Le week-end des 10 et 11 décembre, j’ai eu le plaisir de jouer avec les mots lors de l’atelier d’écriture de Stéphane Van Hoecke, au château du Sartay, à Embourg, Liège.
La coïncidence a voulu que mes textes préférés soient liés aux fables de Jean de La Fontaine.
Il fallait apporter deux objets de notre choix. J’avais apporté deux petites figurines en plastique représentant un renard habillé d’une salopette et d’un gilet et d’un corbeau avec un chapeau de paille et aux pattes et bec bleus. Surprise : il fallait intégrer l’un de ces objets à un texte dont la proposition d’écriture m’a bien surprise. Et lui donner un titre.
Proposition N°4 : J’ai tué mon voisin. L’objet apporté doit se retrouver dans l’histoire. Expliquer le comment et pourquoi de ce meurtre.
Je n’ai rien vu venir
- Maître Corbeau qui pêchait sur un arbre, …
- Non ! Non ! Et non ! « Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage »
- Oh ! ça va hein ! te fâche pas. Je recommence : « Maître Fromage sur un arbre perché tenait dans son bec un corbeau » Ha ! Ha ! Ha !
- Dis, tu te fou de moi, là ? Sérieux ! Recommence et dans le bon ordre.
- Pffff ! « Maître Corbeille sur un arbre perché, tenait dans son bec des groseilles. »
- Vas-y, marre-toi ! Et tu sais quoi ? Puisque tu le prends ainsi, débrouille-toi tout seul ! Moi, je jette l’éponge. J’abandonne. Tu m’énerve !
Lui, c’est Joris, mon petit voisin de douze ans. Voisin dans la rue et voisin dans la classe. Oui, je sais, j’ai pas de bol ! C’est un Je-m’en-foutiste pas permis ! Doublé d’un égoïsme. Si le bonnet d’âne existait encore, il l’aurait en permanence sur sa tête. Je suis trop méchante… avec les ânes, je suis sûre qu’ils sont plus intelligents que ce bêta.
Je ne sais pas ce qui me retient de lui faire bouffer cette fable qu’on est censés connaître par cœur pour demain.
- Attends Zoé ! Ne pars pas steuplait ! Me supplie-t-il en me retenant maladroitement par la manche. Promis, j’suis sérieux cette fois.
- C’est la dernière fois que je t’écoute, si t’arrives pas à aligner la première partie sans faire le crétin, je la dirai toute seule cette fable et c’est moi qui aurai tous les points !
Joris ne dit plus rien, mais je suis sûre qu’il doit se moquer de moi. L’avantage, quand on est aveugle, c’est qu’on ne voit pas les grimaces, les insultes et les menaces faites avec les mains. Le gros inconvénient dans notre cas, c’est que parfois on ne sait pas éviter les coups, volontaires ou non.
Le silence est pire. On peut s’imaginer des tas de choses. En pire ou en mieux.
Après quelques secondes de silence mortel, où je me vois alternativement lui tordre le cou à ce voisin pas malin, et le pousser du balcon, Joris revient avec un paquet de chips. Je déteste les sachets de chips. Ce bruit est infernal pour mes oreilles sensibles. Pire que des acouphènes. Son désagréable, bruit irritant. Ça m’agace. Ça m’énerve.
« Je vais le tuer ! Je vais le tuer ! »
- Maître Corbeau skrountch skrountch sur un arbre perché skrountch skrountch skrountch tenait dans un son bec skrountch skrountch un fromage. skrountch skrountch skrountch skrountch skrountch skrountch Maître Renard skrountch skrountch par l’odeur alléchée skrountch skrountch lui tint à peu près ce skrountch skrountch skrountch skrountch…
“Bordel de merde ! Pardon maman pour le gros mot, faites qu’il s’étouffe avec ses foutus chips. Ou je ne sais pas moi, qu’il avale de travers. Qu’il s’étouffe. Qu’il avale de travers. J’en sais rien moi, mais faites quelque chose pour qu’il se taise à jamais ! »
Je prie en silence, tout en tordant un coussin entre mes mains. Ah non ! Ce n’est pas un coussin. Trop mou. Le ballon du chien ? Son cartable ? Je devrais écouter maman. Je devrais toujours avoir une balle anti-stress avec moi. Pour malaxer. Pour me déstresser. Pour me calmer. Pour passer mes nerfs quelque part. Bon sang, c’est quoi ce truc que j’écrase depuis des plombes ?
- Joris, c’est quoi ce truc que m’as donné pour m’apaiser ? Joris ! J’te cause. Joris ? Et mec, tu pourrais au moins répondre. Joris ! Réponds !
« Bordel de merde, pardon maman pour le gros mot, l’enfoiré, il s’est barré ! »
Zoé ne le voit pas, normal pour une non-voyante, mais elle vient de tuer son voisin de ses propres mains !
L’avantage quand on a ce handicap, c’est qu’on ne sera pas, enfin Zoé ne sera pas hantée par cette image horrible d’yeux exorbités, de bouche ouverte avec sa langue bleue qui dépasse et de bave qui a coulé sur le cou. Elle ne fera pas des cauchemars sur cette vision de meurtre à l’insu de son plein gré. Mais l’inconvénient dans ce cas-là, dans son cas, c’est qu’elle risque bien de ne plus jamais osé manger de chips.
Proposition N°6 : décrivez le rituel du petit-déjeuner de, au choix :
Fumée de fruits
Odeur d’orange
Ustensiles uminscules (synonyme de minuscule)
Repas de reine
Montagne de miel
Ivresse intérieure
C’est petit. C’est rapide. Vite avalé.
Sans fioriture, tout est dans la nature.
Fraîcheur, diversité, tout est consommé. Rien n’est laissé. Rien n’est jeté.
Partagé, apporté ou volé, tout est bon à manger.
Sur place ou à emporter, aucune ne va râler.
Dégusté, avalé, absorbé, le petit-déjeuner se prend en équipe, dès que le soleil s’est levé.
Aucune cuisson. Aucune transformation. Les aliments ne subissent aucun changement.
Stock possible. Réserve souhaitée. Approvisionnement exigé. Travail particulier, bien déterminé.
Chacune à sa tâche. Du travail pour tous les âges.
Il faut mériter sa pitance à tout moment. Contribuer au ravitaillement à tout bout de champ.
Pas bien difficile de faire la file. Tout le monde sera servi, là-bas, ailleurs ou ici.
Quand tout a été vidé, le dépôt peut être alors visité. Uniquement par mauvais temps, intempérie et grand vent.
Rien à se mettre sous les mandibules ? Inventer des bidules, des brols, qu’importe, il n’y a pas de ridicule.
Le petit-déjeuner est le moment le plus important de la journée : énergie, dynamisme, intelligence et force sont partagées tout au long des heures écoulées.
Proposition N°7 : écrire la lettre d’amour d’une tortue à un lapin (mon choix) + 3 mots imposés :
Rouge – Cresson – Tambour
Mon cher petit Lapin au Cresson,
Si tu savais comme mon cœur tambourine encore et toujours au rythme de ta course folle contre moi.
Quand je pense à toi, mon cœur fait : Boum ! Boum !
Boum ! Boum !
Mon cher petit Lapin au Cresson,
Si tu savais comme je rougie encore et toujours à la pensée de ton amour pour moi.
Quand je pense à toi, mon bec fait : Smack ! Smack !
Smack ! Smack !
Mon cher petit Lapin au Cresson,
Si tu savais comme mon sang bouille, comme mes pattes tremblent encore et toujours quand tu joues à saute-mouton avec moi.
Quand je pense à toi, quand je pense à tes grandes oreilles au vent, à tes bonds étonnants, mon amour pour toi galope comme un lièvre qui file dans un champ : Je t’aime ! Je t’aime !
Je t’aime ! Je t’aime !
Signé : Ta tendre Tortue Tourbillonnante