J’ai écrit ce texte, de but en blanc, pour un concours d’écriture dont le thème était « peur bleue ». J’ai aimé l’écrire, j’ai aimé l’envoyer dans ce cadre et à présent, il me tient à cœur de le partager avec vous.
De but en blanc
Blanc. Le vide.
Blanc. Le trou.
Blanc. Le rien.
Désert de papier. Silence de la page. Feuille stérile.
Je m’enfonce dans cette texture immaculée. Subjuguée. Plongée dans un abîme sans fin. Mes pensées flottent dans cet océan blanc. Je m’y perds. Je coule à pic. Je remonte. Lentement, doucement. Je refais surface le temps d’une idée fugace. Et puis, tout s’effrite. Tout s’envole. Tout s’efface. Tout s’oublie.
Soudain, je reviens. Je prends mes marques. Je regarde. Lignes bleues horizontales. Marge droite, verticale, rose. Les couleurs sont là. Les repères n’ont pas bougé. Les lignes, les marges, le blanc, ils sont tous là, devant moi, face à moi, à m’attendre. Il n’y a plus qu’à écrire. À écrire, à remplir, à scribouiller. Il n’y a plus qu’à inventer, à raconter, à partager.
Je respire. Je souffle.
Je relis les consignes. Les règles. Le règlement. Les limites. Le cadre, c’est important. Les contraintes sont obligatoires : taille de police, espace d’interligne, nombre maximum de caractères – titre et espace inclus – date butoir. Tout y est.
Blanc. Page blanche. Miroir sans reflet. Infinité muette. Glace sans trace.
Gris. Dans ma tête, c’est brouillon. Confus. Mes petites cellules font grise mine. Des mots, des images, des scènes, tout ça se bouscule dans un brouhaha assourdissant. Fugaces, les scènes, les personnages et les thèmes se disputent le haut du podium. Gris, mes petites cellules grises sont prises dans un embouteillage monstre. Carrefour mental saturé. Flux d’idées engorgé. Dans ma tête, un ouragan de pensées où ça klaxonne, ça s’impatiente, mais ça reste figé. Rien n’avance. Les idées sont dans une file d’attente interminable. Le puzzle est incomplet. La sortie du labyrinthe est compliquée. Réseau coince. Je bug.
Je respire. Je souffle.
Blanc. Page. Peur. Trois mot pour un seul. Un terrible et unique mot. Compliqué. Alambiqué. Amphigourique. Scientifique. LEUCOSELOPHOBIE.
Blanc. Le vide est vertigineux. Blancheur écrasante.
Blanc. Le trou est immense. Blancheur infinie.
Blanc. Le rien est aveuglant. Blancheur absorbante.
Leucosélophobie. Connu et typique chez les artistes. Ça veut dire que j’en suis une ? Je suis une artiste ?
J’ai peur. Peur de ne pas y arriver. Arriver en retard. Retarder l’envoi. Envoyer un texte trop long. Longueur dans mes phrases. Phrasé tordu. Tordre le cou aux idées reçues.
Time New Roman. Taille 12 – Interligne 1,5 – 21.000 caractères maximum – 6 décembre au plus tard.
Blanc. BLANC. BANC. BAC. Je ne suis même pas allée jusqu’au BAC. Suis-je vraiment une artiste ? Même sans le BAC ? BLANC. BAC. LAC. Le lac de Virelles ! Ce lac qui a vu naître ma première passion : l’ornithologie. Mon amour pour les oiseaux a véritablement décollé là-bas. Dans ce lac où l’Eau Blanche s’écoule le long d’un méandre creusé dans un sous-sol calcaire. Eau Blanche. Blanc. Nous y revoilà. Je n’y échappe pas.
Blanc et le vide se remplit.
Blanc et le trou se comble.
Blanc et le rien s’adoucit.
Tout devient gris. Gris souris.
La peur du blanc. Peur de la page blanche. Leucosélophobie. La peur. Un syndrome ou un symptôme ? La peur. Une phobie ou une folie ? La peur. Elle détruit, elle paralyse, elle fait fuir. La peur est explosive, anesthésiante, révoltante et déprimante. Elle est tout ça à la fois. Elle est grande. Disproportionnée. La peur, c’est un mot. Ce n’est qu’un mot. Un sentiment. Une émotion. La peur, c’est un mot d’action. Un mot de réflexion. Un petit mot pour de grands effets. Un mot puissant. Un mot que je n’aime pas.
Blanc. Blanche. Blafard. Pâle. Blanchâtre. Cadavérique. Livide. Exsangue. Aveuglant.
Blanc comme un fantôme. Pâle comme un linge. Montrer pattes blanches. Être blanc comme neige. Écrire cette nouvelle de but en blanc.
C’est tout blanc ou tout noir. Pas de demi-mesure. Vraiment ? Le noir et le blanc sont contraires. Non. Complémentaires. Ce sont des alliés. On imprime en noir et blanc. Les photos en noir et blancs sont plus jolies. Je trouve. Beaucoup de contrastes. Le plein de mesures et de tons différents. Le blanc et le noir. Le yin et le yang. Le bon et le mauvais. Le positif et le négatif. Le bien et le mal. Le cigogne blanche et la cigogne noire. La cigogne blanche n’est pas toute blanche, elle a des plumes noires. Comme la cigogne noire n’est pas toute noire, elle a aussi des plumes blanches. Le cygne et le cygne noir. Le cygne « blanc » est bien blanc, sauf les pattes, sauf le bec. Le cygne blanc est associé, souvent, à la pureté, à la beauté et à la transformation. Pensez au conte du vilain petit canard, c’est un merveilleux cygne qui grandit. Ou au Lac des cygnes, ce sont des filles – et pas n’importe lesquelles s’il vous plait, des princesses – qui sont transformées en ces magnifiques oiseaux blancs. Et puis, chez les oiseaux, je ne peux oublier les colombes blanches, synonymes de paix et d’âme pure, symboles d’espoir et de rédemption. Enfin, la renaissance et la lumière arrivent toujours après une période noire. Donc le blanc est positif. Le blanc est doux. Le blanc est lumineux.
Pour exister, le blanc a besoin de contours, de frontière, de limites. Sinon, on ne le voit pas. Le blanc a besoin d’autres couleurs pour subsister. Le blanc reflète. Le blanc rejette. Le blanc met en évidence. Je suis blanche. J’ai besoin des autres pour exister. J’ai besoin de frontières, de limites, de règles pour … écrire, pour vivre ! Je ne suis que le reflet de ce que j’écris. J’ai tendance à rejeter tout ce que j’écris et tout ce que je n’aime pas. Je mets en évidence et je souligne ce que j’aime chez les autres, je mets en valeurs les amitiés, l’amour, le bonheur.
Leucosélophobie. La peur de la page blanche. Près de mille mots pour vous parler de cette peur. Leucoséphobe. Moi ? Jamais. Néanmoins, j’ai toujours eu peur d’en souffrir ! Et pour ne pas devoir en souffrir, j’écris. Depuis toujours, depuis que j’ai appris à écrire, j’écris. Un peu, beaucoup, passionnément, parfois à la folie et oui, de temps à autres, pour fuir cette phobie qui n’en est pas une, je n’écris pas du tout. De la fiction à l’autobiographie, de jeux d’écriture à la poésie, de l’écriture thérapeutique à l’écriture machiavélique, j’ai tout exploré. Du geste d’écrire à la main, vous savez avec un stylo-plume comme autrefois, ou sur le clavier d’un ordinateur, en passant par le clavier tactile d’un smartphone ou d’une tablette, j’écris. Je forme des mots, par monts et par vaux, j’invente des histoires du matin au soir, je donne vie aux objets et parole aux animaux de temps en temps, je raconte une image, je crée un univers à partir d’une photo, d’un dessin ou d’une vision rêvée ou vécue. Et, quand la panne d’inspiration pointe le bout de son vilain museau, j’utilise différentes techniques : listes de mots, lettres mélangées, nuage de mots, carte mentale, tout y passe.
La peur de la page blanche n’existe pas. C’est une chimère. Un leurre. Un mythe. On sait toujours remplir une page, papier ou numérique. Le contenu peut varier. Le contenu peut ne pas plaire. Ne pas vous plaire. Mais si vous vous mettez devant une page pour écrire, elle ne restera jamais blanche si vous avez envie de la remplir.
En ce qui me concerne, je souffrirais plutôt de la nyctosélophobie. Pas sûre que le terme précis existe. Trop d’idées. Trop de projets d’écriture. A un point tel que je retrouve une couleur identique liée à la leucosélophobie : Gris. Dans ma tête, c’est brouillon. Confus. Des mots, des images, des scènes, tout ça se bouscule dans un brouhaha assourdissant. Fugaces, les scènes, les personnages et les thèmes se disputent le haut du podium. Gris, mes petites cellules grises sont prise dans un embouteillage monstre. Carrefour mental saturé. Flux d’idées engorgé. Dans ma tête, un ouragan de pensées où ça klaxonne, ça s’impatiente, mais ça reste figé. Rien n’avance. Les idées sont dans une file d’attente interminable. Le puzzle est incomplet. La sortie du labyrinthe est compliquée. Réseau saturé. Je bug.
Le gris s’assombrit. Il devient noir. Écrire comme je respire. Si je n’écris pas, j’étouffe. Écrire me libère. Écrire me soigne. Écrire me fait plaisir. Écrire pour moi, pour soi, pour les autres. Écrire à la main pour un plaisir plus serein. À la main pour le premier jet. À la main pour les listes. À la main pour démarrer sur des chapeaux de roues. L’ordinateur peaufine. L’ordinateur est plus lisible. L’ordinateur partage et travaille en équipe.
Time New Roman. Taille 12 – Interligne 1,5 – 21.000 caractères maximum – 6 décembre au plus tard – à envoyer au format Word uniquement.
Ma main n’enregistre pas ce format.
N’ayez pas peur de la page blanche. Ni de la page noire. Ensemble, on va plus loin. Ensemble, on emprunte plusieurs chemins.
Mot de la fin : bien sûr que j’ai des peurs. J’en ai tellement, qu’en réalité, je ne savais pas laquelle choisir. Ni comment la mettre en scène, comment en parler. Avec un personnage fictif et un narrateur extérieur ou en « Je » ? Écrire un conte, un récit fantastique ou une tranche de vie ? Le choix ne manquait pas, que du contraire.








