La langue des oiseaux, livre et photo poème

Un article double entrée, dans deux catégories je vais le classer : « un dimanche, un oiseau », et « avis de lecture pour plus grands ».

Je parlerai davantage de l’oiseau de ma photo, un peu plus tard. Pour le moment, juste un avis de lecture, des extraits, et une photo-poème.


La langue des oiseaux, de Claudie Hunzinger

Lecture étrange, curieuse, passionnante, intéressante et un peu, oui, un peu déroutante pour moi. Des oiseaux oui, des chants et leur langue oui, mais il y a autre chose derrière. Derrière ce langage, il y a deux femmes étrangères l’une pour l’autre, mais qui vont se rencontrer sur la Toile, et puis, plus tard, le destin. (avis plus complets ici et ailleurs sur la blogosphère)

Passages courts, extraits d’oiseaux, chapitres d’une vie, hasard d’une rencontre.

Deux femmes perdues, qui se cherchent, des questions sur la vie et sur la mort, des réponses au fond d’elles et parfois ailleurs, graines semées sur leur chemin.

Des fuites, des fugues, de la fumée de fantaisie.

Des mots et des phrases bien encrées dans la réalité d’un monde réel qui paraît se passer là-haut, quelque part dans les nuages.

Pas sûr de m’en souvenir dans 6 mois, m’a paru éphémère. Pourtant, apprécié, différent, livre en point d’interrogation.

Mots choisis, passages percutants, envie de partage, là maintenant tout de suite… sur les oiseaux bien sûr !

« (…) Là ! Plus là ! Re-là ! Je l’attrape. Il ne pèse vraiment pas grand-chose, quelques grammes, et soudain d’entrevois sous ses blancs sourcils courroucés, son regard rieur. Un troglodyte.

Le troglodyte que j’avais relâché faisait à présent le tour de l’abri en sifflant encore, malgré novembre bien entamé, sa petite phrase toujours la même, cinq syllabes en prélude, suivie d’une éclaboussure de trilles, close par une syllabe en suspension. J’en dessinais le sonogramme et je m’essayais à en siffler la ritournelle, l’autre façon de dialoguer ave mon père. Donc, bientôt les Chinois, tantôt les oiseaux.  

« Des oiseaux, « là-bas », il n’y n avait presque pas. Pas même de corneilles. Encore moins de corbeaux. Alors, j’ai décidé de les faire venir. J’ai acheté des graines. Et ils ont débarqué, en plein hiver, comme des extra-terrestres. Ils n’avaient pourtant rien de mirifique. Ce n’était pas des merles indigo, des rolliers turquoise ou des guêpiers azur. Pas du tout. Mais chacun transportait une cargaison de voyelles, a e i o u, et des concisions, des ellipses, des métoynmies. ET malgré leur petititesse et leur grisailleire, on aurait dit les terribles oiseaux de l’Apocalypse qui venaient se recharger d’énergie ici, dans cette clairière, façon d’attendre l’heure, où, en un grand banquet, ils s’envoleraient là-bas pour aller manger la chair des rois et des forts et des puissants et des puissances de la société, et des vieux roués, et venger les horreurs, tellement ils me semblaient impatients, guerriers, durs. J’ai vu apparaître toutes sortes de mésanges, des verdiers, un bec-croisé, des sittelles, et les premiers bouvreuils, et d’autres dont je n’étais pas sûre du nom, trop rapides, trop condensés, trop petits, trop gris. Explosifs. »

« (…) J’étais la mélodie hurlée du vent. J’étais la chute de la neige qui enfouissait jusqu’au crépitement du feu en elle. J’étais le chant des lérots, ces sortes de souris qui sifflent, et qui persiflaient la nuit autour de moi, museau masqué de noir, prunelles noires, saillantes, deux gouttes d’encre, queue terminée d’un pinceau bicolore pour calligraphe chinois. J’étais le délicat et lancinant cri d’épouvante d’une guêpe, survivante de l’été, en train de se faire vider par une araignée. J’étais l’araignée, son silence, celui du crime. (…) »

« (…) Des trucs passionnants comme ça. Soudain, un oiseau commençait à dialoguer avec un autre au loin. Je notais les séquences sur un carnet. Et leurs tons. Je n’avais pas oublié mon projet initial, pas si éloigné de mon roman que ça, car avec les oiseaux on est à la fois dans la grammaire et la musique. Si la langue de troglodyte est un lancer de cinq à six graines de cristal, celle du rouge-gorge est faite de courtes phrases entrecoupées d’un tremblement entre les graves et les aigus qui leur donne une tonalité de désolation qui me ravageait, comme un poème de Du Fu, mon préféré des préférés. »


Gazoline tango, avis de lecture et exraits

Gazoline Tango de Franck Balandier

Un avis de lecture avant la fin de ma lecture !

Benjamin souffre d’hyperacousie. Une douleur fulgurante transperce ses oreilles, vrille ses tympans et s’installe dans son crâne à la moindre occasion. Et cela ne se voit pas. On le prend tantôt pour un fou, tantôt pour un bizarre, tantôt pour un malade. Il est né ainsi et les médecins ne savent pas vraiment ce qu’il a. Alors, pour tromper ces horribles sons qui éclatent, qui arrachent, qui explosent, l’enfant reçoit très tôt un casque anti-bruit de sa Mémé, une vieille voisine veuve qui cultive de l’herbe qui fait rire et qui sens la pisse.

C’est son histoire ici qui est racontée, détaillée : la naissance de Benjamin, sa croissance, sa vie jalonnée par les bruits.

Les récits alternent des chapitres écrits en « je » et en « il », spectateur de sa vie, narrateur extérieur. On découvre Benjamin ou Donald, depuis sa naissance jusqu’à ? (il a plus ou moins vingt ans là où je suis arrivée). Né d’une mère batteuse, punk, trop jeune et qui n’en a rien à faire d’un gamin, il grandit sans père et avec une mère qui brille par son absence, mais avec des parrains et marraines pris sur le tas, au détour de sa route de croissance… Il grandit dans un quartier pauvre, il étudie par correspondance, il essuie remarques et insultes.

Heureusement, Benjamin est très intelligent et débrouillard. Grâce à toutes ces personnes spéciales qui l’entourent, il va suivre un chemin, un bon chemin, un chemin qui le conduira à aimer à sa manière, à être aimé.

Il y a des livres qui vous volent des heures, des histoires qui vous prennent aux trippes alors qu’au départ, c’est juste de la curiosité, un attrait particulier pour un thème, pour une région, pour un personnage, pour… Dans cette histoire – que je n’ai pas terminée mais bientôt – je savoure les chapitres, les images naissent et passent devant mes yeux comme le paysage quand je suis dans un train. Je les vois, j’aime et puis il y en a déjà d’autres qui se suivent.

Dans ce livre (numérique, reçu gratuitement durant le confinement), il y a de l’amour, de l’amitié, des mensonges, de la violence, de la drogue, on y parle aussi de religion, de musique, de travail, de pauvreté et de correspondance.

Extrait 1 :
Quand il avait fini de rire bêtement, il levait les yeux au ciel, là où tout à l’heure les notes de musique de son harmonium étaient venues s’éclater comme des bulles de savon, il restait comme ça, sans bouger, il voyait des trucs. J’aurais bien voulu voir, moi, ce qu’il voyait justement, parce que quand je lui demandais de me raconter, il prétendait seulement que là-haut, pour l’instant, il n’y avait rien à voir, circulez, et que ce qu’il y avait de collé au plafond, c’était juste son âme, comme une crêpe ratée à la Chandleur.

Extrait 2 :
Il faut que ça danse. C’est fait pour danser, les mots. Même si on n’y comprend rien.
Il avait raison : des fois, souvent même, je n’y comprenais rien.
Tu te fiches de ce que ça raconte. Pour l’instant tu écoutes juste la musique que ça fait. Voilà ce qui compte.
J’ai appris à lire et à écrire de cette façon. Avec des mots pleins les oreilles. Ceux-là ne m’occasionnaient aucune souffrance. Jamais. Comme les notes du père Germain, à l’harmonium. Pareil. Des bulles de savon qui éclataient sans bruit, sans rien déranger à l’intérieur de moi. Des choses qui remplissaient. Pour plus tard.

Extrait 3 :
Isidore confessait après son travail à la clinique des Glycines. (…)
Il en avait aussi profité pour moderniser les prières habituelles qu’il trouvait, selon ses propres termes, ringardes. (…)
Au début, les gens avaient paru un peu déconcertés. (…) il avait été question de réciter en rémission de leurs péchés, deux Le corbeau et le renard plutôt que deux Je vous salue Marie et trois Le lièvre et la tortue plutôt que trois Notre-Père. (…)
Suivaient quelques recommandations de bon usage et de correspondances entre l’ancienne coutume et la nouvelle. Ainsi, l’on y apprenait que Le héron remplacerait dorénavant avantageusement la prière de l’acte de contrition, La cigale et la fourmi le Credo, Le rat des villes et le rat des champs le confiteor, Le chêne et le roseau le Gloria.

Extraits de Mes animaux imaginaires

Dans ce premier recueil, 28 petits textes se partagent les 90 pages. Voici quelques extraits choisis :

Monsieur Rougegorge a froid

– Papa, tu as vu ? Il neige ! Il neige pour Noël ! Ça, c’est la fête.

– Oui, fiston, j’ai vu. Si tu veux, on peut faire un petit bonhomme de neige !

– Oh oui, chouette alors ! »

Alors que Pierre s’apprête pour sortir, un petit oiseau brun et orange se pose sur la table du jardin et, de ses petits yeux, regarde sur la table et par terre s’il n’y a rien à se mettre dans le bec. Dehors, il fait froid et les flocons de neige tombent et fondent sur le petit corps de l’oiseau.

– Tu es prêt, Pierre ? Je t’attends

– Oui mais, papa, tu as vu à la fenêtre ? Un Rougegorge. Il a l’air d’être malade, il ne bouge pas beaucoup.

– Oui, en effet, il a certainement froid…et peut-être aussi faim ! Tu veux l’aider ou tu préfères ton bonhomme de neige ?

Léon

Sur le chemin de terre qui mène à une ferme, il y a un petit hérisson penseur. Il trouve que le temps se rafraîchit bien vite et qu’il serait temps pour lui de chercher un abri pour hiberner tranquillement. Il marche à son aise, faisant bouger ses picots à droite puis à gauche. À la vitesse à laquelle il avance, il risque fort de ne pas arriver dans son jardin favori avant le lever du jour. Soudain, un bruit fort le met en boule. Il ne bouge plus, tétanisé par ce qu’il vient d’entendre. Ça ressemble étrangement à un coup de fusil. L’éclat recommence et on dirait même qu’il se rapproche. Léon, le petit hérisson, ose relever la tête et avance un peu plus vite. Il est presque drôle à courir ainsi. Mais il a peur.

Sassi le serpent sans dent

Il était une fois dans une forêt, un
drôle de serpent. Sassi, c’est son nom, est triste depuis qu’il a perdu ses dents de lait. Sa maman lui a toujours dit de cacher les dents qui tombent, sous son oreiller. Ainsi la petite souris passe, prend la dent et laisse derrière elle un merveilleux cadeau. Mais Sassi a toujours faim…aussi à chaque fois que passe une souris, il la mange ! Si bien qu’à la fin, toutes ses dents de lait sont tombées et aucune souris n’a survécu au passage de l’oreiller. Pour le punir de sa goinfrerie, Sassi n’a pas vu repousser la moindre nouvelle dent d’adulte dans sa belle bouche et n’a jamais appris à étouffer une proie.

Le lac des souhaits

Dans la forêt voisine, vit un petit oiseau extraordinaire. Il s’appelle Sylvain. C’est un oiseau de la taille d’un pigeon mais au plumage flamboyant de roux et de jaune. Il a toute l’élégance d’une hirondelle et il est aussi souple qu’une mésange. Très attentif à son plumage et à sa réputation, c’est le plus grand séducteur de la forêt. Sylvain est un animal très dynamique. Il ne peut s’empêcher de marcher ou de sautiller à tout moment de la journée. Et quand, enfin, il prend le temps de s’arrêter, sa longue queue, elle, continue de bouger. Hélas, il a un gros problème. Livré à lui-même depuis son enfance, il n’a jamais apprit à voler !

– Si seulement je pouvais trouver le mode d’emploi, cela m’éviterait bien des misères, se répétait-t-il, sans cesse. En vain, il ne trouve décidément pas la technique pour décoller. Têtu, il essaye une nouvelle fois mais sans succès. Epuisé par cette dernière tentative, il glisse de son perchoir et chute assez maladroitement. Il se fait très mal à la tête. Depuis ce moment, allez savoir pourquoi, il se prend pour un chat !


Hugo le train

…Pendant ce temps-là, Hugo est en visite. Grâce à ses phares puissants, il ne craint pas de rouler la nuit. Hélas, son trajet doit le faire passer dans le nouveau tunnel. Ça par contre, il n’aime pas. Il préfère les grands espaces et il a peur de sentir à l’étroit ou de se retrouver dans un endroit confiné. (Lui, est, ce qu’on appelle un claustrophobe). Il ralentit lorsqu’il arrive à proximité du long tunnel. Il ne veut pas y pénétrer mais il n’a pas le choix, il n’y a pas d’autres chemins qui conduisent au centre commercial. Dans ses wagons, les clients commencent à s’impatienter. Ce qu’ils prennent pour un séisme n’est rien d’autre que les roues tremblantes d’Hugo. Des passagers réguliers qui connaissent très bien Hugo, viennent le voir dans la cabine. Ils lui parlent d’une voix douce. Ils tentent tant bien que mal de le rassurer et de le guider vers le tunnel. Il n’y a rien à faire, Hugo a bien trop peur. Sa frayeur est si grande, qu’il s’arrête net…
Julie lit la pâtisserie

…Comme tous les enfants de son âge, Julie aime les bonbons et autres biscuits sucrés. Elle adore jouer à saute-mouton, rigole beaucoup avec ses petits camarades et se méfie du grand méchant loup. Hélas, elle n’arrive pas à déchiffrer les merveilleuses histoires que sa maman lui raconte, le soir, avant d’aller dormir. Trop distraite par mille choses intéressantes, Julie n’a pas encore réussi à lire un mot, aussi court soit-il.

Puis un jour, alors qu’elle est toute seule dans sa chambre, elle tombe de fatigue et s’endort dans un profond sommeil. Immédiatement, des rêves viennent occuper toutes ses pensées. Alors que tout semble calme dans ce songe, une douce musique titille ses oreilles et l’amène à se lever du lit de coquelicot sur lequel elle est assise…

Noémie est accro

Ses doigts longs et fins triturent le bas de son gilet blanc. La tirette émet un petit cliquetis aigu et régulier. Son cœur bat un peu plus rapidement, sa respiration se fait plus haletante. Elle hésite à rentrer, à franchir le pas de la boutique.

Comme chaque jour, cet instant qu’elle attend depuis le matin devient une vraie obsession. Elle sait que ce n’est pas bien, elle sait qu’elle est accro et elle sait qu’elle doit pouvoir y résister. Mais comment peut-elle s’imaginer freiner cette terrible envie qui lui ronge l’estomac depuis qu’elle a trois ans ?