Jeu d’écriture : cadavre exquis

Pourquoi y a-t-il un renne dans la cheminée qui lit un livre sur un pingouin ?

Ce matin-là, Elisabeth faisait une randonnée en forêt avec sa famille. Les feuilles craquaient sous leurs pas, le ciel était grand et bleu, et les oiseaux chantaient, mais Elisabeth, elle, traînait les pieds.

Ses nouvelles chaussures de marche — super chères, super techniques — étaient déjà trop petites. À force de grandir comme un haricot magique, elle avait des cloques partout.

Alors, quand elle aperçut, bien avant les autres, une cabane perchée en haut des arbres, elle se redressa d’un bond et lança :

— Là-haut ! Une cabane !

Sans attendre, elle grimpa à l’échelle grinçante. Arrivée au sommet, elle poussa la trappe et entra.

Première chose qu’elle fit : enlever ses affreuses chaussures.
Deuxième chose : explorer la cabane, curieuse comme une fouine.
Troisième chose : hurler à pleins poumons en courant vers la sortie.

Parce qu’au fond, dans la cheminée de cette étrange cabane… un renne lisait tranquillement un livre sur un pingouin.

Un renne, dans une cheminée, en train de lire.

Et pas n’importe quel livre : “Le guide du pingouin philosophe — Comment glisser dans la vie sans tomber trop fort”.

Elisabeth, affolée, oublia complètement un détail :
La cabane était haut perchée.
Et il fallait descendre par l’échelle.
Ce qu’elle n’avait pas du tout prévu de faire dans l’urgence.

Heureusement…

Une patte puissante la rattrapa par les chevilles, juste au moment où elle allait s’élancer dans le vide.

— Et de quatre ! soupira le renne, tenant Elisabeth à bout de bras comme une chaussette mouillée.

Un pingouin — oui, un pingouin — leva les yeux de son carnet de sudoku.

— Tu devrais vraiment mettre un panneau, dit-il. Genre “Attention : Renne lecteur dans la cheminée”.

— Ou un tapis gonflable en bas, grogna le renne. C’est toujours pareil : ils hurlent, ils courent, ils oublient qu’ils sont en haut.

— Tu es un peu responsable, mon vieux. Qui lit dans une cheminée ? Et en plus des livres sur moi ?

— Laisse-moi tranquille, j’aime le style un peu polaire ou polar. Dis, tu crois qu’elle va encore crier ?

Le pingouin regarda Elisabeth, suspendue tête en bas.

— Pas si tu la remets sur ses pattes tout de suite. Elle devient rouge comme une tomate.

Le renne la reposa doucement sur le plancher de la cabane. Elisabeth reprit son souffle, les yeux ronds comme des cookies.

Puis, sans vraiment savoir pourquoi, elle se mit à fredonner… une drôle de chanson :

Dans sa cabane, un grand renne,
Lisait sur un pingouin zen.
Quand une enfant, sans réfléchir,
Voulut s’enfuir sans atterrir.

Mais le renne, doux et costaud,
L’a rattrapée comme un héros.
Et le pingouin a murmuré :
“Ici, on lit. On ne se quitte jamais apeuré !

Et dans un coin, ses chaussures toutes serrées la regardaient, vexées de ne plus être au centre de l’histoire.

Cadavre exquis individuel, jeu littéraire

Cadavre exquis ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Je vous invite à aller lire ce chouette billet du site « il était une fois« , pour découvrir d’où il vient, par qui il a été imaginé, et toutes ses formes possible et imaginable.

Pour rappel, c’est ce jeu d’écriture que j’ai découvert vers 15-16 ans, au cours de français à l’école secondaire, qui a été le déclencheur pour l’écriture créative. Nous étions une vingtaine en classe, chaque rangée de bancs devait donner une partie de phrase, pour, à la fin, avoir une bien étrange phrase. Nous avions eu comme sujet de rédaction : Un miroir sème gaiment une carte sale. Ma première belle note dans ce cours m’a valu la lecture à voix haute devant toute la classe (timidité et fierté se partageaient mes joues rouges cramoisies).

Hier, je suis allée à un atelier d’écriture chez Milady Renoir (clic). La première proposition d’écriture allait de pair avec le partage de qui nous sommes. Nous étions sept. Sept femmes à nous présenter d’une manière tout à fait originale. Je ne vais pas vous expliquer en détails comment on a fait. Sachez juste que c’est à cette occasion que j’ai découvert le mot et la pratique particulière de la bibliomancie. Je vous laisse l’envie ou non d’aller découvrir ce que c’est que ça :-)

Je joue donc sur cette nouveauté pour vous proposer un jeu d’écriture à faire chez vous. Un cadavre exquis individuel combiné à la bibliomancie. Pour ce faire, voici comment je procède chez moi.

  1. Je prends un livre que j’aime bien (le mien : « contes et légendes du Japon », anthologie éditée par les éditions J. A. Création, livre reçu à Noël par mon amoureux)
  2. Je pense très fort (vous pouvez le dire à voix haute) à cette question : quel est le sujet de ma prochaine histoire. Pendant que je pense très fort à cette question, j’ouvre le livre au hasard, les yeux fermés, et je dépose mon doigt sur une des deux pages. Voilà, mon doigt a désigné mon sujet : un vieillard. Si votre doigt se situe sur du « blanc », sans texte ou sur un verbe, prenez la première personne, prénom, homme, femme, enfant, animal, « vivant » avant ou après cet endroit. Ou refermez le livre et faites un nouveau choix au hasard.
  3. Comment est mon sujet ? Je referme le livre et j’interroge le livre – toujours les yeux fermés – en posant ma main dessus : « comment est ce vieillard ? ». Au hasard, j’ouvre le livre, je choisi une page et mon doigt montre le complément du sujet : diaphane
  4. Que fait mon personnage ? Pareil, je pense très fort à une action que mon malheureux vieillard pourrait faire, je ferme les yeux et mon doigt choisi au hasard le verbe d’action : ouvrir
  5. Je détaille l’action : en se délectant
  6. Un objet, un nom commun. Encore une fois, yeux fermés, livre fermés entre mes mains, je pense très fort à la question et mon doigt choisi au hasard le mot : un parapluie
  7. Je mets les mots trouvés au hasard dans l’ordre d’apparition et j’obtiens cette phrase : Un vieillard diaphane ouvre en se délectant un parapluie.

J’écris à partir de cette phrase. Voici mon texte écrit en moins de trente minutes :

Le vieillard avait la peau diaphane, de son visage à ses orteils nus dans ses sandales de bois de piètre qualité, il était blanc. Blanc transparent. On eut dit un fantôme. Pour peu, je pourrais presque le croire. Caché derrière un buisson, je l’observais. Ce vieillard, je l’avais déjà croisé la veille et l’avant-veille. Il traînait près des cuisines des restaurants, la bave aux lèvres, espérant pouvoir remplir sa panse de quelques déchets délaissés par des plus riches que lui. Il faut croire qu’il n’était pas chanceux au vu de la couleur de sa peau et de sa maigreur à faire peur. J’étais ici chez ma tante. J’y passais les vacances de Noël avant la rentrée scolaire. Ma oba tenait une petite boutique de souvenirs pour les touristes. Nous logeons à l’étage. Ce vieillard, m’avait réveillé très tôt le matin, il y a deux jours. Il fouillait nos poubelles et faisait même peur aux chats, habitués des restes. Sa couleur m’a immédiatement fait peur. J’avais vraiment cru qu’il s’agissait d’un fantôme ! Mais je suis grand et je ne crois presque plus aux fantômes. Juste aux Yokaï. Quelques fois. Pas tout le temps. Comme nous n’avions que peu de restes de nourriture, je savais qu’il allait voir ailleurs, préférant les petites restaurations. Ce vieillard diaphane me faisait quand même de la peine. Personne d’aussi âgé ne devrait vivre dehors, par ce froid. Si ce n’est pas de faim, ce sera de froid qu’il mourra. Et ça, je ne le permettrai pas. Le soir, je rentrai chez ma oba et lui demandai si personne n’avait cassé d’objet aujourd’hui.

– Hélas, si ! me dit-elle en pointant du doigt un petit parapluie dans la poubelle de son bureau. Un couple d’européen a voulu l’essayer, ne croyant pas à sa solidité malgré son poids. Ils l’ont ouvert et fermé un nombre incalculable de fois et bien sûr, à la vingtième ou trentième fois, le mécanisme a flanché et il ne s’ouvrait plus. Je demanderai à ton père s’il peut le réparer, mais j’en doute.

Saisissant cette opportunité, je lui demandai si je pouvais essayer de le réparer moi-même et au quel cas je n’y arrivais pas, si je pouvais quand même le donner à une personne qui n’en a pas encore un seul et qui serait sûrement content d’en avoir un, même cassé.

– Si cela te fait plaisir mon chéri, me dit-elle en ébouriffant mes cheveux. Tu as un grand cœur, c’est bien. Gentil garçon.

Bien sûr, je n’essayai pas bien longtemps de le réparer. Le mécanisme était vraiment trop complexe pour moi. Aussi, je le laissai bien en évidence devant nos poubelles. Mais avant de le laisser là, j’y glissai quelques dango, ces friandises spéciales faite de pâte de riz transformée en poudre de mochi. Ce n’était pas grand chose, mais c’était mieux que rien.

En fin de nuit, j’entendis son pas traînant non loin. Avec cette pleine lune, sa peau se reflétait comme la lune sur un lac tranquille. Je craignais presque voir l’intérieur de son corps. Comme il semblait s’en aller, j’imitai le sifflement d’un oiseau pour l’attirer. Il avait une bonne ouïe et s’approcha aussitôt de l’arrière de notre maison, en boitant légèrement. Du premier étage où j’étais, je pouvais voir la bave couler de ses lèvres à l’annonce du maigre festin qu’il allait se faire. Le vieillard diaphane ouvrit en se délectant le parapluie. Et là ! Oh ! Miracle. Les dango s’étaient multipliés, il y en avait des gros, des très gros et en quantité invraisemblable ! C’était de la magie, à tous les coups ! Le vieillard en mangea quelques uns, en mis d’autres dans les poches de son vêtement troué et embarqua le parapluie. Là, un autre miracle se produisit. L’homme ouvrit le parapluie qui lui répondit du premier coup de pression du pouce sur le bouton. Il s’ouvrir correctement puis se referma tout aussi bien. Quand il l’ouvrit une seconde fois, d’autres dango plurent sur lui ! Il s’en amusa, mais sans en abuser. En tournant la tête à gauche puis à droite pour s’assurer que personne ne l’avait vu, il s’encouru comme il le pouvait, le parapluie sous le bras, semant de-ci de-là quelques friandises sur son chemin.

Incitation WP

Proposition quotidienne de rédaction
Décrivez quelque chose que vous avez appris au lycée.

L’écriture créative. L’envol de mon imagination grâce à mon professeur de français et à son devoir d’écriture à partir d’un « cadavre exquis ». J’avais 15 ans. Je découvrais les figures de style et j’ai adoré !

J’aime toujours autant aujourd’hui.

Je m’en souviens encore.

Je vous propose d’écrire, vous aussi, à partir de cette phrase bizarre. Si je ne suis pas trop « coincée » dans les souvenirs de ce que j’ai pondu à l’époque, je jouerai également, trente ans plus tard !

Un miroir sème gaiement une carte sale.

Jeu d’écriture : cadavre exquis avec… Chat GPT !

Pendant une vingtaine de minutes, ce soir, je me suis amusée à jouer avec Monsieur Chat GPT ! J’ai lancé l’idée d’un cadavre exquis à écrire ensemble. Rien que lui et moi. Et il a sauté sur l’occasion. Moi aussi.

Bien sûr, je serais ravi de jouer avec toi au cadavre exquis ! Commençons avec une phrase initiale :

GPT : « Dans une ruelle sombre, une lueur mystérieuse émanait d’une vieille boîte en bois abandonnée. »

À toi de continuer !

Moi : « J’ai toujours été une grande curieuse. Cette lumière mystérieuse m’attirait comme un aimant. Plus je m’approchais de la boîte, plus elle m’apparaissait ancienne. »

« Les contours de la boîte semblaient usés par le temps, comme s’il y avait une histoire gravée dans chaque éraflure. Mes doigts hésitants effleuraient la surface rugueuse, et c’est alors que la boîte s’est ouverte avec un léger grincement. »

« Aussi grande qu’une boîte à chaussure, le couvercle ouvert révélait un tas de petits papiers au fond. Les feuilles étaient jaunies par le temps. Je n’osais les toucher tellement elles me paraissaient fines, fragiles. Comme du papyrus. »

« Chaque feuille portait une écriture délicate et ancienne, comme si ces mots avaient été tracés il y a des siècles. Mes yeux parcouraient les lignes, dévoilant des histoires, des pensées et des secrets. C’était comme si la boîte renfermait les fragments d’une vie passée, une époque lointaine qui cherchait à communiquer à travers le temps. »

« Tout ceci est excitant. Je perdais la notion du temps. Je n’entendais plus rien autour de moi. Seule cette boite m’intéressait. Et son contenu. C’était comme si j’avais découvert une bouteille à la mer avec dedans un message. Une demande d’aide. Et il s’agit bien de cela ! L’écriture, légèrement effacée, était encore tout à fait lisible. Une certaine Agathe semblait être retenue contre son gré dans une espèce de château. Elle se sentait en danger. »

« Les mots d’Agathe résonnaient en moi, et une détermination s’empara de mon esprit. Je décidai de déchiffrer le reste des messages pour comprendre son histoire et, peut-être, trouver un moyen de l’aider. Les papiers dévoilaient des indices, des descriptions du château, des énigmes à résoudre pour progresser. Mon aventure prenait une tournure inattendue, et je me lançai dans cette quête mystérieuse, guidée par les écrits du passé. »

« Le château existait toujours aujourd’hui. Il était classé comme monument historique, dans un grand parc, au centre de Liège. Sans doute le dernier château de la ville. Il existait toujours, était entretenu, mais bien sûr plus personne n’habitait réellement dedans. Toutefois, de nombreuses animations s’y donnaient encore aujourd’hui. Je pourrais donc y aller demain et chercher les indices d’une vie passée d’une certaine Agathe. »

« Le lendemain, je me trouvais devant les imposantes portes du château, un mélange d’excitation et d’appréhension dans l’air. Le parc était paisible, mais l’ombre du passé semblait planer. Je me faufilai à travers les salles décorées et les couloirs majestueux, cherchant des traces de la vie d’Agathe. Les visiteurs déambulaient, inconscients de l’énigme qui se déroulait sous leurs yeux. Soudain, dans une petite pièce dérobée, je découvris un portrait qui semblait figurer la mystérieuse Agathe. Son regard semblait percer le temps, et je me demandais si, d’une manière ou d’une autre, elle était toujours présente dans ces murs. »

« J’étais devant ce portrait et, derrière moi, sans que je m’en rende compte, une autre personne regardait avec grande attention ce même portrait. Tout à coup, cette personne me parla et me fit sursauter : – C’est le portrait de mon arrière-arrière-grande-tante. On l’appelait Agathe, car ses yeux luisaient tels deux pierres précieuses. »

« Stupéfaite, je me retournai pour faire face à cette personne inattendue. Elle avait l’air d’appartenir à une autre époque, avec ses vêtements d’un style ancien. Intriguée, je lui expliquai la découverte des messages et mon désir d’en apprendre davantage sur Agathe. La personne sourit avec bienveillance et proposa de partager les histoires de famille liées à ce château, ouvrant une nouvelle page de mystère à explorer ensemble. »

Cadavre exquis, qui joue ?

Vendredi passé, les participants à mon atelier d’écriture ont tiré des mots au hasard dans ma pochette surprise et ils ont écrit un petit texte à partir de cette phrase :

« Chez le coiffeur, un géant offre un miroir au feu ».

Qu’est-ce que cette phrase vous inspire ?

3, 2, 1, prêt ? Écrivez :-)

Une histoire à plusieurs mains

Durant le confinement, j’ai eu l’occasion d’écrire une petite histoire avec d’autres personnes, par email et FB interposé ;-)

Grâce au jeu de dés Story Cubes, à un jeu de cartes « Il était une fois », nous avions chacune de nous six, deux mots à caser dans notre texte. Et nous avons écrit cette histoire à la manière d’un cadavre exquis, c’est-à-dire que nous écrivions chacune à notre tour une partie de l’histoire.

La superbe illustration du petit écureuil, vient du site Pixabay, libre de droit.


Un jour, au jardin

C’était une petite pomme qui poussait sur un pommier …en ce printemps 2020. C’était un plaisir de la savourer des yeux en pensant au moment où on pourrait la croquer à belles dents !

Depuis mon jardin, je pouvais la voir, rouge, grosse et ronde à souhait. Elle n’attendait qu’une chose : que je la cueille. Tout à coup, un mouvement roux, furtif, me fit tourner légèrement la tête : un écureuil s’approchait de mon fruit convoité ! Oh ! Le coquin, il allait me le voler assurément. Je me levai doucement de mon fauteuil. Mon geste le fit s’arrêter net. Nous étions à même distance de la pomme, lui derrière elle, moi devant. Ou inversement selon son point de vue… J’estimais qu’il devrait faire au moins dix ou douze petits bonds ; quant à moi, en trois grands pas, je devrais pouvoir arriver à mettre la main dessus. La suite des événements me sembla passer comme au ralenti. Nous étions deux tortues, à avancer d’une lenteur effroyable, à tenter de deviner quand l’autre passerait à la vitesse supérieure.

C’est alors que tous deux nous restâmes bouche bée, une ombre de plus en plus épaisse … de plus en plus proche, descendait du ciel comme par magie. Figés sur place, alors que tous les animaux alentour fuyaient et qu’un silence d’hiver s’installait, nous observions, tout autant effrayés que fascinés par ce voile aux mille couleurs prêt à accoster. Accroché à un énorme parachute, un tout petit lutin nous apparut, nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’une lutine. Elle se faufila entre les branches du fruitier.

Au fil des ondulations délicates de ce petit être d’une branche à l’autre, comme si elle obéissait à je ne sais quoi, je ne sais qui, presque comme si elle était … vivante, l’énorme soie arc-en-ciel se rétrécissait rapidement et méthodiquement. Elle termina son étrange cérémonie de pliages rangée dans un minuscule sac suspendu au dos de la lutine au moment même où celle-ci s’assit délicatement … sur le fruit convoité !

Éberlués, bouche bée, l’écureuil et moi étions comme transformés en statues de sel. Incapables de bouger, c’est à peine si nous respirions. Le sortilège prit fin lorsque la lutine commença à parler.

« Bonjour, quelle chance, c’est le bon jour et la bonne heure, j’avais tellement peur d’arriver en retard et de ne pas vous trouver ».

Sa voix était comme la soie colorée qui avait réintégré le petit sac à dos : douce et lumineuse, souple et solide, on croyait entendre le murmure fascinant d’une rivière quand la lumière joue à cache-cache avec le mouvement de l’eau.

Elle secoua la tête et un rire de grelots retentit, rendant l’instant encore plus magique. « Bonjour et bienvenue … enfin, si tu n’es pas là pour me voler ma pomme, déjà qu’on est deux sur le coup, trois, ce ne serait plus marrant du tout ! », répondit l’écureuil, d’une petite voix aiguë et parsemée de « cric » et de « crac », comme si en parlant, il continuait à croquer une noisette. « Ta pomme ? Non, elle est belle à croquer, mais ce n’est pas pour elle que je suis ici, c’est pour vous rencontrer, toi et … elle » poursuivit la lutine en pointant son petit index en la direction. Elle continua : « c’est vous qui avez été choisis pour m’aider à retrouver la clé du cadenas qui ferme la grille du monde des rêves. Le gardien s’est assoupi et, à son réveil, la clé avait disparu ! Depuis, le monde des rêves est inaccessible, il faut vraiment que vous m’aidiez » C’est alors que je m’entendis répondre : « oui » …

Comment dire non à une créature aussi fascinante !

Pourtant, aussitôt ce petit mot sorti de ma bouche, un train de questions s’ébranla dans ma tête, comme un défilé de wagons où s’accrochaient des points d’interrogation : oui-mais…oui-mais…oui-mais…oui-mais…

— Pourquoi cette lutine nous avait-elle choisis ?

— Cette façon de nous appeler les “élus” ne me plaisait guère…N’y avait-il pas là une manipulation démagogique ?

— Pourquoi fallait-il un gardien des rêves ?

— S’il y avait un gardien, c’est bien que les rêves étaient emprisonnés : ne devaient-ils pas être libres et accessibles à tous ?

— Qui avait installé une grille autour du monde des rêves ?

— La lutine n’était-elle pas envoyée par celui qui se désignait comme le propriétaire de ce lieu ?

— Bref : avions-nous devant nous une fée ou un être maléfique au solde d’un
despote ?

— Et enfin : le confinement ne m’avait-il pas tourneboulé l’esprit ?

Avec toutes ces questions qui me venaient à l’esprit et qui partaient dans tous les sens, j’avais l’impression que ma tête battait la campagne ! Je ne savais plus où j’en étais ! Peut-être que c’était le confinement effectivement qui me mettait dans cet état de ruminations, d’interrogations et de rêveries sans fin ! Qu’en penser ? ! Est-ce que la lutine n’était pas simplement un effet de mon imagination débridée ?!

Bien sûr il y avait la pomme qui était réelle et l’écureuil aussi mais le reste ?

En fait j’avais regardé ce qui se passait dans le jardin parce que j’en avais par-dessus la tête de lire et relire ce manuel  » comment utiliser un boulier en 10 leçons ». Encore une fameuse idée que j’avais eue ! Confinée avec mon petit bout de 5 ans qui n’allait plus à l’école, j’avais eu le projet de lui apprendre à compter avec un boulier mais ça s’était avéré plus difficile que je ne l’aurais cru au préalable. En fait j’étais dépassée. Et oui même les choses les plus simples ! Et puis finalement après tout, la petite allait retourner à l’école, donc…plus besoin de se tracasser avec ce boulier. Mais c’était la lutine qui me turlupinait à présent ! Je me voyais déjà consultant google pour en savoir plus sur le monde
(imaginaire ?) de ces petits elfes !

Que faire ? Pourquoi n’avais-je pu tout simplement croquer cette petite pomme ?

Soyons honnête, dans ma petite tête, c’était un véritable dialogue de sourd. Toutes ces questions et ces interrogations. Et tout ça, pourquoi ? Pour une pomme, pour un écureuil ou pour un petit lutin ?

Je dois bien l’admettre, à force de rester confinée chez moi, mes actions et les événements ont pris un tout autre sens. J’ai davantage de temps pour réfléchir et surtout pour agir. Même si je crois à d’autres mondes, tels celui des fées et des lutins, je ne peux pas mettre tous mes œufs dans le même panier : la pomme, l’écureuil et la lutine, tous les trois, dans mon jardin ! Non.

— Eh bien, si ! Me répond l’écureuil.

Je fronce les sourcils : après la lutine que je comprends, le langage de l’écureuil me serait-il soudain devenu accessible ?

— Oui et non ! Hi ! Hi ! Dit-il en se moquant de moi.

Je ne comprends rien à son petit manège et je perds royalement patience. L’animal doit le voir, car aussitôt, il s’explique :

— Tu me comprends, car je fais partie de l’espèce « télépathe ». Je sais lire dans tes pensées et je te donne accès aux miennes par ma seule volonté. Si je parlais à voix haute, tu ne me comprendrais pas, nous n’avons pas le même langage.

— Ah ! Ok ! Je comprends tout à présent. Merci pour tes éclaircissements Maître Écureuil Télépathe.

— Tu te moques de moi ? crie-t-il aussitôt dans ma tête ! Maître, je ne suis pas un maître, je suis un simple disciple. Un disciple, le seul et l’unique qui n’a pas froid aux yeux et qui ose affronter les géants à la peau lisse.

— … Les géants à la peau… lisse ?

— Les bipèdes, les géants, les humains, ceux de ton espèce, toi quoi ! Pfff je ne suis pas tombé sur la plus futée des géants…

— Je t’entends ! lui rétorque-je.

— Oups, pardon !

L’écureuil semble demander que je l’excuse et il fait une grimace qui je suppose doit être prise pour un sourire contrit. Il est bien mignon et je veux bien croire qu’il fasse partie du même monde que le mien, ainsi que la pomme. Et la lutine ?

— Faut vraiment tout t’expliquer à toi, rouspète mon nouvel ami télépathe. À ton avis, si la lutine est arrivée pile au moment où on allait se disputer la pomme, c’est que la pomme est… ?

— La pomme est… ? Quoi ? Il me demande de terminer la phrase ?

— Oui, banane, je te demande de terminer la phrase. C’est facile pourtant ! Simple comme un bonjour. La pomme, est pour la lutine, l’a…

— La pomme est l’amie de la lutine me communiqua l’écureuil en pensée. Toutes les pommes sont ses amies, les arbres aussi, les fleurs, les oiseaux … tout dans la nature est l’ami des lutins Je te rappelle qu’elle est venue pour que nous l’aidions. Et pour te rassurer, oui, nous faisons partie du même monde, celui de l’amour. Mais beaucoup l’ont oublié, perdu ou simplement donné. Nous avons été choisis il y a très longtemps pour l’aider à retrouver la clé du cadenas qui ferme la grille du monde des rêves. Tu te souviens, le gardien s’est assoupi et, à son réveil, la clé avait disparu ! Depuis, le monde des rêves est inaccessible. Et sans rêves, pas d’amour.

— Alors la pomme tu comprends mieux maintenant ? me dit la bestiole.

— Euh, non, je n’y comprends rien à votre histoire de clé, de pommes et de rêves. D’ailleurs, tout ça n’est qu’illusion ! Je parle avec un écureuil par télépathie et une lutine nous appelle au secours pour des rêves dont je ne me souviens même jamais !

— Justement ! surenchérit l’écureuil, c’est bien parce que la clé a disparu. Quand tu étais enfant tu ne te souvenais pas de ce dont tu rêvais ?

Oups, me voilà bien mal prise, il a raison ce vaurien, je me souviens que je rêvais souvent d’un jardin, un superbe jardin rempli de fleurs. De sublimes fleurs de toutes les couleurs, de toutes les senteurs, de toutes les douceurs. Et aussi une jolie balançoire sur laquelle je virevoltais, de grands arbres sur lesquels je grimpais auprès des oiseaux dont le chant me berçait. Il y avait aussi un cerisier énorme que j’adorais escalader. Je me souviens d’une fois, m’approchant de la fontaine … Ah on y est, me dit l’animal en me coupant dans mes douces pensées. Et ensuite, insista-t-il en se glissant sur mon épaule, que s’est-il passé ?

Allez, ne me regarde pas comme si j’étais un extra-terrestre, je suis juste un écureuil, juste un peu spécial car je n’ai pas peur de toi mais je suis simplement un gentil écureuil. D’ailleurs, je m’appelle Cannelle … tu me suis ? Pomme … Cannelle … Et toi, tu ne devines pas pourquoi on te prénomme Cléa ? … Clé-a ! … Parce que tu “as” le pouvoir de retrouver la “clé” !

Mais tu as besoin de moi, de la pomme et de la lutine, elle son prénom est Rêve … tu me suis ?

Rien de tout cela ne me paraissait logique mais … logique quand même. J’étais vraiment perturbée, rien à voir avec le confinement, j’étais confondue, perdue, emmêlée dans des milliers de pensées mais, au fond de moi, je sentais que Cannelle avait raison. Je réalisai soudain que cette petite peluche autour de mon cou était une fille. Elle capta, bien sûr, ma pensée et me regarda tendrement puis me dit, enfin, me pensa : tu sais, je suis une écureuil, toi une petite fille, Rêve une lutine et la pomme a la graine. Nous sommes toutes destinées à semer les rêves, les histoires, les contes, l’amour ! … Si nous ne retrouvons pas la clé, tout cela sera perdu et le monde sera gris, sans sourires, sans plaisir, sans imagination, sans histoires … sans rêves, sans amour. Tu le sais que cela a déjà commencé, tu ne rêves plus … et bientôt, tous les enfants du monde ne rêveront plus si nous ne récupérons pas la clé du cadenas.

Un long silence s’ensuivit, nous nous regardions, puis nous avons regardé Rêve, toujours assise sur la pomme. Elle nous adressa un grand sourire calme et apaisant, ses petites ailes d’or se mirent à battre doucement, ses grands yeux violets s’illuminèrent elle s’approcha doucement de nous et, en s’adressant à moi, elle chuchota : tu nous racontes ce qui est arrivé près de cette fontaine Cléa ?

« A la claire fontaine, m’en allant promener … » comment pouvait-elle savoir ? Était-ce donc écrit ? Gravé ? Oh mon dieu, comme cette simple question remuait en moi de multiples souvenirs … était-ce donc pour cela que j’étais devenue passeuse d’histoires ? Était-ce parce qu’un jour j’aurais à transcender ce statut d’adulte qui m’avait semblé si difficile à acquérir, pour me rendre compte que c’était l’enfant qui avait accompagné l’adulte et vivait toujours à travers lui qui était ma force ? C’était donc pour cela qu’à la question posée par un « géant à peau lisse », un jour, au bord d’un lac … en mangeant une pomme, une pomme, déjà … « quelle est ton super pouvoir ? » j’avais répondu « celui de ramener les adultes à l’enfance par le pouvoir des histoires » … cela me tomba dessus comme la foudre, un éclair traversant ma conscience : depuis toujours et à jamais ce sont les histoires qui sauvent le monde …

— « Oh, hé, la géante, ça va ? Tu en as mis un temps … » me réprimanda doucement Cannelle … tu nous raconte, la fontaine … je pense que c’est un indice « 

— « Ah, oui, la fontaine … bon … des dizaines de fontaines me passaient par l’esprit, des images en 3D … mais une seule chanson « à la claire fontaine … »

— « Ok, dis Rêve, rendez-vous à la claire fontaine », et, se drapant dans sa soie multicolore sortie tel un diablotin de son sac à dos, pfffffiuuuuuu, Rêve disparut.

Disparue…sans me laisser le moindre caillou blanc ! Sans la clé…pourrais-je retrouver le chemin de mes rêves ? J’étais embarquée dans une histoire sans fin !

A moins que…

Enfant, je rêvais souvent de cette fontaine les nuits de pleine lune, entre veille et sommeil. Ce n’était pas par hasard que la lutine était arrivée aujourd’hui !

Je m’allongeai sous le pommier, prête à traverser la toile tissée par les premiers rayons de lune pour rejoindre le monde de mon enfance.

Hop !

La fontaine gazouillait au milieu d’un champ de fleurs…des fleurs extraordinaires, dignes du pays de Philémon ! Celles-ci ressemblaient à de petits parachutes multicolores (tiens donc!), celles-là à des réverbères, d’autres encore à des serrures. Des diablotins couraient dans tous les sens à la recherche de la clé des rêves. Ils allaient la trouver avant moi et la cacher à jamais dans une grotte obscure !

C’est alors que je découvris une petite enveloppe, éclairée par une fleur réverbère, je m’en emparai…

Hop !

J’étais revenue au pied du pommier : la lutine sur mon épaule, Cannelle sur mes genoux. Une clé dépassait de l’enveloppe que je tenais encore en main, brillante sous les rayons de lune.

Nous en deviendrions les gardiens…

Quant aux diablotins, ils auraient beau la chercher partout, ils ne la retrouveraient jamais !

FIN


Pour la télécharger, c’est ici :