Gazoline Tango de Franck Balandier

Un avis de lecture avant la fin de ma lecture !
Benjamin souffre d’hyperacousie. Une douleur fulgurante transperce ses oreilles, vrille ses tympans et s’installe dans son crâne à la moindre occasion. Et cela ne se voit pas. On le prend tantôt pour un fou, tantôt pour un bizarre, tantôt pour un malade. Il est né ainsi et les médecins ne savent pas vraiment ce qu’il a. Alors, pour tromper ces horribles sons qui éclatent, qui arrachent, qui explosent, l’enfant reçoit très tôt un casque anti-bruit de sa Mémé, une vieille voisine veuve qui cultive de l’herbe qui fait rire et qui sens la pisse.
C’est son histoire ici qui est racontée, détaillée : la naissance de Benjamin, sa croissance, sa vie jalonnée par les bruits.
Les récits alternent des chapitres écrits en « je » et en « il », spectateur de sa vie, narrateur extérieur. On découvre Benjamin ou Donald, depuis sa naissance jusqu’à ? (il a plus ou moins vingt ans là où je suis arrivée). Né d’une mère batteuse, punk, trop jeune et qui n’en a rien à faire d’un gamin, il grandit sans père et avec une mère qui brille par son absence, mais avec des parrains et marraines pris sur le tas, au détour de sa route de croissance… Il grandit dans un quartier pauvre, il étudie par correspondance, il essuie remarques et insultes.
Heureusement, Benjamin est très intelligent et débrouillard. Grâce à toutes ces personnes spéciales qui l’entourent, il va suivre un chemin, un bon chemin, un chemin qui le conduira à aimer à sa manière, à être aimé.
Il y a des livres qui vous volent des heures, des histoires qui vous prennent aux trippes alors qu’au départ, c’est juste de la curiosité, un attrait particulier pour un thème, pour une région, pour un personnage, pour… Dans cette histoire – que je n’ai pas terminée mais bientôt – je savoure les chapitres, les images naissent et passent devant mes yeux comme le paysage quand je suis dans un train. Je les vois, j’aime et puis il y en a déjà d’autres qui se suivent.
Dans ce livre (numérique, reçu gratuitement durant le confinement), il y a de l’amour, de l’amitié, des mensonges, de la violence, de la drogue, on y parle aussi de religion, de musique, de travail, de pauvreté et de correspondance.
Extrait 1 :
Quand il avait fini de rire bêtement, il levait les yeux au ciel, là où tout à l’heure les notes de musique de son harmonium étaient venues s’éclater comme des bulles de savon, il restait comme ça, sans bouger, il voyait des trucs. J’aurais bien voulu voir, moi, ce qu’il voyait justement, parce que quand je lui demandais de me raconter, il prétendait seulement que là-haut, pour l’instant, il n’y avait rien à voir, circulez, et que ce qu’il y avait de collé au plafond, c’était juste son âme, comme une crêpe ratée à la Chandleur.
Extrait 2 :
Il faut que ça danse. C’est fait pour danser, les mots. Même si on n’y comprend rien.
Il avait raison : des fois, souvent même, je n’y comprenais rien.
Tu te fiches de ce que ça raconte. Pour l’instant tu écoutes juste la musique que ça fait. Voilà ce qui compte.
J’ai appris à lire et à écrire de cette façon. Avec des mots pleins les oreilles. Ceux-là ne m’occasionnaient aucune souffrance. Jamais. Comme les notes du père Germain, à l’harmonium. Pareil. Des bulles de savon qui éclataient sans bruit, sans rien déranger à l’intérieur de moi. Des choses qui remplissaient. Pour plus tard.
Extrait 3 :
Isidore confessait après son travail à la clinique des Glycines. (…)
Il en avait aussi profité pour moderniser les prières habituelles qu’il trouvait, selon ses propres termes, ringardes. (…)
Au début, les gens avaient paru un peu déconcertés. (…) il avait été question de réciter en rémission de leurs péchés, deux Le corbeau et le renard plutôt que deux Je vous salue Marie et trois Le lièvre et la tortue plutôt que trois Notre-Père. (…)
Suivaient quelques recommandations de bon usage et de correspondances entre l’ancienne coutume et la nouvelle. Ainsi, l’on y apprenait que Le héron remplacerait dorénavant avantageusement la prière de l’acte de contrition, La cigale et la fourmi le Credo, Le rat des villes et le rat des champs le confiteor, Le chêne et le roseau le Gloria.
