Regouper nos textes du concours achève-moi !

Suite au concours Achève-moi 2012-2013, nous sommes plusieurs à nous dire qu’il serait intéressant de regrouper les textes non-élus afin de les regrouper dans un recueil. Si vous avez participé à ce concours, et que vous n’avez pas eu de réponses, c’est que vous n’êtes malheureusement pas sélectionnés parmi les gagnants… mais vous êtes les bienvenus dans ce recueil :-)  Selon le nombre de participants, on pourrait éditer ce recueil en papiers ou au format électronique.

Sur un blog, j’ai pu lire une autre nouvelle écrite dans le cadre de ce concours. J’en ai reçu une autre en lecture et je peux vous dire que les histoires sont très intéressantes et bien écrites ! Connaître l’univers d’autres participants, leur imaginaire, me plaît beaucoup. Comment, sur une contrainte similaire (même s’il y a eu plusieurs débuts de texte proposés), nous avons pu écrire des histoires différentes, ou au contraire, avec certaines similitudes ?

Envoyez-moi un mail pour me dire si vous êtes tenté par ce recueil collectif… :-)  ou répondez-moi en commentaire sous cet article…

Petit info intéressante : l’auteur Jean-Claude Bologne, qui a écrit la nouvelle avec le président Rouvière qui se prenait pour un cheval, est également partant pour nous faire découvrir la suite de ses aventures ! Quelle excellente idée !

Le grain de folie de Marguerite, suite et fin

Nouvelle écrite dans le cadre du concours « Achève-moi! » organisé par le service Culture de la Province de Liège. Nous devions choisir un des débuts de texte proposé et continuer la suite…

Lire le début du texte

* * *

 Je me sens seule. Je suis seule.

Depuis que la mode de l’Amour est de cueillir des marguerites et d’arracher, un à un, nos pétales, nous devenons de plus en plus rares.

Hier midi encore, une jeune bipède écervelée a cueilli pas moins de dix-sept marguerites rien que dans le jardin qui m’a vue naître. Dix-sept ! Tout cela pour tomber sur la seule qui avait vingt-quatre pétales blancs, l’unique qui pouvait, enfin, lui dire que son amoureux l’aimait « à la folie » ! Rendez-vous compte, il n’en reste plus que trois : ma voisine d’en face, celle à ma gauche et moi-même. Et vous auriez dû voir avec quelle frénésie elle arrachait nos bras, oui chez nous, entre fleurs, on appelle cela les bras, c’est plus poétique, non ? Et puis, au moins, aucun risque que quelqu’un se trompe sur le sexe de ce mot ! Combien de fois ai-je entendu « une pétale » ? Je n’oserais même pas compter. Je suis sûre qu’avec mes trente bras, je n’ai pas assez pour comptabiliser le nombre d’erreurs sur le genre de ce mot.

Étrangement, depuis hier, je me sens bizarre. Depuis que la foldingue a crié « à la folie, il m’aime à la folie ! », je ne sais pas pourquoi, mais j’ai des envies de vengeances.

Est-ce réellement arrivé ou ai-je imaginé tout cela, mais j’ai cru voir le mot « folie » se matérialiser dans un grain porté par le vent. Un grain de folie. Et bien sûr, comme dans toute belle histoire, vous imaginez la suite… j’ai attrapé ce petit grain de folie. Eh ! Bien oui. C’est ainsi. Sinon, je ne peux expliquer autrement mon envie soudaine d’arracher tous les bras des humains qui croisent mon chemin.

 Cette envie s’est transformée en réalité. La jeune écervelée d’hier est revenue. C’est la petite-fille du maître des lieux. Quinze, seize printemps, tout au plus ? Vu comment elle est formée et habillée, je pense même qu’elle se vieillit, tout cela pour paraître plus âgée. Pas de chance pour elle, c’est la première qui a croisé mon chemin. Elle était couchée, ventre dans l’herbe, le visage aux creux de ses mains, et elle me contemplait ! Oui, elle me regardait avec un regard de tueuse.

Je n’ai plus hésité. De mon regard jaune et rond, je l’ai hypnotisée. Puis, je l’ai dépétalisée délicatement. J’ai profité de son état léthargique pour tirer sur un bras d’abord. C’était tout mou. Je pensais que ce serait plus dur, plus résistant. Cela allait même plutôt rapidement jusqu’à ce que j’arrive à l’os. Là, il m’a fallu tirer d’un coup sec et, POP, le bras s’est détaché ! Le sang qui sortait de part et d’autre avait la couleur des tulipes rouges du jardin. J’ai fait la même chose avec l’autre bras.

Elle semblait toujours dormir, alors je n’éprouvais bien sûr aucun remords.

Comme les bipèdes n’ont que deux bras, cela me donna « elle m’aime… beaucoup ! », je ne voulais pas de ça. Certainement pas ! Alors j’ai continué avec les deux jambes, puis la tête. Ah, enfin ! « elle m’aime… pas du tout ».

 Étant donné que personne n’oserait, une seule seconde, penser qu’une pauvre petite fleur serait la coupable de cet horrible acte sanglant, on me laissa tranquille.

Pour ne pas faire peser les soupçons sur moi, je ne fis pas trop de vagues les jours suivants. Ni les mois, sait-on jamais.

Jusqu’à l’année suivante. À la même période, la sœur cadette s’installa à une envergure de marguerite de moi.

Même scénario, même calme après la tempête.

Puis l’année d’après encore. La petite dernière n’avait visiblement rien compris, pas plus que ses parents ni même ses grands-parents, malheureux propriétaires d’un jardin hanté, qui porte la poisse, qui attire la mort, le sang, la violence.

 La solitude ne me pesait plus. J’avais un but à présent, et les autres fleurs étaient devenues mes meilleures amies. Je leur ôtais une belle épine du pied. Pensez donc, combien de sales gamins arrachent des fleurs du jardin pour l’offrir à leur mère, à leur grand-mère, à leur tante ? Brrr… Beaucoup trop !

Et mes sœurs, les marguerites du jardin, se portaient on ne peut mieux.

 Un autre jour, d’une autre année, on me captura. Pire, on m’arracha comme une mauvaise herbe. On m’enferma dans une pièce sans air, sans soleil, sans terre, sans eau. Les humains appellent ça un asile psychiatrique. Ce sont eux les fous, pas moi ! Ils ne savent même pas faire la différence entre une fleur et une humaine ! Et au final, je ne sais pas ce qui les dérange le plus : qu’ils me prennent pour la nounou des gamins que j’ai effeuillés ou que j’ai aidé le jardin à ne plus avoir ces indésirables mômes, ces parasites, qui arrachent toutes les belles fleurs ?

Je ne sais pas quelle raison ils ont choisi. Je ne sais pas pour quel acte je suis emprisonnée ici : trouble de la personnalité ou meurtres barbares sous emprise d’un hallucinogène encore inconnu ? Peut-être les deux ! Qui sait ? Comme je le dis plus haut, je sais, je me répète, ce sont eux les fous, pas moi…

 Pourquoi ? Mais pourquoi a-t-il fallu que j’écrive tout cela dans ma feuille intime ? Croyez-vous que si j’avais intitulé mon journal autrement que « achève-moi », ils auraient découvert le pot aux roses ?

 * * *

 Je trouve toujours ça extraordinaire de lire, d’entendre, ce que mes participants ont écrit, tout cela avec quatre mots, quatre mots identiques pour chacun d’eux.

 L’atelier était fini pour aujourd’hui. Les sonneries des portables s’égosillaient toujours et, encore une fois, personne ne songea à les couper ou à entamer une conversation. Un étrange malaise régnait dans la pièce. Et si tout cela était vrai ? Je veux dire si parmi mes participants, il y avait un vrai fou qui s’était amusé à écrire un véritable souvenir à partir de mes quatre malheureux mots !

Le grain de folie de Marguerite, concours achève-moi ! 2012

Pour le concours de nouvelles « achève-moi ! », organisé par le service Culture de la Province de Liège en 2012, j’ai choisi ce début de texte proposé par Daniel Charneux (n°3). C’est avec son autorisation que je mets le début de sa nouvelle ici, et courant de cette semaine, vous aurez la suite et la fin que j’ai imaginé.

Pour découvrir cet auteur belge, c’est ici sur son site.

Le grain de folie de Marguerite

Je me souviens d’une fin d’été…
Autour de cette table ovale, nous étions quelques-uns à méditer en silence. Et cette table avait été un oeuf pour des pensées en gestation, des échappées, des écritures. Cette table, l’artisan qui l’avait vernie, qu’était-il devenu ? Ces méditants, ces écrivants, que deviendraient-ils ? Les portables vibraient en vain – personne ne se levait pour décrocher. Personne n’aurait songé à décrocher de ce fil d’écriture qui le reliait à soi-même. Ils se laissaient aller – comme quand on va mourir. Ils ne résistaient pas à l’appel du grand large. Ils voguaient sur les mots offerts par la contrainte : amour, folie, marguerite, solitude… Ils voguaient, le jeune homme triste, la vieille dame ou l’artiste, réunis par la vie autour de cette table. Puis, chacun lut.

* * *

J’avais cueilli une marguerite et commencé à l’effeuiller : Elle m’aime… Et j’y avais cru. Nous avions été deux, puis trois. Aujourd’hui, je suis à nouveau seul.

Au mur de sa chambre, elle a laissé ses Titi. Elle adorait ce canari de cartoon, ce canari d’un jaune à faire mal aux yeux. Elle a laissé ses Titi quand elle est partie et je reste là, comme un Grosminet triste, avec mes moustaches de bon chat paisible ; je passe les journées allongé sur mon lit, les doigts croisés. Allongé sur mon lit, les doigts croisés, j’ai un peu l’allure d’un mort, non ? Comme quelqu’un qui rendrait son dernier souffle, qui partirait pour son dernier voyage. Pour le repos éternel, comme on dit.

Je me souviens de son premier souffle d’enfant : elle était née la nuit ; une âme neuve brillait parmi les étoiles. Elle était née l’hiver, la neige tombait cette nuit-là. Et je twistais sur ma chaise, dans la salle d’attente de la maternité. À cette époque, les pères n’assistaient pas à l’accouchement. Quand une infirmière est venue me la présenter, mon visage s’est éclairé. C’est comme ça qu’elle a dit, l’infirmière : votre visage s’est éclairé. Je portais la barbe, alors, pas seulement la moustache. Et les cheveux longs, comme à l’époque. Le Christ. Souvent, ils me comparaient au Christ. Un Christ un peu triste – c’est vrai, je n’étais pas riant. Mais là, face à ce souffle neuf, mon visage s’est ouvert, et j’ai souri. Comme un ange sur une cathédrale.

Et puis, pour faire court, j’ai été maladroit. Avec sa mère. Pourquoi s’emporter pour une porte qui claque, pour un verre brisé au cours d’une vaisselle, pour un tintinnabulis ? À chaque fois elle s’énervait, pour faire court, à chaque fois, je voulais crier plus fort. Un connard fini, mais là, LE connard fini, elle disait. Parfois, nous sortions, tout de même, nous avons eu de bons moments. Un Perrier citron au café Randaxhe à Liège, chacun dans sa bulle. Toujours chacun dans sa bulle, et la poussette entre nous. Il est réveillé, disait la dame avec sa canne, parlant du bébé. Et la bulle se brisait. Nous repartions, poussant notre poussette. Cahin-caha.

Les années ont passé, la petite a grandi. À chaque anniversaire, je lui achetais un Titi. Pour sa collection. Et puis, elle est partie. Sa mère. Sa fille par la main. Elle a claqué la porte. J’ai senti un courant d’air frais. Tintin, les Titi. Alors, maintenant, parfois, je viens m’allonger sur son lit. Parmi les Titi jaunes et les angelots kitsch. Et je croise les doigts. Ça porte bonheur, paraît. Oui, je croise les doigts, mon souffle dans la nuit. Quelque part entre les étoiles, il m’arrive de sourire. Pour ne pas devenir fou.

* * *

Tu te souviens, la marguerite nous avait dit : Un peu… Et c’était déjà ça.

Tu as trouvé le chemin de l’impasse. Tu as retrouvé ma trace. Impasse de l’Avenir… Comme si plus rien n’était possible. Dans les arbres négligés, les oiseaux chantent déjà, pourtant. Au jardin clos, le lilas se prépare. Et j’ai l’impression d’être déjà fanée. Trois cadres sur un mur, un canapé, puis le portable au coin, sur le petit bureau…
je tchatte… j’e-maile… je blogue… ça ne fait pas une vie. Pas une conversation. Je regarde par la fenêtre, quand j’en ai marre de fixer l’écran. Une feuille tremblote dans l’air immobile, et je sens quelque chose qui tremble dans mes yeux. Comme un voile. Sur le trottoir, entre les pavés, poussent des herbes folles. Qui a eu l’idée de les appeler mauvaises ?

Notre vie avait pris une mauvaise direction. Mais quand tu es parti sans un mot, sans une explication, j’ai cru que je devenais folle. Je restais là, vautrée sur le canapé, à me gaver de chocolats, les yeux dans le vague, le dos blanc sur le mur blanc, comme le contraire d’une ombre. Ou visage à la vitre, à contempler le vide. Je sortais quelquefois, dans le parc bondé. Je voyais passer un chien blanc, une famille à vélo (le petit garçon derrière devait tourner ses pédales très vite pour essayer de suivre sa grande soeur et sa mère), deux hommes qui portaient une grosse poutre… Quand j’avais bien respiré, je rentrais dans ma chambre. J’ai un toit. Ce matin, je l’ai vu, lui, parmi ses déchets, dans sa caisse en carton, les yeux perdus dans le flou ; à côté de lui, son chien. Moi, je n’ai pas de chien. Un jour, j’ai vu sur un banc une femme, le corps tatoué de monstres, qui allaitait un bébé. Et j’ai eu peur que le bébé devienne un monstre. Que tous les hommes soient des monstres. Mais tu es là et nous allons parler. Tu es là et je vais retrouver, qui sait, le chemin de l’avenir. Tu es là.