Plus tard, je serai… libre !

–  Nicolas, tu es de nouveau dans les nuages, reprends-toi ! Nous sommes en classe je te rappelle, cesse de regarder par la fenêtre !

  Mais Madame, je réfléchis à votre question.

– Alors donne-moi ta réponse.

Plus tard, je voudrais être un oiseau.

– Un oiseau ? Ben voyons… Tu veux dire vétérinaire ou ornithologue ?

Non, madame, un oiseau. Un Albatros pour être plus précis. C’est le maître de l’océan, le dieu des vents. C’est l’oiseau avec la plus grande envergure, vous le saviez ça ?

– Nicolas, mais tu ne peux pas te transformer en oiseau. Tu peux l’étudier, le suivre, faire des photographies, mais jamais tu ne seras un animal.

Nicolas reste rêveur, il n’écoute déjà plus sa maîtresse d’école. À 10 ans, il est le plus petit de sa classe et parfois certaines moqueries de camarades le blessent.

   Je serai le plus grand…grommela-t-il entre ses lèvres.

Il continue à regarder par la fenêtre. Une Mouette rieuse le nargue en passant et repassant tout près de la fenêtre du dernier étage de l’établissement scolaire.

  Je suis un oiseau… je suis une mouette… je suis un Albatros hurleur ! Oui Hurleur, car je veux crier au monde entier que je ne suis pas le plus petit, je ne suis pas faible, je ne suis pas bête. Je suis Albatros, le maître des oiseaux. Je suis sur une colline. J’avance doucement, de ma démarche maladroite, pour atteindre le bord. Je ne peux pas ouvrir mes ailes directement, car elles sont trop grandes et touchent le sol. Je saute dans le vide. À peine ai-je quitté la terre que j’ouvre mes longues ailes. Je plane très vite, le vent glisse sur mes rémiges, sur mon corps tout entier. Je suis fait pour planer. Il n’y a pas trop d’embouteillage : les Fous sont un étage plus bas, plongeant comme une flèche pour attraper leur poisson, les Goélands n’ont pas encore faim et ils planent juste au-dessus de moi tandis que les Mouettes sont déjà sur la mer à flotter sur l’eau. Rapidement, je trouve une ascendance thermique qui m’élève dans le ciel, je vais bientôt rejoindre mes cousins.

Il fait beau, le ciel est bleu, l’horizon est dégagé. Grâce au vent, je ne dois dépenser inutilement mon énergie, je me déplace lentement mais sûrement. Ma queue fait office de gouvernail, je suis la direction du vent. Il me guide où je veux, quand je veux.

Je commence à avoir faim, je descends toujours aussi lentement. À quelques mètres de l’océan, je plie légèrement mes ailes pour ne pas remonter et atterrir en douceur. Un banc de délicieux poisson s’est formé juste en dessous de moi, je n’ai qu’à plonger légèrement et me servir de mon mets préféré. Ah quelle belle vie. Je dirige tout, je contrôle tout.

Avec mon envergure de trois mètres cinquante, je n’ai même pas besoin de dire qui je suis, tout le monde me reconnaît et me respecte. Même s’il est vrai que j’aime rester à un endroit qui me plait, il n’est pas rare de me voir migrer à la recherche de nourriture et d’un climat plus clément. Parfois je me perds à cause du brouillard ou de vents violents, mais il y a toujours de la nourriture où que je me retrouve. Sinon, je ne reste pas bien longtemps et je repars aussitôt. Cela n’arrive pas souvent, mais j’ai entendu crier un jour un oiseau de mon espèce…il s’était fait tiré par un chasseur fou alors qu’il migrait paisiblement. Ah les humains ! Pour rien au monde, je voudrais leur ressembler.

– Nicolas ! À présent ça suffit, réveille-toi et lis-nous le 1er chapitre de notre nouveau livre : Jonathan Livingston le goéland.

Hein ? Quoi ? Goéland ? Où ça ? Oui Madame, tout de suite Madame.

Un sourire se dessine sur les lèvres du petit Nicolas. Un livre où l’on parle d’oiseaux, ça ne peut être que pour lui. Goéland ou Albatros, qu’importent l’un et l’autre sont symbole de liberté.

Il réfléchit encore deux secondes avant de commencer la lecture. Plus tard, je serai…libre !