Jeu d’écriture : expression qui se mange

Pour le mois de février, Fabienne et moi avons joué à un petit jeu d’écriture. Ce mois-ci, je nous lançais comme défi d’écrire un texte à partir d’une expression qui se mange. Fabienne a été bien inspirée, elle en a trouvé des expressions !

Texte de Fabienne

En ce temps-là, nous partagions le même studio mon frangin et moi :  Mon frère Arthur avait un cœur d’artichaut. Il tombait amoureux à peu près chaque semaine et se faisait larguer au bout de quelques jours . C’était vraiment une bonne poire !

Moi j’observais tout ça mi-figue mi-raisin en espérant que ça finirait par lui passer ou plutôt qu’il trouverait l’âme sœur ! J’en avais marre de recoller les pots cassés.

Je rêvais ! un beau jour, Arthur rentra à la maison le cœur en fête. Il avait rencontré la  » femme de sa vie » précisa -t-il. Une fille adorable en tous points mais la pauvre était à la rue s’étant disputée avec ses parents.  Pas bien grave, il allait la ramener chez nous, elle partagerait notre trois-pièces. Alors là, la moutarde me monta au nez, j’étais rouge comme une écrevisse.  J’explosai littéralement de rage :  » Et moi je compte pour des prunes !? il serait vraiment temps que tu mettes du beurre dans les épinards ! N’oublie pas que c’est moi qui paye le loyer, je suis aux petits oignons avec toi. Si tu ramènes cette fille, tu peux être sûr que ça va tourner au vinaigre et vous serez deux  à être à la rue. Tu veux le beurre et l’argent du beurre c’est ça ?  et vivre comme un coq en pâte avec ta dulcinée!  Il va falloir apprendre à ne pas manger ton beurre avant ton pain mon grand ! »  Après une telle tirade je pensais qu’Arthur renoncerait à ses beaux projets. Effectivement il retourna dans sa chambre et je ne l’entendis ni ne le vis guère durant le week-end. Le lundi quand je rentrai du boulot, je trouvai un mot sur la table qui m’était adressé :  » Ma vieille, contrairement à ce que tu crois je ne t’ai pas roulée dans la farine.  Bien au contraire, je t’invite à manger chez mes (futurs) beaux-parents où je me suis installé avec ma fiancée. »  Punaise, c’était la fin des haricots ! Mon frère avait bien tiré ses marrons du feu ! Je me mis à pleurer comme une madeleine, j’étais seuuuule ….


Quant à moi, j’ai eu du mal à démarrer. Je n’aurais pas dû lire le texte de Fabienne avant d’avoir écrit le mien ! Car je me suis retrouvée un peu bloquée. Finalement, ce n’est qu’au début du mois de mars, que l’ampoule s’est allumée dans ma tête : une idée !

Mon texte : avoir les yeux plus gros que le ventre

Je lève les yeux
Dans le ciel un rapace
Bientôt le printemps

Dans le ciel, un rapace. Il vole par à-coups. Périmètre de vol nettement déterminé. Il cherche à manger.

Dans le ciel, un rapace. C’est bientôt le printemps. L’hiver n’est pas parti. Le vent est froid. Mordant. Piquant. Cinglant.

Dans le ciel un rapace. Un rapace diurne. Un rapace affamé. Un rapace à observer.

Dans le ciel, un oiseau. Haut comme trois pommes, rapide comme l’éclair, l’oiseau a l’estomac dans les talons. Son dernier repas, une grive chétive, remonte à la veille.

Dans le ciel, un oiseau. Il est beau. Il est rapide. Il a faim !

Une expression humaine qui lui colle aux plumes : avoir les yeux plus gros que le ventre.

Dans le ciel, un oiseau. Un épervier. Un mâle. Chez cette espèce, les mâles sont plus petits que les femelles. D’habitude, c’est l’inverse. Ici, c’est un mâle. Aussi grand qu’un pigeon. En plus fin. En plus élégant. En plus coloré. Joues rousses. Yeux orange.

Sa spécialité : la chasse aux petits oiseaux. Son régime alimentaire est composé à 98% d’oiseaux ! De petits à moyens, jusqu’à des piafs plus grands que lui ! En matière de vol, de maîtrise du vent, de navigation, de connaissance du gouvernail, il sait y faire.

Pas très haut dans le ciel, le bel épervier a remarqué sa proie. Un pigeon. Domestique. Banal. La future victime est aussi grise que lui. Le pigeon, qui lui est un estomac sur pattes, grignote à tout bout de champ. Ce pigeon-ci ne fait pas le fin bec. Il a trouvé par-là, sur la rue, quelques miettes à manger. Miettes et restes balancés négligemment par la porte d’une voiture.

Au sol, tout à son affaire de nettoyeur de rue, le pigeon ne prête aucune attention au danger qui vient d’en haut. Un œil de chaque côté de la tête, il regarde de temps en temps ce qui se passe à son niveau, tantôt à gauche, tantôt à droite.

Sur les trottoirs, dans un arbre, des pies. Sur les trottoirs, dans un arbre, sur des branches dénudées et coupées, quelques pies observent, curieuses, la scène de la Vie. Les arbres des alentours font d’excellents perchoirs. C’est comme au cinéma, mais en plein air. C’est comme au cinéma, mais en direct. C’est comme au cinéma, mais sans caméra. Et les acteurs et les actrices sont de véritables oiseaux en chairs et en plumes.

Sur les trottoirs, dans un arbre, les pies vont-elles assister à un navet ?

Nous avons dans les airs, un épervier affamé. Nous avons dans la rue, un pigeon glouton. Nous avons dans les arbres, des pies qui jacassent.

Les pies jacassent comme seuls les corvidés savent si bien le faire. Les corvidés, la famille des plus grands passereaux : bec costaud et pattes robustes les caractérisent. Les corvidés, qui vont de la pie, en passant par le geai, jusqu’au corbeau, sont plus d’une centaine d’espèces. Ce sont sans doute les oiseaux les plus intelligents, les plus joueurs, les plus fascinants à observer, à étudier. On pourrait même les apprivoiser.

Dans l’arbre, des pies. Elles sont trois. Elles patientent. Elles attendent. Elles tuent le temps. Elles poireautent et font des pronostics :

  • Trois contre un pour l’épervier, dit l’une.
  • Pour sûre, ce pigeon va bientôt manger les pissenlits par les racines, enchérit une autre.
  • C’est la fin des haricots pour lui, conclut la troisième.

À force de parler nourriture à tout va, une corneille qui passait par là les interrompt le plus poliment du monde :

  • Mesdemoiselles, vous m’en donnez l’eau aux mandibules. De qui, ou de quoi parlez-vous ?

Les pies et les corneilles ne s’entendent pas toujours. Un peu comme « chien et chat ». Parfois, ça cause ensemble, parfois ça se vole dans les plumes. Parfois, c’est pire. Mais ça, c’est une autre histoire.

  • Oh, ça va, l’asperge ! Ne ramène pas ta fraise ici. Cela ne te regarde pas !
  • Ouais, c’est pas tes oignons. Dégage !
  • Du balai, ouste, espèce de charbon de bois mal dégrossi !

Les pies n’ont pas leur langue dans leur bec. La corneille est vexée. La discussion part en sucette. Elle n’a rien vu venir. Elle ne leur a strictement rien fait, si ce n’est leur adresser la parole. Vexée, elle s’en va à tire d’ailes. Elle ne tient pas à pleurer comme une madeleine devant ces pimbêches grossières et mal élevées.

Malheureusement pour elle, la corneille s’est tirée un rien trop tôt. La plus fabuleuse des scènes d’action de ce cinéma en plein air commence… maintenant !

Ni vu ni connu, l’épervier, que rien de tout cela n’a perturbé, a replié ses ailes, a foncé pattes tendues, serres écartées sur son objectif. Aussi vif que l’éclair, aussi précis qu’une calculatrice, aussi déterminé qu’affamé, il n’a laissé aucune chance à sa proie.

PAF ! Les serres pointues se sont enfoncées dans sa nuque et dans son dos.

PAF ! Le bec crochu et puissant a brisé la colonne cervicale. 

PAF ! Le pigeon est mort. Rapidement. Presque sur le coup. Les haricots sont cuits pour lui. Cuic-cuic.

Les pies en restent bec bé :

  • On peut pas repasser la scène au ralenti ? Parce que non, quoi, j’ai pas bien vu, dit l’une, en faisant des yeux de merlan frit.
  • Punaise ! dit une autre, le pigeon n’a pas l’air dans son assiette !
  • Aïe, vlà une bagnole. On remet ça ? Qui parie ? Deux crêpes pour le prix d’une ? dit la troisième qui évalue déjà les chances du rapace de s’en sortir… ou pas.

En effet, une voiture arrive au loin.

Malheureusement pour le spectacle des pies, et pour leur pari, c’est une conductrice amoureuse des oiseaux qui est au volant de l’engin roulant.

Avant que la voiture ne freine, une des bavardes envoie une vanne pas piquée des vers :

  • L’épervier est comme qui dirait tombé sur un os.

Et les trois pies de rires à gosier déployé.

Pendant ce jacassement à casser les oreilles, l’épervier a vainement tenté d’emporter sa proie. Hélas, l’expression « avoir les yeux plus gros que le ventre » se vérifie pleinement ici. Les pattes puissantes du rapace et les coups d’ailes tout aussi puissantes n’arrivent même pas à décoller le pigeon ensanglanté de la rue. La proie est bien trop lourde pour le frêle épervier. Ce dernier est obligé d’abandonner son butin sur place.

Ce n’est pas demain la veille que notre rapace prédateur d’oiseaux prendra de la brioche !


Je voulais vous mettre une photo de l’épervier que j’avais faite après être rentrée et avoir déposé mes affaires. La scène à laquelle mon fils et moi avons assistée pour de vrai (j’étais la conductrice de la voiture dans le texte) s’est déroulée à une trentaine de mètres de notre maison, dans notre rue. J’ai donc mis quelques minuscules minutes à rentrer, déposer mes affaires, prendre mon appareil photo et ressortir à pied. J’ai donc cru naïvement que le rapace qui était dans le ciel à voler en décrivant de larges cercles au-dessus de la proie morte, était « notre » épervier. Comme les photos n’étaient pas géniales, jamais l’oiseau ne s’est posé ou est descendu à un niveau suffisamment bas pour faire une belle prise photographique, je n’ai pas téléchargé les photos sur mon ordi. Jusqu’à ce jour où j’ai écrit le texte. Et là, une grosse surprise m’attendait !! J’ai d’abord cru que j’avais la berlue. Que je m’étais trompée en identifiant le rapace devant ma voiture. Heureusement, je n’étais pas seule. Mon fils m’a dit deux choses quand je lui ai demandé s’il se souvenait du rapace observé quelques jours plus tôt :

  1. c’était bien un épervier (moi je pensais à un mâle à cause de la taille, mais lui me certifie que c’était une femelle à cause des couleurs grises)
  2. il y avait sans doute deux rapaces ce jour-là, deux rapaces différents !

En effet, cette affirmation ne m’a pas effleuré l’esprit. Obnubilée que j’étais sur le rapace dans le ciel, jamais je n’ai pensé une seule fois qu’il pouvait y avoir un autre rapace intéressé par le pigeon, par la proie…

En photo donc, un Faucon pèlerin !

La preuve que je n’y pensais pas, j’ai renommé toute la série des photos « épervier Mehagne » ! Ci-dessous des liens vers un super site d’oiseaux pour vous montrer la différence. En visionnant mes photos, j’ai remarqué en effet le masque noir sur la tête de l’oiseau et la forme de ses ailes, qui ne correspondaient pas à celle de l’épervier !

L’Épervier d’Europe sur le site oiseaux.net

Le Faucon pèlerine sur le site oiseaux.net

Cela me fait penser au conte « L’Épervier et le Vautour » de Allassane Sidibé, que j’ai adapté à ma sauce et conté pour la première fois l’année passé.
Clic ici pour entendre ce conte avec la voix d’Allassane.

Avoir les yeux plus gros que le ventre

Avoir les yeux plus gros que le ventre

Maman me dit toujours que j’ai un appétit d’ogre. Et c’est vrai ! Il n’y a que quand je suis malade que je ne mange pas. Cela en est d’ailleurs le premier symptôme. C’est mon manque d’appétit qui met la puce à l’oreille de maman quand je commence une maladie. En effet, comme beaucoup d’enfants, j’ai parfois de la fièvre, et malgré cela, je me sens en pleine forme.

 Aujourd’hui est un grand jour. Je suis à présent assez grande pour chasser toute seule mon repas ! Quel événement !

Dès mon réveil, à l’aube, j’imagine un plan d’enfer pour capturer mes proies.

 Mon fil de soie est très fin, solide et transparent. J’ai tellement d’énergie en moi que je m’attèle à un travail d’hercule, je construis une toile aussi grande que la niche du chien qui est dans ce jardin. Oui bon, c’est un petit chien, n’empêche, ma toile est gigantesque. Titanesque. Grandiose. En un peu plus d’une heure, elle est fin prête, une jolie forme triangulaire avec un cercle parfait au milieu. Le tout avec une vingtaine de rayons. Et cela avec environ trente mètres de fil.

 – Quel beau travail ma fille, me félicite maman dès qu’elle revient de sa balade près du gazon, au niveau du sol.

– Merci maman, mais viens au centre avec moi, j’ai hâte d’attraper ma première nourriture, je lui réponds en souriant.

Elle et moi on se met l’une contre l’autre, au milieu de ma toile diabolique, là où c’est très solide et non collant.

 Rapidement, un bourdonnement attire mon attention. Un bzzzz régulier, un bzzz que les humains détestent. Je n’ai pas une très bonne vision mais je distingue quand même un insecte jaune et noir au dard méchant qui volette près de ma toile.

 – Eh le mille pattes, tu crois que je te vois pas peut-être ? se moque la guêpe en parlant de la patte de maman qui tremble involontairement.

– D’abord, madame je sais tout, on est pas des mille pattes mais des araignées ! Si tu sais compter un peu, on a juste une paire de pattes en plus que toi, rétorque-je en rouspétant.

– Ouais bon, mais si tu comptes m’attraper pour que je te serve de petit déjeuner, va falloir te lever un peu plus tôt. On distingue ta toile à des kilomètres… t’as encore du pain sur la planche, crois-moi !

 Il n’en fallait pas plus pour que cette petite enquiquineuse me pousse à bout. Dare-dare, je cours sur le fil de ma toile pour lui dire de plus près ma façon de penser.

– Laisse-là, mon araignénounette, me crie maman, elle n’en vaut pas la peine, tu gaspilles ton énergie pour rien, reviens, y aura bien une autre idiote pour tomber dans ta magnifique toile.

 Mais maman n’en dit pas plus, car la guêpe s’envola en marche arrière et heurta le fil supérieur de mon piège. Ce petit frôlement suffit à faire vibrer toute la toile, surpassant de loin les petits tremblements de pattes de maman.

HA HA HA ! Le rire est sorti spontanément. Il ne faut pas grand chose pour s’emmêler les ailes ou les pattes… et plus l’insecte stupide se débat, plus elle fait des nœuds et moins elle a de chances de s’en sortir.

Je m’arrête de bouger et l’observe avec des yeux presque doux. Le fil colle à son corps comme de la glu et la victime – que j’aime ce mot si délicieux dans ma bouche – a beau battre vigoureusement de son aile encore libre, elle ne fait que monter et descendre un peu comme dans un saut à l’élastique. La seule grosse différence entre un bête élastique et mon fil, c’est que le mien est ultra-solide, aussi résistant que tu métal.

 La guêpe s’affaiblissait rapidement, c’est elle qui gaspillait inutilement son énergie ! Je tirai un peu sur mon fil pour lui montrer qu’à présent je la maitrisais parfaitement et que sa vie était désormais entre mes huit pattes.

 – Pitié, pitié, excuse-moi, laisse-moi m’en aller. Pardon, pardon. Je ne dirai plus jamais de mal de vous, vous êtes très intelligentes et très fortes. S’il te plaît, laisse-moi m’en aller et tu ne me reverras plus jamais, me suppliait mon repas.

– Trop tard. Ta maman ne t’as jamais appris à tourner sept fois ta langue dans tes mandibules avant de parler ? De toute manière, c’est toi qui t’es fourrée dans ce guêpier, enfin dans cette toile, toute seule. Il ne faut t’en prendre qu’à toi-même.

 J’attendais encore un peu pour être certaine qu’elle n’avait pas la possibilité de se retourner et de me tuer avec son dard. Quand elle ne donnait plus signe de forces, je passais sur le rayon suivant pour l’approcher par derrière. D’un coup de mandibule, je lui pince le cou et la paralyse pour de bon. Je l’emballe très vite, comme j’ai souvent vu ma maman le faire. Il faut faire très attention à cet emballage car ce serait dommage que j’en perde une miette quand je me mettrai à table.

 Quand je reviens au centre de la toile, maman me regarde bizarrement.

– Tu as les yeux plus gros que ton ventre mon araignénounette ! Comment vas-tu faire pour ingurgiter tout cela maintenant ? Tu en as pour une semaine.

– J’ai une faim de loup maman, tu me connais, j’en aurai juste assez pour ce matin, et ce soir si j’ai encore un petit creux.