Les disparus de la 58 explications

D’abord, un lien pour chaque texte afin que chaque auteur de « départ » puisse retrouver la suite que j’ai imaginée pour leur personnage.

Dominique   –   Dorothea   –   Josée   –   Lilyne   –   Lyn   –   Martine   –   Michel   –   Odile   –   Paul Eric   et   Ginette

Une petite explication supplémentaire à propos de ces textes, de ces 10 textes, que vous avez lus.

J’ai démarré l’écriture très vite, parfois l’histoire venait rapidement, parfois non. C’est quand j’ai commencé à être bloquée que j’ai eu l’idée de prendre des contraintes (du livre d’Eva Kavian) pour m’aider à terminer le défi que je m’étais imposée ;-)

Donc pour les premiers textes qui étaient déjà écrits, je suis revenue un peu en arrière, et je les ai retravaillé légèrement afin de coller à la contrainte. Mais, comme l’a si justement bien expliqué Stéphane Van Hoecke lors de l’atelier d’écriture, les contraintes existent pour nous aider à démarrer, à approfondir notre texte, notre histoire, elles ne doivent en aucun cas être un frein à l’imaginaire. Donc, on peut, parfois, s’écarter légèrement de la contrainte, c’est ce qu’il m’est arrivé 2 fois je pense, pour 2 textes différents.

Comme je ne suis pas quelqu’un qui écrit de longues histoires, bah, oui, j’avoue qu’à la fin, pour le dernier texte (désolée Ginette), j’en avais un peu marre. J’ai voulu faire court en racontant que tout cela n’était qu’un rêve, mais en lisant le tome 2 du livre d’Eva Kavian (oui encore et toujours elle, hihi), j’apprends que clôturer un suspense par l’explication d’un rêve, c’est d’un banal horrible sans parler que l’effet tombe à plat, bref, c’est nul.

Donc, je ne l’ai pas fait… et j’ai essayé d’écrire vite fait 3 minis versions pour ce personnage. Pourtant, ce jeu, cette contrainte d’écrire plusieurs versions d’un même événement, vu par différents protagonistes est super intéressant… je le referai donc une prochaine fois avec un autre texte :-)

Enfin, je remercie Nicole, de Tisser les mots et tous les auteurs des 10 textes pour leurs imaginaires et leurs histoires…

Les disparus de la 58 – 10

Texte de Ginette sur la proposition 58 de Tisser les mots.

Contrainte du livre d’Eva Kavian (écrire et faire écrire, tome 1)

Contrainte page 85 : crime ou délit au sens large. Texte en 3 morceaux : 3 narrateurs différents (coupable, victime et témoin)

Nada est stressée. Elle a peur. Elle ne maîtrise rien de ce qu’il se passe ici. Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était partir. Fuir sa vie passée, ses autres vies. Femme de ménage que ce soit dans un hôpital, chez un privé ou ailleurs, c’est le même job, et elle en a marre. Mais rien ne va comme elle veut, d’abord ce train, puis ces gens, cette ville, cette fille pour un taxi… puis, elle comprend, elle doit certainement être dans un mauvais rêve… Elle veut se pincer la joue, comme dans les films, pour voir si elle va se réveiller. Mais rien ne se passe, aucun réveil, mais une douleur, c’est qu’elle n’a pas été de main morte.

Quand elle se retourne pour répondre à la question, elle sent que sur son dos, dans son sac, ça bouge. Que vient faire cette stupide boule de poils dans son sac ? On dirait un hamster, un hamster nain, et dans sa gueule, il tient un morceau de viande indéfinissable…

*

Le désir d’une nouvelle vie débute assez mal, je l’avoue. Prendre un petit morceau de souvenir partout où j’ai bossé, n’était pas une bonne idée. Ce sac m’encombre plus que tout autre chose. De plus, je ne sais pas où je suis, tout à l’air bizarre ici, le train, les gens, la ville. J’ai l’impression que je suis dans un foutu cauchemar où à chaque micro réveil, je me rendors aussitôt, sans avoir la capacité de me réveiller complètement, puis, malgré moi, je poursuis ce mauvais rêve.

Voilà qu’on m’apostrophe ! Manquait plus que ça. Mon sac, mon sac, pourquoi elle veut voir mon sac celle-là ? La bestiole est toujours vivante, j’aurais dû la tuer quand j’en avais l’occasion, car carnivore comme elle est, elle va finir par me dévorer tous mes souvenirs. Tiens, et si je lançais ce hamster à l’estomac surdimensionné à son visage ? Je ferais d’une pierre, 3 coups : je me débarrasserais de ce stupide animal quitte à perdre un souvenir, mon sac serait plus léger et on me foutrait peut-être la paix après ça. Bonne idée Nada. Tu vois que quand tu veux, tu peux réfléchir. T’es pas stupide au fond !

*

Cette bonne femme est tarée ! Ce n’est pas la prison qu’elle mérite, c’est l’asile psychiatrique, la camisole de force ! Jean-Philippe en est certain, il n’est sûrement pas le seul à s’être fait avoir de la sorte par cette femme complètement frappadingue ! Lorsqu’elle l’avait menacé avec sa fourchette, bien qu’elle ai manqué de peu son œil, il avait eu un bout d’oreille en moins ! Il s’était enfuit en courant, se retournant une dernière fois pour la voir ramasser et le lobe de son oreille et la fourchette. Elle avait mis ces deux objets dans un mouchoir en papier et puis elle avait sourit !

Aujourd’hui, sur cette île, même s’il ne peut toujours pas déterminer avec précision à quelle latitude et longitude il se trouve, quand il la voit au loin ouvrir son sac à dos et parler avec l’homme invisible, il se dit que la folie est contagieuse et qu’il doit être lui aussi chez les fous pour la rencontrer ici, elle aussi !

Les disparus de la 58 – 9

Texte de Paul Eric, contrainte empruntée du livre d’Eva Kavian.

Contrainte page 70 : raconter une journée dans l’agenda d’un personnage, avec un moment imprévu… (ce personnage m’a inspiré pour le week-end d’écriture de Stéphane Van Hoecke. Ce facteur, un peu différent, se retrouve dans « mon village ») Un facteur, l’un de mes personnages de mon petit village)

Roland, en ce mardi 19 avril 2016, n’a pas envie de se lever. Pensionné depuis quelques brèves années, il a pris l’habitude de profiter du bien-être qu’il éprouve à rester dans son lit. Avant, il devait se lever tous les jours à 5 heures du matin pour pouvoir être prêt pour la première distribution du courrier. Aujourd’hui, son agenda est quasi vide, le matin, il n’a absolument rien de prévu. Peu avant midi, il devrait, pour s’obliger à sortir un peu et à aérer son esprit, rejoindre son café préféré, celui qu’il connaît depuis qu’il travaille. Même s’il garde cette visite quotidienne dans son planning, c’est davantage pour écouter les ragots et autres rumeurs qui circulent dans son petit village que pour vraiment tisser des liens. S’il mange souvent un petit quelque chose, un croque-monsieur ou une omelette à midi, dans ce même café, il part généralement juste après, car rester trop longtemps fini par user, par fatiguer, par s’énerver.

Il rentre donc souvent sur les coups de quinze heures, à pieds. C’est qu’il est juste à la sortie du village, au bord, à la limite, et à son âge, marcher un kilomètre et huit cents cinquante-trois mètres lui demande presque une heure pleine. Quand il était jeune, il s’amusait à se chronométrer, à comparer, à jouer avec le temps. Il reliait sa petite maison et son café en vingt-sept minutes, parfois même moins, mais il ne s’est jamais pressé.

Ce mardi, il décide donc de refermer les paupières pour un réveil définitif reporté, plus tard.

Ce matin, c’est ce qu’il se disait quand, pour la première fois de cette journée, il a ouvert les yeux. Mais ça c’était avant d’entendre un bruit particulier. Roland avait à peine refermé ses yeux que le glissement d’une feuille l’a alerté. Il connaissait ce bruit, ce chuchotement, ce murmure pour l’avoir tant de fois fait chez les autres. Glisser une enveloppe sous une porte, discrètement, secrètement, il adorait ça. Il s’imaginait alors la tête du conjoint, ou de l’enfant qui découvre l’enveloppe.

Aujourd’hui, maintenant, tantôt, tout à l’heure, ce matin, c’est à lui que c’est arrivé.

A présent, sur cette île, Roland, qui a aussi l’âge d’être grand-père, mais qui ne l’est pas car il est sans enfant, continue à marcher sans se préoccuper de tous ces gens qui sont apparus tantôt à sa gauche, tantôt à sa droite. Dans sa tête d’ancien facteur, il se remémore chaque indice qui lui permettait d’identifier tous ces voisins, ces habitants, ces destinataires de courriers. Dans sa barbe qu’il n’a plus rasé depuis 10 jours, il sourit d’une bouche édentée. Combien de secrets il a déjà percé rien qu’en observant attentivement les courriers de ses voisins ? Une enveloppe légèrement colorée par ici, une autre parfumée par là-bas, et une troisième décorée d’une belle écriture, fine, onduleuse, précise, calme.

Puis ces petits colis, venant parfois d’un autre pays. Ou ces enveloppes plus grandes, plus lourdes, qui faisaient parfois des petits bruits quand il les secouait. Mais, jamais, il n’a montré qu’il savait. Car, parfois, quand même, il avait des doutes. Ce ne serait pas juste d’accuser à tort… alors, il attendait d’autres indices, d’autres visites, d’autres courriers mystérieux. Et ça ne manquait jamais.

Puis, une nuit, alors qu’il était déjà retraité depuis quelques années, il reçut du courrier. En pleine nuit, oui ! Il était occupé à écrire dans son journal de correspondances quand l’enveloppe a glissé sous la porte. Légère, elle volait presque au ras du sol, poussée par un vent invisible. Chaussé de ses lunettes à double foyer, Roland avait examiné, pesé, reniflé l’enveloppe avant de l’ouvrir avec son coupe papiers préféré, à manche de fausse ivoire représentant, tout au bout, une tête de fouine. Car, oui, malgré toutes ces années à rester aussi discret que possible, le facteur s’était fait une réputation de fouineur discret, silencieux et mystérieux.

Dans cette enveloppe qui ne devait peser guère plus de 25 grammes, un seul feuillet, épais, ligné légèrement, et 4 phrases écrites par une main inconnue de lui, jusqu’ici. Le petit mot, signé « La Fouine », lui donnait rendez-vous à la sortie de son village, le lendemain matin, assez tôt, avant que le soleil ne se lève. Aucune heure n’était précisée, et Roland, toujours curieux, et surtout avide de connaître certains secrets dont la lettre promettait de dévoiler la vérité sur quelques voisins, n’avait pas hésité une seule seconde. La décision de rejoindre « La Fouine » s’était imposée naturellement à lui. Il allait enfin pouvoir terminer son carnet de correspondances, son roman caché. Même si la moitié des villageois qu’il a connu avait déménagé ou étaient morts, révéler des secrets, petits ou grands, a toujours été un rêve qu’il a soigneusement cultivé tout au long de ces années.

Il ne veut pas faire du mal à qui que ce soit, d’ailleurs, il a changé les noms dans ses correspondances, mais voir les gens ahuris, les faire rire, les surprendre, les faire peur aussi parfois, l’excite depuis toujours.

Et le voilà ici, sur cette île, sans un regard pour les autres personnes, en train de cogiter, de faire des suppositions sur le dénouement de certaines histoires passées… il ne sait même pas qui il doit voir, il ne sait même pas quand… mais, et lui, quel est son secret ? Écrire un livre en cachette, tout le monde le fait ou tout le monde peut le faire… Non, Roland, fait partie de ces gens dont l’expression « il faut se méfier de l’eau qui dort » lui colle à la peau.

Lui qui pensait vivre encore une journée ennuyeuse, est ravi à l’idée de celle qui va passer aujourd’hui et peu lui importe où il se trouve. Partout, tout le temps, il y a des secrets, des secrets qui ne restent pas longtemps secret avec lui…

Les disparus de la 58 – 8

Texte de Odile (clic pour lire le début de son texte) et contrainte picorée du livre d’Eva Kavian.

Contrainte page 66 : 5 objets + 1 lieu + 1 personnage

trottinette, lasagne, ampoule, ours, tablier

Rue des 3 filles (coïncidence, j’avais déjà choisi ce lieu et écrit mon texte avant mon atelier d’écriture du week-end passé, et lors de cet atelier, l’animateur, Stéphane Van Hoecke, a aussi choisi ce lieu ;-)  )

Jean, grand-père de 3 fils, cultivateur

Jean, ce grand-père de 3 fils et cultivateur de profession, arrête de pédaler. Le guidon encore entre les mains, il pense qu’il s’est perdu. Il roulait sans réel but, il était entré sur ce chemin, au bout de son champ, qui devait le conduire au village le plus proche, puis, plus loin, dans un autre champ, un autre village, plus grand, presque une ville. Il devait traverser toute une forêt, puis normalement, le champ du voisin commençait derrière l’église. Mais il n’est jamais sorti de la forêt. Il a dû prendre le mauvais chemin de terre… et le voilà ici, il ne sait pas où, sauf qu’il est dans la rue des 3 filles, mais ce n’est ni son village, ni le champ du voisin. D’un geste sûr, du bout du talon, il ouvre le pied de son vélo. Il penche son moyen de transport de façon à en sortir sans se casser la pipe. Puis, il s’accroupit, gratte le sol de ses mains rugueuses et sèches, brunies par la terre. Le sol n’est pas trop sec, il parvient à récupérer un peu de matière, de la terre mélangée à un genre de sable légèrement rose. Entre ses doigts experts, il frotte le sable, il défait la terre. Il réfléchit, que pourrait-il bien faire pousser ici ? Des patates ? Du colza ? Des plantes grasses ? Il hésite. Il se retourne et constate que la forêt, derrière lui, est luxuriante, en bonne santé. Il a toujours rêvé de vivre un moment en pleine forêt. Pourquoi pas ici ?

Cédric, son deuxième garçon, l’a toujours prit pour un illuminé. Jean se souvient de son enfant quand il avait 15 ans, même pas adulte, à peine un adolescent boutonneux, irrespectueux et grossier. Il l’avait toisé d’un regard mauvais et avait dit à son père « t’as un grain de folie planté dans ton cerveau, il germe tout doucement, et dans même pas 10 ans, tu seras bon à être enfermé en psychiatrie. » Ces mots avaient glissé sur lui, il n’avait pas prêté attention à ce garçon différent, né grand prématuré, qu’il a fallu réanimer à la naissance. Jean avait tout fait pour lui, peut-être même un peu plus que pour les deux autres. Parce que justement, il était différent, il avait déjà eu tous ces problèmes bébé. Et contre toute attente, Cédric avait grandi normalement, sans séquelle physique ni mentale, si ce n’est un caractère d’ours mal léché et d’une brusquerie sans nom pour son petit frère. Même père, même mère, mais 3 enfants, 3 fils tout à fait différents.

Aujourd’hui, il était fatigué d’avoir fait comme si de rien n’était durant toutes ces années. Grand-père 5 fois, il avait tant espéré que Cédric devienne père à son tour pour le voir changer, pour espérer recevoir un peu d’amour de ce fils particulier. Il avait même étudié les langues, l’allemand, mais aussi l’anglais, le russe, et l’italien au cas où son fils voyageur ramènerait avec lui une fille de ces pays. Mais rien n’y faisait. Alors, un jour, il a décidé qu’il était temps pour lui de partir, de voir autre chose que son champ et cultiver autre chose que cet espoir voué à l’échec.

Jean s’apprêtait à retourner dans la forêt pour commencer à ramasser le nécessaire pour la nuit quand une délicieuse odeur de lasagne lui fit lever la tête du côté opposé. Il avait faim, il s’en rendit compte avec ce délicieux fumet qui titillait son nez. Sans réfléchir plus longuement, il reprit sa marche en suivant le chemin du parfum invisible. Après deux heures de progression sur cette île, Jean se surprit à se demander pourquoi il continuait à marcher de la sorte, sans but précis, il avait complètement oublié la lasagne, et même sa faim qui à présent pourtant se manifestait par de gros bruits au niveau de son ventre vide. Le soir arrivait, il devait s’arrêter. Il ignorait tout de l’endroit où il se trouvait, ne savait pas quel danger pouvait surgir dans la nuit. Il voulu faire demi-tour pour revenir dans la forêt, mais droit devant lui, se dressait un immense arbre. Il était si grand qu’il était persuadé que toute sa famille réunie n’aurait pas suffit à faire le tour du tronc avec leurs bras. L’image de sa petite-fille s’amusant à faire le tour de ce tronc en trottinette le fit sourire.

Peut-être que l’arbre cachait la forêt, une autre, encore plus fournie, plus fertile, plus accueillante que celle qu’il venait de quitter ? Il n’avait jamais autant marché de sa vie et des ampoules naissantes à ses talons le guidèrent vers cet objectif : l’arbre gigantesque.

Arrivé tout près, marchant sur quelques racines épaisses et tordues qui crevaient le sol, Jean s’écroula le dos contre l’écorce lisse et légèrement chaude et ôta ses souliers fumants. Une bonne inspiration réveilla le désir d’enfourner quelque chose dans sa bouche. Mais il n’avait plus le courage de faire le moindre pas pour chercher pitance. Tête baissée, yeux fermés, joues gonflées par un soupir sur le point d’exploser, Jean ne vit pas le tablier descendre lentement, emporté par un vent nouveau. Ce n’est que lorsqu’il se persuada de faire un dernier effort pour se nourrir qu’il vit le tissu orange flotter sur la dernière branche, la plus basse, située à une hauteur de géant, impossible pour lui d’attraper. Alors qu’il allait baisser complètement les bras, une force hors du commun le tira en arrière. Jean se retrouva à nouveau collé sur le tronc de l’arbre. Plié en deux, l’arbre fit descendre un bras noueux, habillé par des feuilles tordues de chêne et la main ainsi parée agrippa le grand-père par ses bretelles, le souleva du sol et le déposa à califourchon sur un autre bras, celui qui tenait fermement le tablier. D’abord surpris puis amusé de la situation, Jean remercia de vive voix l’arbre et lui demanda s’il n’avait pas par la même occasion quelque chose qu’il pouvait se mettre sous la dent. Aussitôt demandé, si poliment, aussitôt exaucé. Dans la poche du tablier, Jean y trouva une sorte de spaghetti fin et souple qui goûtait la noisette.

Après avoir encore remercié l’arbre, il se demanda combien de vœux il allait pouvoir demander…

Les disparus de la 58 – 7

Texte de Michel, de la proposition 58 de Tisser les mots.

Contrainte du livre d’Eva Kavian : situation improbable dans laquelle je mets mes personnages.

évasion du hamster nain (page 128 de la liste des problèmes et anomalies)

Olivier, 24 ans, n’en revient pas. Il était occupé à grimper cette colline, quand tout à coup, au sommet, son pied droit a glissé. Et au lieu de l’amener de l’autre côté de cette colline, il est tombé dans la vallée. Il se souvient qu’il avait eu peur de se faire mal, une mauvaise chute, c’est très vite arrivé. Mais non, sous lui, sous son ventre, que de la mousse, lisse, parfumée à la violette, et légèrement humide. Il a fermé un instant les yeux, en espérant très fort arriver en un seul morceau, en bas, tout en bas. Quand il les a rouverts, un tout autre paysage s’offrait devant lui. Et il n’était plus seul. Il avait dû se cogner la tête et perdre connaissance. C’est ce qu’il pensait. Il allait demander ce qu’il faisait là à cette femme qui était la plus proche de lui, mais au dernier moment, il se ravise. Elle a l’air toute aussi perdue que lui. En fait, à bien regarder, ils ont tous l’air perdus… sourire… il est en train de vivre pour de vrai l’histoire du feuilleton Lost qu’il n’arrêtait pas de regarder il y a quelques mois, toutes ces personnes échouées sur une île mystérieuse, leur avion avait disparu des radars de contrôles…

Olivier s’attend à vivre une aventure comme il a tant de fois rêvé. Quand la réalité dépasse la fiction, il a toujours voulu raconter une histoire pareille. Ses potes vont en faire une de ces têtes… enfin s’il les revoit un jour, s’il parvient à revenir dans le monde qu’il a connu… mais pour le moment, il a comme on dit d’autres chats à fouetter car dans sa chute, il s’est cogné la fesse gauche contre un objet pointu car il ressent à présent une vive douleur juste au-dessus de la cuisse arrière. Il passe sa main histoire de vérifier qu’il ne saigne pas, mais au lieu de sentir le liquide poisseux de son sang ou le tissu déchiré de son short, il a sous ses doigts, une boule aux poils tout doux qui gémit quand il essaie de l’ôter de son arrière-train ! Vu la position de l’animal, Olivier ne sait pas la voir, ni connaître la façon dont il s’est accroché à son short et à sa peau. Sans pincer la bête ou faire croire qu’il veut l’attraper, il épouse les formes de la boule avec le bout de ses doigts, délicatement, pour évaluer la taille de l’intrus. Et l’intrus n’est pas bien grand, car de sa main ouverte, il rentre dans la paume du jeune homme, complètement. Un regard autour de lui pour tenter de trouver un meilleur repas à fournir à la bestiole. Quelques pas plus loin, en grimaçant à chaque fois qu’il avance sa jambe gauche, il trouve une sorte de fruit ressemblant à une noix, mais de couleur jaune paille. Sur une pierre, il brise la coquille et sent l’intérieur : c’est bien de la famille des noix.

Vu de loin, on pourrait rire de toute ça : le jeune homme tend quelque chose vers son derrière !

Si seulement Olivier savait que cet hamster nain carnivore s’est évadé de chez lui pour échapper à son triste sort, peut-être qu’il lui aurait proposé une autre nourriture, bien plus alléchante : la viande de sa fesse, tendre et sans doute goûteuse.

Les disparus de la 58 – 6

Texte de Martine D.
Contrainte du livre d’Eva Kavian : 1 ritournelle d’enfant + 5 objets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres + 2 personnages caractérisés + 2 ou 3 expressions figurées = le tout ensemble dans un texte.

« Il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille »

feutre, sauce hollandaise, timbre poste, kangourou, fontaine

Luce est une commerçante superstitieuse et Christophe est un chômeur hyperactif (finalement, je n’ai pas utilisé ces caractéristiques)

expressions : prendre ses jambes à son cou –  péter les plombs

« Il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille » Voilà que Luce a cette ritournelle en tête après toutes ces années. Sans doute l’arrivée prochaine de son premier petit enfant. Luce regarde un kangourou passer non loin d’elle. Elle est déboussolée. Elle ne comprend rien à ce qu’il se passe. Ça l’angoisse. Elle était là, au péage, à même pas 6 heures du matin, ou peut-être bien que si, il était tout juste 6 heures, il y a eu comme un éclair, et pouf, et paf, la voilà ici, elle ne sait même pas où, avec tous ces gens près d’elle. Son regard s’arrête sur l’enveloppe qu’elle tient dans la main. L’annonce du petit journal découpé et mis sous enveloppe. Pourquoi dans une enveloppe ? Elle pensait le poster ? Elle n’a même pas de timbre sur elle, depuis le temps qu’elle a troqué les envois postaux pour les emails plus rapides… Et tous ces gens… Par hasard, même si elle n’y croit pas une seconde, elle examine furtivement tous ces visages. Aucun ne lui ressemble. Lui, il est grand, vraiment grand, blond comme une sauce hollandaise, avec des yeux bleus. Sans barbe ni moustache… enfin, ça c’était lui il y a… combien de temps déjà ? 15, 20 ans ? Isabelle, sa fille aînée qui va bientôt être maman à son tour, a 29 ans, donc Christophe, l’image que Luce a de lui, date de 30 ans ! Punaise, ça fait un paquet d’années… et toujours ces sentiments troublants, forts, toujours cette attirance physique dès qu’elle pense à lui. Pourtant, elle avait essayé que ça marche entre eux à l’époque, mais il l’avait jeté comme une vieille chaussette pour des raisons tout à fait injustes. Malgré ça, elle était quand même revenue une fois vers lui, une dernière chance, malgré ses derniers mots blessants. Mais c’est à peine s’il lui avait répondue… et puis, même pas deux ans plus tard, quand Luce est à nouveau amoureuse, quand Luce vient à peine de se mettre en ménage avec Laurent, voilà qu’il revient. Il la demande en mariage, comme ça, comme si de rien n’était, comme s’il n’avait rien dit, rien fait… Mais Luce est amoureuse, et même si elle sait qu’elle ne se mariera jamais avec Laurent, elle sait qu’elle doit faire un bout de chemin avec lui… elle attend son premier enfant de lui. Alors, elle repousse les avance de Christophe, même si cela lui fait quand même un peu mal, elle sait qu’elle mérite mieux, elle mérite quelqu’un comme Laurent.

Et puis, les années passent. Sur un réseau social fort connu, ils se retrouvent, des mots échangés, des souvenirs évoqués. Chacun peut voir ce que l’autre est devenu grâce aux photos des conjoints respectifs… mais ils ne peuvent plus se voir, ils savent que l’attirance est forte, et ils respectent leur couple d’aujourd’hui.

Qu’est-il donc arrivé à Christophe pour qu’il passe cette petite annonce ? Maintenant ? Après toutes ces années ? Il a dû péter les plombs, et elle disjoncte avec… Elle n’a pas résisté, elle n’a plus pu attendre. Elle voulait savoir si après tout ce temps, après cette absence visuelle et physique, elle avait raison de ressentir cette boule au ventre à chaque fois qu’elle pense à lui…

A présent, la voilà ici, ailleurs, ce n’était pas son objectif. Elle a peur de manquer le rendez-vous. Elle pense à Christophe qui doit attendre, encore un peu plus… puis, elle pense à Isabelle, qui doit accoucher dans 8 jours. Mais où bon sang se trouve-t-elle ? Et qui sont tous ces gens ? Que font-ils tous ici ?

A sa gauche, une fontaine lance son eau à tout-va. Trop de vent. Elle est moche la fontaine, et l’eau elle-même prend ses jambes à son cou tellement elle veut fuir cette architecture horrible, ce récipient mal conçu, ces tuyaux mal fabriqués, ces statuettes incomplètes…

Luce n’a qu’une envie : le retrouver, que le désir brûle en elle comme autrefois. Déterminée, elle s’avance vers le premier groupe qui s’est rassemblé autour de la fontaine. Le premier mec qui lui ressemble, elle l’embrasse, même s’il faut qu’elle lui colorie les yeux au feutre bleu pour qu’il lui convienne mieux.

Les disparus de la 58 – 5

Texte de Lynn (clic), sur la proposition 58 de Tisser les mots.

Contrainte de la page 60 du livre d’Eva Kavian (écrire et faire écrire, tome 1). Incipit : « Nous étions huit… »

Nous étions huit… et aujourd’hui, je suis seule. Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Où est-ce que je suis ? Que s’est-il passé ? J’avais tout organisé pour que tout se passe exactement comme je l’avais prévu. Bon, d’accord, j’ai fait tout ça dans la précipitation, mais quand même ! Dans mes souvenirs, l’Afrique n’est pas comme ça. Et puis qui sont tous ces gens ?

Gigi, calme-toi. Tu es partie pour un ailleurs, tu y es. Zen, cool.

Si j’ai quitté la petite puce, ma petite Ada, c’est pour une raison précise. Oh, qu’elle va me manquer, sûr ça, mais à vivre tous les jours en pensant que peut-être j’aurais pu connaître une autre vie, que je peux encore vivre autre chose que ça, je ne dois pas, je ne peux pas avoir de remords. Ada, tu es encore jeune, et même si tu ne peux pas tout comprendre de mon geste, de ma fuite, un jour, tu sauras tout et tu me pardonneras, car tu comprendras. Je ne peux plus rester ici, à me lever tous les jours avec cette question qui me percute tous les matins : où est ma mère ? Certains liens sont forts et difficiles à expliquer, un lien mère-fille est puissant. Je sens, je sais au fond de moi que ma mère ne m’a pas abandonné. Elle n’a pas pu abandonner lâchement ses 8 enfants comme ça, parce qu’elle en avait marre de nos disputes. Une mère ne fait pas ça.

Ma mère aimait l’Afrique, elle aimait se lever à l’aube pour voir les girafes traverser la plaine, de sa fenêtre. Elle ne m’a pas appelée Gigi pour rien, c’est le diminutif de girafe, non ?

J’ai 43 ans, l’âge exact où ma mère, notre mère, nous a soi-disant abandonné. Je refais la même chose qu’elle, j’abandonne Ada ! Je n’y avais pas pensé au début. Je voulais partir, tout simplement. Je pense avoir fait le tour de ma vie, j’ai été à l’école, j’ai décroché un bon diplôme, je suis tombée amoureuse, je me suis mariée et j’ai eu un enfant. Mon boulot ne va pas me manquer. Mon mari, oui, un peu. Ma fille beaucoup plus. Mais c’est un peu pour elle que je fais ça aussi. Si je ne sais pas me compléter parce que ma mère me manque, je ne peux pas être une mère comme je l’aurais voulu.

Et tous mes frères et toutes mes sœurs, que j’ai connu, avec lesquels j’ai grandi… où sont-ils à présent ? Y en a-t-il l’un ou l’autre parmi tous ces gens que je vois là-bas ? Punaise, si je retrouve un frère ou une sœur, après tout ce temps, qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ?

Ça y est, l’angoisse monte dans mon ventre alors qu’une femme, à la silhouette arrondie s’avance vers moi. Que me veut-elle ? Qui est-elle ?