Chat-ours (5)

Partie 4

Chapitre 5

La douleur de Liam est passée tout de suite après le repas du midi. Contrairement à sa sœur, il n’a pas d’intolérance alimentaire et il peut manger au repas chaud. Aujourd’hui, le menu fort attendu de la plupart des enfants et le plat préféré du petit garçon est en tête d’affiche. Il s’est donc vite consolé en mangeant deux assiettes de spaghettis au jambon et au fromage.

A la récréation, Liam n’a pas envie de jouer avec ses camarades. Avec ce temps sec et ensoleillé, tous les enfants sont dehors, occupés à jouer au football ou à d’autres occupation de groupe. Les quelques solitaires s’occupent autrement. Certains dessinent ou colorient, d’autres lisent un livre et d’autres encore, écrivent. Liam, lui, a ouvert son livre emprunté à la bibliothèque. Il veut retourner là bas, dans ce paysage montagnard, avec les pavés colorés et l’oiseau chanteur. Il ignore tout de la procédure à suivre pour retourner dans ce monde imaginaire. D’habitude, il lui suffit de penser à ce qu’il veut pour se projeter en-dehors de l’univers de l’école. Ici, il n’y arrive pas. Il tente de mettre son doigt sur la dernière image qu’il regardait, mais en vain, son esprit est toujours là, entrecoupé de cris d’enfants et de ballon en mousse lancé par inadvertance dans sa direction.

Un peu dépité, il poursuit quand même sa lecture. Sa concentration n’est pas fixe, il désire tellement retourner là-bas, il se focalise sur cet ailleurs improbable qu’il n’arrive pas à lire une phrase sans revenir sur un mot qu’il n’a pas bien lu ou qu’il n’a pas bien compris.

Fatigué, il ferme le livre et cherche du regard sa sœur. Ils ne s’entendent pas trop bien, mais quand il s’agit de se raconter un secret, ils sont là, ensemble, et s’écoutent attentivement.

Il a beau chercher partout, il ne la trouve pas. Il se demande vraiment où elle est, et commence même à s’inquiéter. Car s’ils se disputent souvent, dès que l’un ou l’autre est malade ou blessé et ne vient pas à l’école, l’autre est un peu perdu et sent ses repères s’étioler. Il va donc demander aux copines d’Elina si elles savent où elle est. C’est ainsi qu’il apprend qu’elle a été malade au réfectoire…

Après que son institutrice l’ai rassuré sur la santé de sa grande sœur, Liam n’a pas pu se concentrer pour son exposé. Et quand 17 heures arrive, son papa vient le chercher en voiture. Elina a pu regagner sa classe peu de temps avant la fin des cours, et il y avait quelque chose dans le regard de sa sœur qui fait qu’il ne l’a pas lâché d’une semelle depuis leur retour à la maison.

Après le souper, Elina envoie littéralement balader son petit frère. Trop collant à son goût, la fillette n’apprécie pas son intérêt soudain. Liam, un peu habitué au caractère de cochon de sa sœur, ne se laisse pas démonter et profite de l’occasion d’être seul dans sa chambre pour se replonger dans son livre. Là, au calme, dans l’environnement rassurant de sa chambre, le petit garçon n’a aucun mal à lire. Dès le dernier mot de la première phrase lue sans interruption ni erreur, Liam se retrouve à nouveau au pied de l’arbre qui l’avait fait trébucher plus tôt dans la journée ! Cette fois pourtant l’oiseau n’est pas là. Il fait même étrangement calme. Plus loin, dans la forêt, un rugissement déchire le silence. Les bras de l’enfant son parcourus d’un frisson.

Liam avance un peu plus, pour s’éloigner du rugissement qui raisonne encore dans sa tête. Il ne se retourne pas et accélère le pas. Sa marche l’amène au pied d’une rivière pas très large ni très profonde. Un gros caillou lancé au milieu de l’eau lui permet d’apprécier approximativement sa profondeur. S’il choisit de traverser la rivière, il aura de l’eau jusqu’en dessous des genoux. Il hésite encore quand il aperçoit, au-delà du chemin, un gros nounous tout blanc. La silhouette, vue à moitié dissimulée dans un buisson tout vert, se voit comme le nez au milieu d’un visage. Liam se demande si l’animal essaye de se cacher – auquel cas, c’est plutôt raté – ou s’il cherche plutôt à manger. Le désir de connaître la réponse ne lui donne plus le choix : il doit traverser la rivière. Persuadé que ce n’est pas cette grosse boule de poils qui a grogné, le petit garçon qui n’a pas froid aux yeux progresse assurément dans la direction de l’étrange créature immaculée.

Son passage dans l’eau n’est pas passé inaperçu.L’animal, pensant être encore poursuivit se ratatina au fond du buisson. Il n’y avait que le bout arrondi de ses deux oreilles qui trahissait sa présence. Il ne bougea plus d’un poil, retenant même sa respiration. Si le prédateur s’avançait encore, il ferait le mort pour tromper l’ennemi, c’était assurément ce que ses parents auraient fait.

Ses parents… où sont-ils maintenant ?

Liam marchait sur des œufs, il était aussi silencieux qu’une petite souris. Le froid mordant de l’eau le fit frisonner ! Qu’est ce qui lui a prit de traverser cette rivière, lui qui n’aime pas l’eau ? Il en est encore à se râler dessus quand il arrive par derrière le buisson. A quatre pattes, il continue sa progression comme s’il était un petit animal. La vue qu’il a de cette hauteur est surprenante, tout lui paraît démesurément grand. A pas feutré, il parvient à rejoindre la boule toute blanche. Comparativement, ils doivent peser presque le même poids. Le petit garçon s’assied et courbe le dos, tout comme l’animal. Il fait les mêmes gestes que lui, tout en douceur, pour ne pas lui faire peur. Cette technique d’approche semble fonctionner car la bête semble ne lui prêter aucune attention. Puis, tout à coup, tous deux entendent à nouveau le grognement. Liam arrête net son mimétisme et essaie de voir ce que son compagnon poilu observe avec tant de frayeur. Une panthère des neiges ! En une fois, Liam a son ventre qui se contracte et sans même s’en rendre compte, il se fait pipi dessus. Le félin est énorme, mais magnifique ! Il n’en a jamais vu et cette observation le laisse entre deux sentiments : terreur et admiration. Aussi souple et délicat qu’un chat, la panthère avance comme au ralenti, une patte après l’autre, dans le plus grand silence, plus silencieux encore que les battements de coeur affolés de Liam ! C’était donc lui le grognement et c’est pour ça que l’animal tout blanc se cache. L’enfant et la boule blanche se sont rapprochées pour se donner du courage mutuellement. Lui n’a peut être que 8 ans, mais il a l’impression d’en avoir bien plus quand il sent le corps tout tremblant de la bête contre lui. Elle lui demande de l’aide ! Sans savoir exactement à quelle espèce cette boule de poils appartient, il pense à un ours car il est tout rebondit comme eux, Liam l’entoure de ses bras du mieux qu’il peut. Le coeur de l’ourson bat vite et fort. Il sait quel sort lui est réservé : il va être mangé ! Si seulement il avait écouté ses parents qui lui disaient de ne pas trop s’éloigner… mais il est déjà trop tard pour les regrets. L’énorme félin s’aplatit, essaye de maîtriser le balancement excité de sa queue et abaisse son arrière-train, prêt à fondre sur sa proie, sur ses proies ! Pile à cet instant, venu fendre le ciel, un autre animal se laisse tomber de son perchoir et atterrit tout juste à califourchon sur la panthère. Sans demander qui c’est ou ce qu’il se passe, Liam profite de cet instant de distraction pour prendre la patte du petit ours et l’emmener plus loin, dans un abri plus sûr. Il ignore qui est son sauveur et n’a même pas vu qu’il ne s’agissait pas d’un animal mais d’un autre enfant, comme lui, enfin presque, car c’est une fille, elle est un peu plus grande que lui, et il la connaît bien !

Chat-ours (3)

Chapitre 1
Chapitre 2

Chapitre 3 : que s’est-il passé ?

Le petit garçon parcourt rapidement la page de ses yeux avides d’images de panda. S’il sait lire aisément, il va trop vite, et malheureusement, les mots se bousculent à la porte de son cerveau. C’est pourquoi, souvent, pas tout le temps, mais presque, il se trompe de mot en lisant. Cela ne semble pas le déranger quand il lit pour lui, avec le reste de la phrase et du texte, il comprend aisément ce qu’il se passe. Par contre, quand il doit lire à voix haute, en classe ou à sa maman, la phrase prend un tout autre sens rendant par ce fait la phrase incompréhensible.

Liam voudrait tellement sortir du cadre rigide de la vie normale, il aimerait tant pouvoir s’évader dans son monde imaginaire… tout à l’air tellement plus simple là-bas… moins de règles à enregistrer, moins d’obligations à respecter, moins d’attention à donner.

Et c’est au moment de lire, sans se tromper dans les mots, la légende de l’image qu’il observe attentivement depuis quelques secondes, qu’il entend le chant complexe d’un oiseau. D’habitude, il n’est pas distrait par les bruits extérieurs, sauf si ceux-ci lui paraissent inhabituels dans le lieu où il se trouve. Justement, ce chant-là, puissant, mélodieux et long, il ne l’a jamais entendu. Non, jamais, sinon il s’en souviendrait, il en est sûr ! Désireux de découvrir celui qui chante si bien, il met un doigt sur le dernier mot qui explique que le panda a six doigts, détails qui accaparait tout son esprit jusqu’ici, et lève les yeux.

Pas du tout étonné de se retrouver dehors, à l’air libre, et non plus dans la bibliothèque de son école, il cherche du regard le volatile qui continue à donner de la voix. C’est seulement quand il voit l’oiseau en question, qu’il s’interroge. Il voudrait bien montrer sa trouvaille à toute la classe, mais autour de lui, il n’y a plus un seul de ses camarades ! Pire, il ne voit même pas l’ombre d’une école d’aussi loin que son regard porte !

Liam, hyper curieux, ne se focalise pas sur la bizarrerie du moment. Même s’il n’est jamais allé là où il se trouve maintenant, le paysage a quelque chose de familier. Il regarde ses pieds et décide de se lever pour explorer son nouvel univers. Le sol est constitué de pavés colorés. Ceux sur lequel il marche actuellement sont roses, mais il distingue au loin, une teinte verte à gauche et encore un peu plus loin, à droite, c’est plutôt jaunâtre. Décidément, ces couleurs lui rappelle quelque chose… mais il n’arrive pas à mettre le doigt dessus.

L’oiseau, de la taille d’un pigeon, s’est envolé juste sous le nez de Liam. Si l’enfant avait déjà pu admirer sa livrée fauve parsemée de taches blanches et noires, à présent, en vol, il distingue clairement une tête encapuchonnée de noire qui contraste fort bien avec les yeux jaunes de l’oiseau. Le garçon suit l’animal et avance presque en courant, ne quittant pas du regard le mystère volant.

Grâce à sa maman qui adore les oiseaux, il aime se vanter auprès de ceux qui ne s’y connaisse pas, qu’il reconnaît visuellement pas moins de dix espèces d’oiseaux différentes. Chez certaines d’entre elles, il est même capable de différencier le mâle de la femelle ! Un jour, il a voulu répéter le mot « savant » qu’utilise les ornithologues pour dire si c’est un garçon ou une fille oiseau. Et les mots d’enfants, sont les plus beaux, les plus spontanés. Sans l’ombre d’une hésitation, il avait répondu :

– Ouais, et bien, moi, je sais même identifier les déformés sexuels !

Au lieu, bien sûr, du mot compliqué « dimorphisme sexuel ». Heureusement, son interlocuteur n’y connaissant goutte à la question, n’a pas relevé la faute et avait simplement terminé la conversation d’un soupir las, car il n’en avait rien à faire des oiseaux.

L’oiseau chanteur s’est posé sur une branche d’un arbre bien touffu. Face au soleil, il profite de la chaleur des rayons en fermant les yeux, sans se préoccuper du petit bonhomme qui ne cesse de le regarder. Là, Liam aimerait pouvoir demander à sa mère le nom de cet oiseau, mais ses pensées sont chassées par un saignement de nez spontané. Ne sachant pas qu’il saignait, il pince simplement ses narines, et ce n’est que lorsqu’il voit la couleur de ses doigts teintés de rouge, qu’il s’inquiète vivement. Pour lui la vue du sang signifie douleur. Il ne sait pas quoi penser car il ne ressent aucun mal, sauf peut-être un léger mal de tête, mais tout ce sang qui coule de son nez lui fait peur. Il se met à paniquer, à pleurer franchement. Dans sa hâte, il trébuche sur une racine de l’arbre qui dépassait de la terre et fait fuir l’oiseau qui en perd une plume.

Sa chute a fait du bruit, ses larmes ont alerté son institutrice. Liam rouvre les yeux. Par la fenêtre ouverte, à cause du vent, le fruit d’un marronnier lui est tombée sur le visage et égratigné le dessus de sa lèvre supérieure. Maintenant, il ressent la douleur et il est inconsolable.

Pourtant, s’il se calmait, ou s’il se levait pour aller à l’infirmerie soigner sa blessure, il constaterait qu’entre ses jambes croisées, une plume aux étranges couleurs brunes s’est posée sans s’abîmer.