Partagez une anecdote sur le trajet le plus éloigné que vous ayez jamais parcouru depuis chez vous
Août 2002 Bruxelles – Camargue
J’ai 21 ans. 22 ans dans un mois. Cela fait pile deux ans que je travaille en CDI. Mon premier contrat à durée indéterminée, mon passeport pour la liberté. Je quitte le nid familial et je vis toute seule depuis dix-huit mois. Je suis conseillère à la vente dans un magasin Nature et Découvertes à Bruxelles. Ce n’est pas le métier pour lequel je suis diplômée, mais j’adore la nature et j’adore aider, renseigner les gens.
Pour la première fois*, je pars en vacances. Mes premières vraies vacances, loin de tout, loin de mon travail, loin de ma famille, loin d’une rupture sentimentale. Mes premières vacances toute seule, découvrir une région qui m’est inconnue. Je n’ai pas de voiture, ni même le permis de conduire. Je n’y pense pas pour le moment, j’habite et vis à Bruxelles, tout est à proximité, avec des transports publics à profusion : trains, trams, bus. Et aujourd’hui, pour la première fois depuis ma naissance, je vais quitter la Belgique ! J’adore les oiseaux et un (petit-futur-ex) ami m’a conseillée d’aller en Camargue. Il m’a montré des photos de l’endroit. Il m’a dit que je ne serais pas déçue. Il a tout préparé pour nous. Il est plus âgé que moi et aime voyager.
Au départ, on devait y aller en voiture. Mais un mois avant le jour J, on se dispute pour la première fois et on se sépare dans la foulée. Il annule tout, absolument tout. Mais moi, même sans lui, je veux aller là-bas. J’ai beaucoup de mal à gérer les changements et les imprévus. Je m’étais faite une idée de mes premières vacances. J’avais hâte. J’en rêvais.
Nous sommes en 2002. Cela fait un an que j’ai un ordinateur et Internet. Je vais chercher quelques informations sur Internet, mais je prends contact avec l’hôtel, par courrier. Après tout, je suis secrétaire, écrire des courriers, ça me connaît. Je téléphone quand même, avec mon premier GSM, pour réserver la chambre, car la date de mon départ arrive bientôt et je m’y prends un peu en dernière minute.
Je n’ai aucun sens de l’orientation. Mais je connais Bruxelles et je sais où je dois prendre mon premier train. Après, pour trouver ma correspondance et le quai, j’ai une langue. Je n’ai pas peur de poser des questions, je me suis toujours débrouillée seule.
Pour avoir le premier train, je dois d’abord prendre un bus. Le premier bus qui arrive sur les coups de six heures du matin met une demi-heure environ jusqu’à la gare de Bruxelles-Nord. Le train numéro 1 – un TGV , le Thalys ! – fait le trajet jusqu’à Avignon en 5h35. Un direct. Un rapide. De là, un autre train m’amène plus lentement jusqu’à Arles. Enfin, à Arles, j’ai un bus jusqu’à ma destination finale : Camargue – Saintes-Marie-de-la-Mer.
Pas une seule fois, je me trompe de route. Pas une seule fois, je me perds. Pourtant, dans ma tête, c’est le chaos. Je pense toujours à mon ex et mon rêve de voir de superbes oiseaux s’estompe un peu. Je ne suis même pas sûre d’aimer encore à ce point là les oiseaux. Quand même, je rêve secrètement de voir un Héron pourpré. Son cousin le cendré, j’en vois beaucoup et j’en ai déjà photographié tout plein. Mais le pourpré, je sais qu’il est plus grand, encore plus majestueux et puis ses couleurs, à vous couper le souffle. Donc je me dis que si je croise cet oiseau, ma passion reprendra de plus belle. J’oublierai l’autre andouille et me consacrerai aux oiseaux, mes meilleurs amis depuis toujours, mes précieux.
Dans le bus, celui qui m’amène à Saintes-Marie-de-la-Mer, je sens la distance creuser sa douleur dans mon cœur et dans mon esprit. Je suis seule. Je suis loin. Et je suis seule. Et je suis loin. Je pensais que j’aimerais ça, mais je me sens complètement perdue. Triste. Malheureuse. Tout est allé tellement vite que je n’ai même pas fait attention à mon budget. Ce n’est que plongée dans mes cogitations, seule dans le bus, que je réalise que je ne pourrai même pas manger tous les jours. Le billet du train à grande vitesse m’a coûté un bras. La chambre d’hôtel n’est pas donnée non plus. Je commence presque à regretter d’être partie sur un coup de tête, après cette rupture sentimentale, toute seule, si loin, sans personne. Je regarde par la fenêtre le paysage qui défile. Il fait beau. Il fait chaud. Et je pleure. C’est parmi mes larmes que je distingue un oiseau que je n’avais encore jamais vue : une Avocette élégante. Je souris. Mais je continue à pleurer, car même si je suis contente de voir cet oiseau, je n’ai personne avec qui partager cette découverte.
Le voyage aura duré 12 heures en tout et pour tout. J’arrive à 18h30 à mon hôtel. Je suis fatiguée. Je pose à peine mes bagages dans ma chambre que je pense déjà à repartir, car rien ne m’est familier.
J’y resterai cinq jours, comme prévu. Je verrai furtivement un Héron pourpré. Il m’aura arraché un autre sourire et d’autres larmes. Et ce sera à peu près le seul et unique souvenir marquant qu’il me restera.
Fin 2023. J’y suis retournée, en Camargue, à Saintes-Marie-de-la-Mer ! Avec mon amoureux d’aujourd’hui, pour fêter nos 21 ans de couple. Nous y sommes allés en voiture, en y mettant quasi autant de temps qu’en trains et bus il y a 20 ans. Quel bonheur de pouvoir remplacer ces vieux souvenirs douloureux par de l’amour, par de nouvelles anecdotes, par cette VIE partagée et comblée.
* Ce n’est pas vrai, ce sera pour la deuxième fois. Mes premières vraies vacances, c’étaient à Virelles, en été 2001, avant qu’il ne s’appelle l’Aquascope Virelles. Déjà à cette époque, j’avais du mal à préparer un budget pour des vacances et j’ai dû vendre des photos de la région pour pouvoir payer l’hostellerie dans lequel j’avais une petite chambre. Je ne suis pas sûre que ma fille pourrait faire ça aujourd’hui. J’osais beaucoup de choses quand j’étais jeune (rires). Je vous raconterai aussi ce périple, car je me suis fait « repérée » et « reconnue » par cet endroit. Si j’oublie, rappelez-le moi ;-)
