succès lui était-il monté à la tête ? C’était l’avis du directeur général, qui avait servi sous Rouvière Senior et qui peinait à suivre le nouveau rythme. La secrétaire en chef soutenait qu’il avait été envoûté et qu’elle avait retrouvé une poupée de crin dans un tiroir de son bureau. Le comptable lui demanda si elle n’y avait pas plutôt vu des champignons hallucinogènes ou des dosettes de sucre glace. Les dactylos optaient pour un chagrin d’amour : le président n’avait-il pas dû, en succédant à son père, rompre une liaison qui lui était chère pour épouser dare-dare une héritière mieux dotée ?

Cela vous casse un homme. Le vieil archiviste rappelait que Richelieu lui aussi se prenait pour un cheval, et qu’on n’avait jamais su si c’était par dépit amoureux pour la reine ou à cause de l’ivresse du pouvoir. Cela fit bondir la responsable de la communication, qui souligna l’effet désastreux d’un président hennissant à l’époque du TGV et du supersonique. Un cheval ! Plus personne ne savait ce que c’était dans l’entreprise !

Le lendemain, à la même heure, le président se prenait pour une moto de grosse cylindrée. Cela ne rassura pas la responsable de la communication.

*

Sincèrement inquiète, elle fit part de ses craintes au médecin du travail qui dressa l’oreille. Les hommes de l’art font preuve d’un flair de limier pour les pathologies excentriques, toujours susceptibles de faire l’objet d’une publication dont la légèreté de la bibliographie garantira l’originalité et permettra à l’auteur de baptiser de son nom une composite batterie de symptômes. L’eau vint à la bouche du médecin, qui végétait depuis une dizaine d’années dans un salariat sans éclat. Il compulsa toute la nuit les moteurs de recherche médicaux de la planète, passa en revue des résumés de cas cliniques plus bigarrés les uns que les autres, écarta de justesse un syndrome de Gilles de la Tourette, raya de ses hypothèses les méningites de tous ordres, abandonna l’idée d’une intoxication et refusa d’envisager la schizophrénie. Le DSM V n’admettait pas en ses pages le fait qu’une personnalité animale puisse s’exprimer de manière aussi régulière quoique transitoire : même la lycanthropie ne présentait pas de telles caractéristiques. Quant au rugissement mécanique qui avait succédé au hennissement, il était désormais, de par sa singularité, l’atout principal du médecin, qui, de mémoire de traité des maladies de l’esprit et autres dérangements de l’âme, n’avait jamais entendu dire que quiconque pût se croire une BMW six cylindres.

Il se hâta donc de rassurer la responsable de la communication, qui voyait d’un œil inquiet l’évolution bolidique des bizarreries présidentielles et s’était ouverte de ses craintes au directeur des ressources humaines, plongeant du même coup le pauvre homme dans les affres de l’angoisse : allait-il devoir recruter un lad ou un pompiste ? Les stagiaires affectés à la direction discutaient désormais des mérites comparés de la luzerne et du super sans plomb, et certains envisageaient sérieusement une expérience professionnelle dans le bocage normand ou un DU de raffinage des combustibles.

Le président Rouvière semblait insensible aux conséquences de son étrange comportement. Il affichait une sérénité quasi-bouddhique, et tous les matins à 11h50, une fois recoiffé, se dirigeait avec son habituelle placidité vers son restaurant favori, sans s’apercevoir des regards atterrés et des sourires crispés de ses collaborateurs. Aussi, au bout de trois jours d’invariables chevauchée sauvage et vrombissement mécanique derrière la porte blindée des archives, le médecin du travail ajouta l’anosognosie à la liste des symptômes de son patron.

Avant le weekend de Pâques, alors que chacun commençait à apprécier en connaisseur le ronronnement des cylindres présidentiels, typiquement allemands, les bruits de galop reprirent. Les béotiens émirent l’hypothèse que le président s’était équipé de chaînes à neige, avant de devoir se rendre à l’évidence : les déviances hippiques de leur patron avaient repris le dessus. La secrétaire de direction, quoique bouleversée, édicta en urgence quelques notes de service, priant les responsables du restaurant d’entreprise de bannir la viande chevaline des menus, informant les délégués commerciaux que leur activité était suspendue à la signature d’un contrat de confidentialité leur interdisant toute indiscrétion à propos de l’état du président Rouvière, et précisant à l’ensemble du personnel que, quoi qu’il se passât derrière la porte des archives, cela ne remettait nullement en question le fonctionnement interne de l’entreprise. Puis elle se fit prescrire deux kilos de Lysanxia et se prépara à dormir pendant trois jours.

Le médecin du travail avait quant à lui décidé de mettre à profit ses journées vacantes. Il invita à déjeuner une amie, vétérinaire comportementaliste, et lui présenta le cas de son patron. La jeune femme lui fit un bref rappel des associations surprenantes entre animal et objet manufacturé : il était de notoriété publique que les vaches ruminaient avec plus d’ardeur quand passaient les trains, que les poules évitaient les couteaux et les ânes le bât, que les martinets, malgré une silhouette en faucille, étaient adeptes du fouet, que les chats noirs entretenaient avec les échelles et les miroirs d’étranges et inquiétantes relations et qu’enfin, mais ça tombait tellement sous le sens qu’elle s’étonnait que son ami n’y ait pas songé lui-même, que les motos développaient comme tout véhicule à moteur un certain nombre de chevaux. Ces liens évidents mais finalement, à y bien réfléchir, obscurs, n’avaient pas grand chose à voir avec les troubles de la personnalité multiple, et du reste, elle doutait fort qu’on puisse attribuer au cerveau d’un cheval suffisamment de complexité pour qu’il se prît pour une Harley, et inversement. C.Q.F.D.

L’érudition de son amie donna des ailes au médecin, qui buvait désormais du petit lait. Ni les héritiers d’Hippocrate, ni ceux de Bourgelat, ne lui contesteraient la paternité de la découverte et de la description d’une pathologie nouvelle, qu’elle fût humaine ou animale. Son nom prendrait place dans la nosographie, on ferait de cette cohorte inédite de symptômes des items de QCM au concours de l’internat en psychiatrie, bref, on citerait avec déférence dans les facultés, au même titre que les affections les plus rares, le Syndrome de Morteau.

Le mardi suivant, à 11h15, le président Rouvière s’enferma dans son bureau. Sa secrétaire, dont le weekend hypnotique avait brouillé le teint et flouté les idées, se demanda s’il était possible qu’elle pût ne rien entendre. Elle bailla, tenta une discrète manœuvre de Vasalva, s’enhardit à sonder son conduit auditif externe de l’extrémité toxique de son ongle carminé, puis n’y tint plus : elle s’en fut écouter le silence, l’oreille gauche collée à la porte de son patron. Mais aucun bruit n’était perceptible, ce qui était si surprenant qu’elle évoqua illico l’éventualité d’une surdité brutale autant que précoce. Après avoir lu quatre fois la liste des effets indésirables du Lysanxia, elle se résolut à demander à son stagiaire le plus docile de venir lui aussi écouter ce qui se passait dans le bureau du président. La conclusion fut sans appel : on n’entendait strictement rien, ce qui était plutôt de bon augure, sauf à considérer que la surdité aiguë suspectée par la secrétaire était éminemment contagieuse, ce que démentait le fait que chacun d’eux entendît ce que disait l’autre. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, un monde où les stagiaires pouvait s’en retourner à l’étude exhaustive de la notice de la machine à café.

Cela ne satisfit pas la secrétaire, qui résolut de mener une enquête plus approfondie. Dès le lendemain, par note de la direction interposée (quoique fictive) elle fit enregistrer par les caméras de sécurité les faits et gestes de son patron,. Ce qu’elle vit la stupéfia. Allongé sur la moquette grège, le président Rouvière mimait, avec une conviction telle qu’elle ne laissait aucun doute sur le fait qu’une pareille incarnation était totalement inconsciente, un concombre hybride F1. Le médecin fut convoqué en urgence, de même que quelques employés dont la discrétion n’était plus à prouver depuis deux semaines. Tous admirent l’excellence de l’interprétation, qui aurait fait mourir de honte le plus chevronné des adeptes de l’Actor’s Studio, et le médecin se résolut à inclure cet élément maraîcher à la symptomatologie de son syndrome éponyme.

Face à ce nouveau rebondissement, il fut admis en conseil d’administration extraordinaire qu’une absence aussi courte, même quotidienne, du président Rouvière, ne pénalisait en rien la bonne marche de l’entreprise, et que tant que son potager et ses écuries diverses ne débordaient pas du cadre spatiotemporel qu’il leur avait alloué, nul n’était besoin de mettre en péril l’emploi de dizaines de personnes en faisant du zèle. Les regards se tournèrent vers le médecin du travail dont les ambitions personnelles, qu’il commençait à afficher par vanité, suscitaient désormais quelques craintes et de nombreuses inimitiés.

A 14h 27, le docteur Morteau sortit furieux de l’immeuble. Il quittait le conseil d’administration, qui venait d’opposer une fin de non recevoir à la poursuite de ses observations. Il n’aurait plus accès aux vidéos de surveillance et devrait se tenir à bonne distance de son patron entre 11h 15 et 11h 45. Les employés s’étaient vus interdire de lui accorder leur témoignage. Or, sans preuves tangibles des surprenantes modifications comportementales du président, aucun journal scientifique digne de ce nom ne lui accorderait une publication. Il se précipita donc sur le trottoir, entama une course rageuse et mordit au passage le mollet de quelques passantes. Puis, après avoir pillé quelques poubelles et levé la patte contre les platanes de l’avenue, il rentra chez lui, se coucha dans son panier et, dépité, rogna son os en peau de buffle jusqu’à 14h 57.