Un bruit dans la nuit

3h48. Boum badaboum !

Réveillée,
Déboussolée,
Mais pas paniquée.
Le vacarme venait de l’escalier.
Pas de mots chuchotés,
Ni de voix étouffées,
Pas plus que d’objets fouillés ou balancés,
Quelque chose a dû tomber.

3h48. Boum badaboum !
Je me suis levée,
Les yeux encore fatigués,
A moitié fermés
Et je suis allée vérifier
L’origine du bruit à identifier.
Pas bien loin à aller,
Héra, le chat, m’a montré
De son regard, un endroit bien fixé,
Un cadre photo gisait à mes pieds
Couché sur le palier, encore tout entier.

3h48. Boum badaboum.
Quelle mauvaise heure pour me réveiller.
J’aurais bien du mal à me recoucher.
Mon cerveau bouillonnant s’est activé
Les pensées et les questions se sont bousculées,
Les scénarios, les doutes, les idées
Ne m’ont plus quittées :
Projet à, encore, changer, à modifier, à peaufiner ?
Projet à abandonner ?
Nouveau métier à étudier ?
Projection de vie à jeter, à oublier ?

4h25. Héra commence à s’agiter.
4h25, les autres chats, dehors, doivent s’impatienter.
4h25, j’arrête de ruminer.
Enfin, je vais m’activer,
Le temps de donner à manger
A mes quatre chats soi-disant affamés.
Le temps pour mes cogitations de s’envoler
Le temps pour le sommeil, à nouveau me gagner.

Minos se rendort à mes côtés,
Il veille sur mes élucubrations troublées.
De ses ronrons feutrés
Il a su m’apaiser
Et mes cellules grises survoltées
Ont enfin arrêté
De me tenir, malgré moi, éveillée
Le temps d’une heure écoulée.

Minos parle, écoutez-le !

« MAMAN, J’AI EU UN ACCROCHAGE… MAIS J’AI DÛ SAUVER L’HONNEUR ! »
(Confessions d’un matou un peu couillon, mais pas trouillard.)


Salut les humains,
Moi c’est Minos. Six ans de sagesse féline, de siestes au soleil, et d’amour inconditionnel pour ma maman humaine — celle qui m’appelle tendrement « gros bébé » quand je me roule en boule contre elle, et qui prétend que je suis « moitié chien » (calomnie ! Bon… je rapporte les bâtons, je viens quand on m’appelle, et je joue à la balle, mais quand même…).

Je vis dans une chouette tribu : trois autres chats partagent la maison. Mais faut être honnête, c’est moi le pilier. Le coeur tendre, certes, mais le seul qui ose sortir quand un type louche s’approche de NOTRE jardin. Un vrai gardien moustachu.

Hier, justement, un de ces importuns a osé franchir la limite sacrée : le voisin, un mâle entier, genre testostérone sur pattes, poil lustré, et odeur musquée — beurk. Il se balade comme si tout lui appartenait. Moi, pacifique mais digne, j’ai essayé de rester courtois. Mais bon, entre chats, parfois, les pattes parlent.

On a échangé deux-trois mots (« Dégage ! » / « Même pas en rêve, tarlouze castré ! »), et BIM, il m’a mis une claque… en traître. Juste sur le museau. Ma belle truffe ! Aïe. J’ai reculé dignement, parce que je sais que maman n’aime pas les bagarres. Et surtout… je ne me bats jamais devant elle. Elle croit que je suis une crème, et j’aime bien qu’elle pense ça.

Mais voilà : ce zigoto, lui, n’est pas castré. Et ça se voit. Arrogant, bagarreur, toujours à marquer son territoire à tous les coins de haie. Il fait tourner la tête aux minettes du quartier, se bat tous les deux jours, et risque à chaque instant blessures, maladies… et de contribuer à la misère féline.

Moi ? J’ai été castré tout petit. Et tu sais quoi ? Je ne m’en porte que mieux. Je vis plus longtemps, plus tranquille, sans stress, sans bagarres inutiles (enfin… sauf quand vraiment faut remettre les pendules à l’heure). Et surtout, je ne participe pas à la surpopulation des chats errants.

Alors regardez bien cette photo de moi, museau un peu égratigné, regard toujours digne : c’est le visage d’un guerrier pacifique. D’un chat de canapé qui a tenté de préserver la paix. Et qui, malgré une petite baffe, reste convaincu que le monde irait mieux avec un peu moins de testostérone et un peu plus de stérilisation.

Minos gardien moustachu

Pensez-y : castrer ou stériliser votre chat, c’est un acte d’amour. Pour lui, pour les autres, et pour tous ceux qui n’ont pas encore trouvé leur maman humaine.

Signé :
Minos, dit « le Gros Bébé », gardien du foyer et pacifiste à moustaches.

Mon « gros bébé »

Secret d’écriture : Vicky

Mes livres – qu’ils soient romans, nouvelles, contes ou historiettes – naissent toujours d’un noyau de vérité. Un souvenir, un fragment de vie, une émotion bien réelle. Autour, je brode. Un peu, beaucoup, passionnément.
Le Puits aux Secrets ne fait pas exception.

Couverture Le puits aux secrets

Le début du roman, une bonne partie du premier chapitre, est inspiré de faits réels. Tous les petits accidents et bobos… ils ont bel et bien eu lieu.
C’était en 2016. Cela faisait un an que nous avions emménagé dans la région où nous vivons aujourd’hui. Notre chatte – l’une de nos chattes – s’appelle Vicky. C’est son vrai nom, dans la vie comme dans le livre.

Vicky a été malade de stress, littéralement. Le déménagement l’a bouleversée. Les cent kilomètres qui nous séparaient de son ancien territoire ont été, pour elle, les plus longs de toute sa vie.
Elle ne se souvenait sans doute plus du trajet de son tout premier déménagement – celui qui l’avait conduite, à l’âge de douze semaines, de sa maison natale à notre appartement. Mais cette fois-là, elle était adulte. Et elle avait peur.

C’était pourtant le chat le plus cool du monde.
Ultra douce, sereine, aimante, Vicky était une chatte zen et attachante. Elle est née chez ma maman, en 2004. Sa mère était une majestueuse croisée Maine Coon x Européen (abandonnée).
Vicky, elle, est née la dernière de la portée. Minuscule, le poil hirsute, elle ne prenait pas de poids. On n’était même pas sûr qu’elle allait survivre.
C’est de là que vient son nom : Vicky, pour Victoire.
Et c’est mon compagnon qui l’a choisie, quelques semaines après que j’avais adopté, à la SPA de Bruxelles, une autre chatte nommée Chouna. Quelques temps avant cela, mon tout premier chat, Mila, était morte dans un accident tragique (coincée dans une fenêtre à bascule, ce piège terrible que je ne connaissais pas).
Mais ça, c’est une autre histoire… Mila et Chouna, ce seront d’autres secrets à raconter.

Revenons à Vicky. Et au livre.

Dans Le Puits aux Secrets, Vicky s’empoisonne à cause d’une montée d’urée liée à un stress intense. Et c’est, hélas, exactement ce qui lui est arrivé.
Je ne pensais pas que le stress pouvait rendre malade, vraiment, physiquement. Mais la réalité m’a donné tort.
Vicky avait une santé fragile depuis la naissance. On lui avait diagnostiqué un asthme – heureusement léger, traité une seule fois par injection de cortisone. Mais à 11 ans, après le déménagement, son organisme n’a pas tenu le choc. On dit que les chats entrent dans leur troisième âge à partir de 7 ans. Il existe même des croquettes spéciales pour eux.
Pour elle, le stress a été un détonateur.

Son insuffisance rénale chronique s’est installée. Et les soins ont suivi. Les visites régulières chez le vétérinaire, les injections, d’abord tous les trois mois, puis deux, puis un… puis tous les quinze jours.
À un moment, j’ai dû me rendre à l’évidence : ma douce Vicky ne ferait plus de vieux os.

C’est par un froid hiver de 2019 que je l’ai conduite une dernière fois chez notre vétérinaire. Elle venait de fêter ses quinze ans.

Vicky, c’est plus qu’un personnage de mon roman.
C’est une part de mon histoire.
Et si vous la croisez dans Le Puits aux Secrets, maintenant vous savez : elle a vraiment existé.

Visite du matin

Il est cinq heures. Mehagne se lève.
Il est cinq heures, mes chats ont faim.
Il est cinq heures.

Un grondement. Des bruits de pattes dans les escaliers. Du remue-ménage annonciatrice des prémices d’une bagarre féline ? Deux chats courent sans sens. Un troisième ne bouge pas. Grondement puissant. Retenu. Sourd. Grave.
Obscurité dans la cuisine. Le grondement est là. Caché. Féroce. Le regard cherche dans la pénombre. Fouille les coins sombres. Sous les pieds, comme un tremblement. Le rythme du cœur s’accélère. Le sien. Le mien. Le sien car il défend quelque chose, le mien car l’origine de cet état est encore inconnu.
C’est le gros bébé roux. Ramassé sur lui-même, le regard fixe, droit devant. Dans ma tête, des questions, des suppositions. Une intrusion. Un autre chat ? Le sosie d’Orion ? Le regard enflammé du chat fixe mes pieds, tête baissée. L’angoisse monte. Les scénarios les plus farfelus aussi. Clic. Lumières allumées, ombres chassées. Suppositions envolées. Un mammifère inerte. Une proie. Indéterminée. Chasse gardée, je ne peux m’approcher. Au ras du sol, on amadoue, on appelle, on invite à lâcher prise. Du vent. Illusions. Alors, on se fâche. On râle. On rouspète. On gronde à notre tour. Petite chose dans la gueule féline ne bouge plus. Longue queue. Semble morte. Bloquer les sorties. Enlever les chaises sous la tables. Le coincer dans un coin. Lâche ! Lâche ! À plat ventre, la chose grise et brune, boule de poils ronde a une longue queue. Musaraigne, mulot ou souris. Pas musaraigne, trop ronde, museau plus épais. Vivante ! Elle est vivante ! La petite bestiole est vivante ! Galopante. Court se refugier. Fuir à tout prix l’ennemi. Se cacher. Ne plus bouger. Faire sortir le chat. Vite. Vite. Dehors. Fermer la porte. Chasser un autre chat. Récupérer le rongeur. Le mettre à l’abri. Chercher une boite. Un bol. N’importe quoi.


Un mulot qui nous a émerveillé ma fille et moi.
Un adorable mulot sorti indemne de cette partie de chasse automnale, dès potron minet.
Un mignon mulot qui a fait sa toilette, qui a mangé, qui a bu, qui a retrouvé sa liberté une fois les quatre chats rentrés !

Il a fait sa première nuit !

C’est une victoire pour moi, pour lui !

Alors que certaines mamans, dont j’ai fait partie il y a de cela 15 et 17 ans, attendent avec grande impatience que leur bébé fasse sa première nuit complète, sans réveil, sans pleurs, sans manger, je me réjouis aujourd’hui que notre dernier chat, âgé d’environ 15 ou 16 mois, a passé, enfin, sa première nuit à l’intérieur, dans notre maison, au chaud !

Un petit pas pour lui, une grande nuit pour moi.

Ce chat, nous l’avons rebaptisé Loki (les autres s’appellent Héra, Minos et Orion). Il est arrivé chez nous de son plein gré. Il vivait à côté, chez nos (anciens) voisins. Loki est un peu sauvageon. Très indépendant. Aime la liberté. Un sacré caractère.
Vers le mois d’avril 2022, Loki a senti que quelque chose se préparait chez lui. Ses amis les humains allaient devoir déménager dans un appartement, sans extérieur. Lui, Loki – avant Kiwi – a anticipé les choses. Habitué à vivre dehors depuis tout petit, il a commencé à passer ses nuits sur la terrasse de ses maîtres ou dans leur jardin. Ou dans le nôtre. En journée, il jouait la plupart de son temps avec notre Orion qui a quasi le même âge que lui. Copains de jeux. De jour en jour, il passait de plus en plus de temps avec Orion, dans notre jardin ou sur notre terrasse. Un après-midi d’avril, il a commencé à rentrer chez nous, pour manger (voler) quelques croquettes. Nos autres chats plus grands, sans l’aimer, toléraient sa présence pourvu qu’il ne levait pas la patte sur eux, ce qu’il avait comme mauvaise habitude de le faire. De pause croquette en pause croquette, le petit chat a commencé à faire une sieste au salon. Puis une autre. Et encore d’autres, jusqu’à passer toutes ses matinées chez nous.
La date du déménagement approchait. Je suis allée voir nos chers voisins pour discuter avec eux de Kiwi. Je leur ai proposé de le garder chez nous, puisqu’il avait visiblement décidé de ne pas partir avec eux. Quel soulagement pour eux de savoir que leur petit chat allait pouvoir continuer sa vie de pacha avec nous !


Les débuts ne furent pas faciles. Loki est un mâle dominant. Il levait la patte à tout bout de champ, tant sur nos chats adultes que sur nous. Avec Orion, ils jouaient souvent à la bagarre, Loki ayant le dessus à chaque fois et n’hésitant pas à mordre notre « petit chouchou ». Le petit dernier avait beau avoir trois à quatre mois de moins que notre adorable Orion, il était déjà plus grand que lui, plus fort.

Je l’ai fait castrer rapidement. Cela a mis quelques semaines (deux gros mois) pour que Loki se calme. Il a commencé à venir de plus en plus souvent près de nous. Demandant des câlins, se frottant à nos jambes, venant sur nos genoux pour une micro sieste. Mais, mis à part la nuit qui a suivi son opération de stérilisation, il demandait à dormir systématiquement dehors ! Même par temps d’orage, de pluie, de vent, de froid.

Orion qui dormait la nuit chez nous a commencé à le suivre. J’ai toujours pu récupérer nos deux grands, Héra et Minos, pour qu’ils dorment la nuit à l’intérieur (je ne compte pas les trois ou quatre nuits que la Miss a passé au fond du jardin en été). Nous n’avons pas de chatière.

Loki nous a fait croire qu’il voulait dormir chez nous à deux ou trois reprises. Mais vers 23h ou 2h du matin, il s’excite et saute sur tout ce qui dort et qui a des moustaches, jetant son énergie sur Orion à coup de morsures, si celui-ci est là. Nous réveillant bien sûr par la même occasion et m’obligeant à le prendre par la peau du cou pour le faire lâcher prise et l’inviter à aller dehors. Il ne demande pas mieux, mais il n’ a pas encore compris qu’il suffisait de demander d’ouvrir la porte.

Mais il apprend, petit à petit, il miaule pour demander à sortir ou à rentrer. Il répond à son appel, une fois sur trois, pour manger. Il arrive en courant pour manger des friandises. Il se laisse porter dans les bras. Il demande qu’on le caresse sous la gorge ou sur le ventre ! J’ai attendu un temps certain avant d’oser le caresser le bidou car jusqu’il y a peu, il griffait et mordait. Sa vétérinaire est la seule à oser couper ses griffes, elle a l’habitude des non-compliants. Loki, personne ne peut toucher ses pattes. Quand il rentre d’une averse, je peux juste le déposer sur un essuie et lui offrir des bonbons ou à manger pour qu’il reste dessus quelques secondes le temps de sécher, un peu, ses papattes.

Hier soir, il fait déjà bien noir et frais quand j’essaie de récupérer Orion à l’appel, en l’appâtant avec des friandises. Ce truc fonctionne très bien avec les grands, et une fois sur deux avec Orion. Mais ni Orion ni Loki ne montrent le bout de leur museau.

Mon amoureux descend une dernière fois et essaie à son tour. Il me dit « j’en ai un, mais ce n’est pas le bon », sous-entendu que c’est Loki qui est rentré mais point d’Orion à l’horizon.

Après avoir mangé ses croquettes, on suppose qu’il va demander à ressortir pour la nuit. Mais non ! Il monte les escaliers et se dirige dans la chambre de notre grande fille. Il s’installe sur son lit et s’endort sous des câlins. On prévient notre fille que ce sera son tour de le faire sortir s’il se déchaîne la nuit.

22h, je m’endors en oubliant complètement que Loki est à l’intérieur.

4 heures 08 : Minos ronronne à mes oreilles sans me toucher. Il s’installe sur ma table de nuit et continue à faire entendre son moteur félin. 4h15, je sens un chat qui monte sur le lit de mon côté, sur mes jambes. Je le caresse. Je ne vois rien. Au poil que je sens, je devine que c’est Loki ! Aïe, j’espère qu’il ne va pas me griffer ou me mordre. Mais non. Il accepte mes câlins. Je le félicite intérieurement pour la belle nuit sage et calme qu’il a passée. Sa première nuit entière. Sage comme une image. Parce qu’Orion n’était pas là ? Parce qu’il commence à apprécier dormir au chaud ? je l’ignore.

On va voir si cela se reproduit. Si cette première nuit est le début d’une longue série de dodos à l’intérieur.

5h35 : tous les chats ont eu à manger. Bizarrement, comme Loki était à l’intérieur, Orion a tardé à venir, à rentrer. Je l’ai découvert plus tard couché sur le toit de ma voiture…

Interprète chat-humain

Encore une chose incroyable qu’il m’est arrivée au potron-minet :

Mon chat Orion, dont les yeux brillent sur son visage comme des étoiles dans un ciel nocturne dégagé, se tenait sur ses pattes arrière et me présentait, le plus naturellement du monde, un livre.

Orion me racontait que l’auteur de ce livre extraordinaire était un spécialiste du palindrocomique.

Il ne m’a pas donné davantage d’explications, car une véritable patte féline aux coussinets tout frais (froid) me touchait le visage en miaulant « debout ! j’ai faim ! ».

Je me suis donc réveillée avec un mystère de plus à résoudre…

Écrire en pleine conscience avec ses sens en éveil

Ou comment partager une tranche de vie de manière plus… comment dire ? Plus poétique ? Plus émotionnelle ? Plus émerveillée ? Plus en lien ?

Ce matin, très très tôt, j’ai pu prendre du recul avec le monde qui m’entoure. J’ai pu faire un saut dans le passé. Oui, dans le passé. Le temps que j’écrive ce que je « ressentais », ce que je « voyais » en repensant simplement à un moment précis, hier soir.

En réalité, nous faisons toutes et tous cela : un saut dans le passé en évoquant des souvenirs, un saut dans le futur en imaginant l’avenir.

Depuis peu, j’essaie de profiter chaque jour de l’instant présent. Et petit à petit, j’y arrive !

Avant-hier, dans la fin de l’après-midi, j’étais là au bon endroit, au bon moment. C’est-à-dire chez moi, assise au salon, dans le fauteuil une place placé face à la fenêtre. Je ne faisais rien de spécial. J’ai du mal à « ne rien faire ». En réalité, je naviguais sur mon téléphone dans le dossier « photos » et je supprimais, et je regardais, et je recadrais et je classais… En réfléchissant à mes collages créatifs et expressifs, je lève la tête un instant et je vois. Je me doutais qu’il devait apparaître. Je l’avais dit quelques minutes plus tôt à mon fils : avec cette pluie et ce soleil, on devrait voir un joli arc-en-ciel. Je n’ai pas réfléchi longtemps avant d’abandonner mon activité, de me lever, de sortir mon appareil photo, d’ouvrir la fenêtre de mon salon et de capturer ces couleurs du bonheur, cette magie impalpable, cette vue que nous aimons toutes et tous.

Et puis hier soir, j’ai encore vécu un présent, un cadeau de la nature. Encore une fois, j’étais dans mon salon, dans ce fauteuil à une place placé face à la fenêtre.

3 novembre 2021. Bientôt 21h. C’est déjà la nuit. J’entends la pluie frapper le sol dans la rue, les gouttes s’écraser sur le toit de ma voiture garée devant la maison. Sur les fenêtres du salon double vitrage, c’est le silence. Le lampadaire sur le trottoir éclaire le bitume et le métal des voitures d’une lumière jaunâtre, fausse, humide de nuages trop lourds.

Au salon, ma pièce préférée pour son usage multiple, son confort et sa créativité foisonnante, je m’installe en tailleur dans le fauteuil à une place. Ma position change rapidement pour me sentir plus à l’aise. Le dos contre un accoudoir, les fesses parallèles à ce dernier sur le coussin d’assise et les jambes par-dessus l’autre accoudoir, je me glisse dans ce mobilier vieux de plus de 12 ans, dont le tissu est recouvert d’un plaid tout doux.

Et j’ouvre mon livre. Lecture du soir, rituel habituel, quotidien, pour me préparer à une nuit rapide peuplée de songes extraordinaires, bizarres, angoissants ou merveilleux.

Le livre, mon trésor, mon voyage, mon ami. Malgré sa taille et son volume plutôt imposant pour mes doigts remplis d’arthroses avancée, n’est pas trop lourd entre mes mains. Le papier est léger, d’un blanc cassé qui ne me fait pas mal aux yeux. Lecture agréable d’une histoire pour enfants remplie de magie. Un livre que j’ai trouvé dans une grande librairie au rayon jeunesse au centre de ma ville. Un livre, une histoire que je ne cherchais pas à avoir. Ce jour-là, frustrée de ne pas avoir pu aller flâner dans une autre boutique de livres, spécialisée dans les bandes-dessinées et les mangas neufs et d’occasion qui était fermée pour cause d’inventaire, j’ai dépensé sans compter dans ce magasin reconnu de la ville et bien au-delà.

Je lis ce livre avec plaisir. L’histoire m’emmène dans un monde étrange, doux mélange d’une réalité possible et de l’univers d’Harry Potter. Un monde où magiciers et quiétons (des gens normaux quoi, vous et moi) se côtoient, où la magie existe, mais est gardée secrète et où elle ne se voit pas par les « autres ». Dans cette histoire, un chat génial et particulier, une grand-mère extraordinaire et un adolescent, des adolescents, attachants.

Ce sont principalement ces deux-là, le chat et la grand-mère, dans cet univers fantastique qui m’a fait dépenser près de vingt euros pour ses 400 pages. Mais la couverture est tout aussi magnifique. Avec son titre et le nom de l’auteur en relief. Avec les couleurs dorées de certaines lettres, ça pétille dans le regard. Et puis les illustrations sont tout aussi magiques : un chat blanc aux longs poils et au sourire coquin, des livres précieusement gardés par une végétation vivante et foisonnante, un manoir aux pièces éclairées dans une nuit de pleine lune et un personnage représentant la mort qui a le dos tranquillement posé tout contre un sablier gigantesque.

J’arrive sur la fin. Page 333 sur les 409, chapitre 25 sur 30 de « Magic Charly, l’apprenti » ; de Audrey Alwett.

«  Pendant deux heures, ils tentèrent de désherber la boutique. Sapotille tâcha aussi de prélever des livres dans la bibliothèque et se fit mordre. Quelques ouvrages s’étaient déjà accrochés à des branches et se prenaient pour des fruits. Sapotille parvint à en cueillir trois ou quatre qu’elle disait être particulièrement précieux.
– À mon avis, Maître Lin va très mal, dit-elle avec angoisse. Sinon, sa boutique ne serait pas dans un état pareil. »

Et puis, alors que je lis le nom de « Maître Lin » et pense aussitôt à cet autre livre « La petite fille de Monsieur Linh », de l’auteur Philippe Claudel, j’entends comme des trompettes légères et discrètes.

Dans ce salon silencieux où je suis seule à profiter de cet instant magique, je referme temporairement mon livre en glissant un index entre les pages 352 et 353 et tend mon oreille droite vers la source de ce bruit familier mais que je ne reconnais pas immédiatement, mon cerveau étant encore immergé dans une autre dimension…

Ces cris ressemblent un peu à ceux des oies dans le film « Donne-moi des ailes », de Nicolas Vanier que j’ai enregistré plus tôt à la télévision et regardé il y a quelques jours (et livre que j’ai lu il y a quelques mois !). Mais ces cris sont un rien plus aigus, plus brefs, plus claquants je dirais. Je tends mon oreille droite vers la fenêtre du salon. La droite car la gauche est légèrement défectueuse et entend moins bien. Je sais que cela ne sert à rien de me lever pour tenter d’apercevoir, d’identifier ces oiseaux en plein vol migratoire. Mes stores sont abaissés, les lampadaires dans la rue sont allumés et il aussi noir que dans un four éteint. Ma vue exceptionnelle, spécialisée et entraînée à remarquer la moindre petite bestiole rampante, courante ou volante ne me sera d’aucune utilité en ce moment précis. Alors, je ferme les yeux, l’index droit toujours dans mon livre et je profite de cet instant magique. Et je me les imagine. Un groupe de grues cendrées en vol, formant un « V », passant au-dessus de ma maison, de celle de mes voisins de gauche, de mes voisins de droite, de mes voisins d’en face. Puis, le « V » se disperse. Il y a deux groupes. C’est le désordre. Il y a des retardataires. On s’attend. On s’appelle. On essaie de se mettre d’accord, de remettre de l’ordre dans la formation.
Je suis auprès d’elles un instant. Un bref instant. Quelques secondes. Deux ou trois tout au plus.  Mais je suis là. Avec elles. Dans le ciel. Le vent est froid. La pluie n’est plus qu’un crachin et elle glisse sur mes grandes ailes. J’ouvre le bec pour donner la direction à suivre, pour m’assurer que toute la troupe, mes amies, ma famille, est bien derrière moi. Et on me répond. Et cela me rassure. Alors je le dis et je réponds à mon tour.

L’instant est passé. Les grues se sont éloignées. Le silence est revenu. Comme ma conscience est redescendue.

Je suis à nouveau au salon. Je ressens les pages du livre qui enserrent doucement mon doigt-marque-page, je dis au-revoir à ces oiseaux voyageurs et j’ouvre les yeux. Mon chat, le gros matou roux et blanc n’a pas bougé d’un poil, ignorant sans doute le voyage merveilleux que je viens de faire juste à côté de lui. Il est bienheureux lui aussi sur ce fauteuil, couché tranquillement dans une position apaisante, peut-être même est-il déjà dans un rêve…

Alors sans faire de geste brusque, pour ne pas le réveiller, j’enlève mon index de mon livre, inséré le vrai marque-pages à sa place, tends le bras vers mon smartphone-appareil-photo et immortalise cet instant.

En moins de dix minutes, j’ai rencontré Maître Lin, grand magicier et ai découvert sa bibliothèque magique, j’ai côtoyé des grues cendrées en plein vol d’une soirée d’automne et j’ai capturé le rêve d’un chat bienheureux.


Les photos des grues cendrées en vol ne datent bien sûr pas d’hier soir, mais de fin novembre 2020 (et les deux photos les plus proches datent de début février 2021). Je me souviendrai toujours de ce moment, car le ciel était bien bleu et comme pour à chaque fois que je fais cette observation, je les entends d’abord puis les cherche du regard. J’abandonne toute activité pour contempler ce ballet aérien jusqu’à ce qu’il n’y ai plus une seule grue visible.

Voici en images les livres et le film dont je parle plus haut.


Et les deux petits haïkus composés hier soir, juste avant de dormir, avec le son des trompettes des grues dans la tête :

soir de novembre
écoute les grues chanter
migration d’automne

dans le ciel de la nuit
j’écoute les grues chanter
magie d’automne