Mon ami l’arbre, jeu d’écriture dans les bois

Pour ma deuxième participation aux ateliers d’écriture dans les bois, animés par Isabelle de Time to C’ink, voici mon texte, retravaillé chez moi.

Pour ce soir d’écriture dans les bois, un extrait d’un texte de Le Clézio a été partagé à haute voix. J’ai naturellement embrayé sur le style tout en y apportant bien sûr ma touche personnelle.

J’ai choisi un arbre, un sapin, et Isabelle m’a offert quelques infos pour guider mon écriture : spiritualité, fluidité du lien, espoir, don, générosité, résistance, résilience


Mon ami l’arbre

Sylvestre, j’ai fait sa connaissance il y a tout juste dix ans. J’avais alors deux ou trois ans et, avec mes parents et ma sœur, nous venions d’emménager chez lui. Enfin, nous avons pris possession des lieux, de la maison et du jardin. Pas de Sylvestre. Sylvestre habite dans le jardin. Il est grand. Il est vert et brun. C’est un sapin. Sylvestre est un immense arbre. Il est le gardien de la maison.

Les précédents locataires nous ont raconté qu’il devait bien avoir 128 ans. Ça peut vivre très vieux un arbre. 128 ans pour un arbre, c’est grandiose ! C’est très vieux, et pas tant que ça. À l’école, j’ai appris que les arbres pouvaient vivre bien plus longtemps. Jusqu’à 4000 ou même 5000 ans.  Si on, les humains, on les laissait vivre. Si on ne les coupait pas. Si on les laissait grandir. Si on s’occupait d’eux. Si on les soignait quand ils tombaient malades.

Je veux donc bien croire que Sylvestre a 128 ans. Il est immense. Majestueux. Un vrai roc. Sa cime flirte avec les nuages. Bon, j’exagère un peu, mais il doit bien mesurer une dizaine de mètres de hauteur. Comparé à ma taille de nain de jardin, il a la tête dans les étoiles notre gardien ! Si un enfant peut grandir de 6 à 12 centimètres par an, je peux facilement m’imaginer qu’un arbre dont la croissance est infinie, peut très bien pousser de 12 à 18 centimètres par an. Non ?

Sylvestre, c’est mon ami. Il est mon confident. Mon guide. Conseillé à ses heures perdues, il a un langage qui lui est propre. Une voix caverneuse, gutturale. Il mâche ses mots et les consonnes sont littéralement hachées, voire étouffées, dans ses crissements, dans ses craquements voyellisés.

Il me conseille, il m’accompagne dans la vie de tous les jours. J’avoue ne pas toujours respecter son avis ou ses avertissements. Je ne suis qu’un enfant. Un adolescent buté qui, je le reconnais, ne suis pas facile à vivre tous les jours. Ses conseils, il me les donne quasi tous les soirs, quand, au printemps et en été, quand il ne pleut pas comme vache qui pisse, je peux rester des heures assis à ses pieds. Assis à lui parler, à me confier à lui, à lui poser des questions. Quand il est sûr que de vilaines oreilles ne traînent pas tout près, il me chuchote des mots, il me recommande une action, il m’encourage à faire ou à taire des choses.

Au début, quand nous avons fait connaissance, je ne comprenais vraiment pas bien ce qu’il me baragouinait. Il bredouillait ses sons incompréhensibles à mes oreilles, ses bras branchus en mouvement parasitaient le bruit environnant et couvraient sa voix éraillée, piquante, stridulante. Je me souviens qu’il m’a fallu longtemps avant de le comprendre enfin. Voyez-vous, Sylvestre s’exprime par expressions ! Il répète et répèpète les jeux de mots qu’il entend de-ci, de-là.  

Cette maison a été construite dans les années soixante. Elle n’a jamais connu aucune propriétaire, que des locataires. Elle a été construite par un architecte, qui n’y a jamais habité, pas plus que ses enfants ou les enfants de ses enfants. Pourquoi ? Je l’ignore. Toujours est-il que Sylvestre a connu pas moins de douze familles avant la nôtre. Nous sommes la treizième à occuper son territoire. A le voir grandir, s’épanouir, gémir sous le vent et la pluie. Les treizièmes locataires à le côtoyer. Je suppose que toutes ces gens n’étaient pas des spécialistes en expressions, mais en autant d’années, il a certainement dû en entendre des vertes et des pas mûres. Il les a emmagasinés, tous ces jeux de mots et drôleries d’humains, les a mis en aiguilles dans son tronc, les a bien tenus au chaud sous son écorce rugueuse pour pouvoir les ressortir un jour à quelqu’un comme moi qui le comprenait.

Pour vous donner un exemple, voici ce qu’il m’a dit quand j’étais tout petit. C’était la première fois que je l’entendais parler, me parler. Je venais de m’écorcher le genou en tombant sur le chemin de pierre devant la maison. Je pleurais de plus en plus fort, car un petit peu de sang perlait de ma plaie égratignée :

« Sèche donc tes larmes de crocodile, petit, et viens donc voir par ici. »

Sylvestre avait penché sa chevelure verte pour me parler. Du moins, c’est ce que j’en ai en souvenir. Aujourd’hui, je ne suis plus très sûre qu’il ait pu se pencher de la sorte, mais soit.

Évidemment, je n’avais rien compris. Entre ma morve qui coulait, mes yeux humides qui m’empêchaient de bien entendre et ma bouche qui vomissait des cris aigus, j’ai interprété quelque chose comme ça :

« èèèèsse on è aaaame e oo-oo-iile, eu-i, é hein on oi ar i-iii »

Et puis, par je ne sais quel miracle, un lien s’est formé dans ma tête. Un lien, un choc, une ficelle, un déclic, un éclair. Appelez-ça comme vous voulez. J’ai cessé de pleurer immédiatement. Intrigué par cette voix que j’étais, semble-t-il, le seul à entendre. Dans ma tête, une connexion s’est formée. Une traduction automatique. Et j’ai tout compris. Fluide comme si c’était maman qui m’avait consolé. Aussi clair que de l’eau de roche !

Depuis ce jour, lui et moi, on est devenus les meilleurs amis.

Image par WikimediaImages de Pixabay

Atelier d’écriture : recueil collectif

Entre septembre 2022 et avril 2023, j’ai donné une quinzaine d’ateliers d’écriture dans une résidence pour adultes souffrant de troubles psychotiques.

Retour en chiffres :

  • 6-12 participants
  • âgés entre 40 et 60 ans
  • 2 fois par mois, durant 8 mois
  • 1 recueil collectif
  • livre de 84 pages, au format A5
  • 12 000 mots (environ)
  • 56 700 caractères (environ, sans les espaces)

Et toutes ces histoires, tous ces poèmes, ces chansons, ces textes, ces milliers de mots, ce sont eux qui les ont écrits !

Écrire à la main, ce n’est pas si facile. Nous écrivons beaucoup sur notre smartphone, avec le clavier de notre ordinateur et beaucoup moins dans un cahier. Le geste d’écrire, puis de se relire, est un exercice difficile pour certains.

Écrire nos pensées, nos idées, écrire cette petite musique qui joue dans notre tête, écrire ces dialogues, ces souvenirs, ces rêves, ces images fugaces qui ne se figent pas, n’est pas évident.

Et pourtant, ils l’ont fait ! Avec le sourire. Avec des rires. L’envie n’y était pas toujours. La fatigue était souvent là. Les microbes aussi. Mais la motivation a dépassé tout cela. Le désir de donner vie à leurs mots, de raconter une histoire, leur histoire, a été le plus fort.

Une première expérience très enrichissante humainement, émotionnellement, créative, dynamique et… fatigante pour moi.

On remets ça en septembre 2023 :-)

Atelier d’écriture dans la forêt

Atelier d’écriture ce mercredi soir, dans les bois, pas trop loin de chez moi.

Un vrai plaisir d’allier balade dans la nature et écriture, en compagnie d’un petit groupe bien sympathique et d’une animatrice douce et souriante.

Mes traces à moi, en mots et en photos :-)

La nature et l’écriture
Ce sont des bulles d’air,
C’est mon oxygène, ma liberté.

Par beau temps,
En ce printemps fleurissant,
J’aime entendre les oiseaux chanter,
Les feuilles des arbres murmurer.
Faire abstraction du bruit.
Marcher, me ressourcer dans le vert
Gazouillis et pépiements au grand air
Profiter de l’instant présent
Ici et maintenant.
Voir un héron cendré
Haut dans le ciel et le photographier
Croiser une grive draine à l’entrée du bois
Et tout oublier de sa journée, oui, j’y crois

  • Le pinson pousse la chanson
  • La toile au sommet des fines branches à une histoire d’araignées à nous raconter
  • Au croisement des feuilles, il y a un secret à trouver.
  • Dévoile la toile et perce le mystère.
  • Entrelacs de branches
    des nœuds naturels
    lianes montantes
    grimpantes
    des liens
    un tricot de liens de bois
    un tissage a l’air très sage
  • Jeux de lumière
    chemin du soleil
  • Angle à 90 degrés
    petit arbre tout cassé
    que s’est-il passé ?
    que t’est-il arrivé ?
  • Champignon blanc esseulé
    solitaire, isolé, abandonné
  • Cric
    Crac
    ça crique et ça craque
    sous nos pas, des traces
  • Deux petits sapins
    deux frères
    deux Noëls oubliés
    perdus, à sauver !
  • Chemin tout tracé
    autour, partout, de la vie !
    Vie discrètes
    parmi elle, une note différente
    se fait entendre
  • Invitation à grimper les échelons du bonheur
  • Au bout du fil, il y a la vie qui pétille

Toile
Des maisons, un toit, un refuge, un garde-manger.

Toile
Elle se tisse, elle se hisse, elle se fixe.

Toile
Pour la vie, pour la mort, elle se tricote, elle se défait, elle se peaufine, elle se répare.

Toile
Témoignage de présences, de vies grouillantes, trépidantes, galopantes.

Toile
Des visages, des corps, des pattes et des yeux dissimulés, cachés, à l’affut, à l’abri.

Toile
Comme un voile, une protection. Comme une arme, une sécurité.

Toile
Tissage, métissage, la broderie d’une vie ; d’une leçon à apprendre

Toile
C’est la patience, c’est le travail, c’est un piège, c’est un foyer.

Toile
Rapidité, précision, ingéniosité si simple, si naturelle.

Toile
Solidité, finesse, délicatesse, géométrie à reproduire.

Toile
Ressemblance et différence. Fascination et répulsion

Atelier d’écriture : le corps humain

Lors de mon dernier atelier d’écriture créative, les participants ont demandé à écrire sur le thème du corps humain.

Nous avons ainsi appris que nous naissons avec bien plus d’os (350) que nous en avons à l’âge adulte (206). Que nous perdons environ 80 cheveux par jour, mais que ceux-ci peuvent pousser jusqu’à 20 cm sur une année. Que sourire est bien plus facile que de tirer la tronche, en effet, nous mobilisons seulement 20 muscles pour sourire, mais 40 quand on fronce les sourcils ! Mais ce qui nous a surtout surpris, c’est la vitesse à laquelle un éternuement a été enregistré : 165 km/h. Cela dit, nous avons donc ainsi compris pourquoi il est mauvais de se retenir d’éternuer ;-)

Je n’écris pas tout le temps avec eux, car je suis surtout là pour les aider (adultes en situation de handicap – ici psychologique et psychiatrique). Mais jeudi passé, j’ai eu l’occasion d’écrire un petit quelque chose, car tous ont été inspiré pour écrire et ils ont eu moins besoin de mon aide.

J’ai envie de vous partager ce petit texte qui est venu tel quel. Poème, chanson ou texte libre, à vous de choisir ;-)

Je me suis fait renverser à 12 ans

Une déchirure,
à vélo,
du métal dans la cuisse,
un gros bobo qui fait mal.

En plein été,
il fait beau, il fait chaud,
c’est la course des vélos,
avec plein de copains.
Y avait un trophée à gagner
et c’est moi qui l’ai remporté.
Oui, j’ai gagné l’auto,
mais j’ai perdu l’vélo.

Une déchirure dans la cuisse
en forme de V,
comme les oiseaux en vol
en formation dans le ciel,
et dans les yeux une pluie d’étoiles
et dans ma mémoire une absence de choc.
Un oubli, une pluie,
un bruit et c’est fini

Une déchirure dans la cuisse
en forme de V,
9 points de suture ça a nécessité
de peu à la greffe j’ai échappé
la peau racrapotée, ils ont pu récupérer.

Habillée légèrement, j’étais à vélo
et j’ai rencontré une voiture.
Elle était rouge
il était bleu.
La plaque d’immatriculation
dans ma cuisse dénudée
est rentrée sans façon
j’me souviens, c’était l’été.

Jeu d’écriture : écrire la suite (Noël)

Pour mon prochain atelier d’écriture, j’ai imaginé, entre autres jeux, une invitation à écrire la suite d’un début d’une histoire. Comme Noël s’approche à grands pas, l’histoire se passe à Noël. Avec Papa Noël plus exactement.

Je le mets dans trois étranges situations :

  1. Le Père Noël n’échappe pas à la crise. Il a dû déménager dans une toute petite maison pour pouvoir payer les factures du chauffage, car ici, au pôle Nord, qu’est-ce que ça caille ! Il ne peut pas se passer de chauffage.
    C’est le soir de Noël. De ses petits lutins, il a reçu tous les cadeaux commandés par les enfants sages. Et ce n’est qu’aujourd’hui, ce soir, quand toutes les commandes sont terminées, qu’il se rend compte que sa nouvelle maison est bien trop petite pour tous les contenir. Qui dit nouvelle petite maison, dit nouveau petit traîneau !
    Que va-t-il faire ?
  2. Atchoum ! Flute ! Le Père Noël est malade. Il a la grippe. Et c’est ce soir qu’il doit distribuer les cadeaux. Qui va pouvoir l’aider ? Et surtout comment ? Car les rennes du Père Noël n’obéissent qu’à leur seul maître.
  3. C’est le soir de Noël. Cette année est une année particulière, car le Père Noël a décidé de récompenser les adultes qui ont été bien sages aussi. Malheureusement, quand il a fini de distribuer les cadeaux aux enfants et qu’il rentre chez lui pour aller chercher les cadeaux des adultes, il se rend compte qu’il a été cambriolé. Que va faire le Père Noël ?

Avec son accord, voici ce qu’à imaginé Fabienne qui a reçu en avant-première les propositions du jeu. Elle a choisi le début numéro 2.
J’adore sa suite ! J’espère qu’elle sera inspirée pour jouer à un autre jeu :-)

Atchoum ! Flute ! Le Père Noël est malade. Il a la grippe. Et c’est ce soir qu’il doit distribuer les cadeaux. Qui va pouvoir l’aider ? Et surtout comment ? Car les rennes du Père Noël n’obéissent qu’à leur seul maître.

Au fait était-ce bien la grippe ? Pas le covid ?! Il n’avait plus d’autotest à domicile et en cette veille de Noël, les pharmacies étaient fermées. Donc grippe ou pas grippe, covid ou pas covid, pas question d’aller contaminer tous les enfants ! Qu’aurait-on pensé de lui ? ! 

– Et mes rennes ! Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas vraiment m’aider et aller seuls ? si je vous file les adresses , ça devrait aller non !? « 

-Pas question, depuis la nuit des temps c’est toujours toi qui nous a guidés. Ce n’est pas maintenant que ça va changer. Nous on va se coucher ! « .

Père Noël mit un dafalgan dans un verre d’eau fraiche. Ah cette migraine qui lui battait les tempes !  

– Oups ! idée et si je demandais à mon vieux pote Saint-Nicolas de m’aider. J’ai toujours bien son numéro ! Aussitôt dit aussitôt fait ! Mince c’était le répondeur sur  le portable de Saint -Nicolas : « je ne suis pas disponible en ce jour de réveillon, veuillez vous adresser au Père Noël. »  Père Noël laissa quand même un message : « Rappelle-moi STP, la Noël des enfants dépend de toi! »

 A qui d’autre s’adresser ? La poule de Pâques et ses cloches ?

– dring, dring, Bonsoir la poule de Pâques, c’est le Père Noël. J’ai absolument besoin de toi pour porter les cadeaux de Noël aux petits enfants ! Tu peux m’aider ? 

-Tu rigoles Père Noël ! On est en décembre ! Je vais mourir de froid et mes cloches aussi, c ‘est totalement exclu ! 

 Zut et rezut, Père Noel s’apprêtait à mettre un second dafalgan dans son verre d’eau fraiche quand son portable se mit à sonner. 

– Et salut c’est Nicolas le grand saint . J’ai vu que tu m’avais laissé un message. T’es pas en train de livrer ? il est déjà tard !  » 

-« C’est la cata ! je suis malaaaade et les rennes ne veulent pas y aller sans moi ! tu n’aurais pas une idée ? »

– « Je pense à quelque chose . Tu  connais bien le Père Fouettard,  celui m’accompagnait avant (maintenant il ne peut plus).  Il a toujours adoré les animaux et son rêve c’est de  conduire un traineau. »

– Ben je suis pas sûr que. ..

– Rien ne coûte d’essayer.  je l’appelle et il passera chez toi. 

Père Noël mit un 3ème dafalgan dans son verre d’eau fraiche 

 5 à 10 minutes plus tard, Père Fouettard était chez lui. 

– Salut Père Noël,  t’imagine pas comme je suis heureux . Conduire un traineau,  c’est mon rêve depuis toujours !

– Et bien pour te parler franchement je ne suis pas sûr que les rennes veuillent…Au fait que transportes-tu dans ton sac à dos ?

– Une barbe blanche , un bonnet et une robe rouge.

Le Père Noël avait quelques doutes.  Il réveilla les rennes qui râlèrent ferme de devoir se lever et en voyant Père Fouettard ( qui entretemps avait enfilé le déguisement) s’exclamèrent :  » c’est quoi ce barbu noir en rouge !? » Le Père Noël vit rouge !

– Vous n’allez pas me la jouer rennes racistes ! c’est lui qui vous guidera cette nuit et pas question de discuter. Il est très gentil et a toujours rêvé de faire ce job ! »

– Ok ok mais à la moindre erreur de sa part, on fait demi-tour.

 Tout heureux le Père Fouettard grimpa dans le traineau et « hue mes copains rennes ! »

Le père Noële s’enfila un 4ème Dafalgan et s’enroula sous sa couette bien au chaud .

Il rêva qu’il avait pris sa retraite.


A vous de jouer !

Animer un atelier d’écriture

Depuis septembre, je suis l’heureuse animatrice d’un atelier d’écriture pas comme les autres.

Deux à trois fois par mois, sur une durée de deux heures environ, j’anime un atelier de « bien-être par les mots » à une demi-douzaine de résidents présentant principalement des troubles psychotiques.

7 personnes, trois hommes et quatre femmes, âgés de 25 à 50 ans, sont présents tout au long des ateliers. Quand l’un ou l’autre n’est pas là, l’institut où ils résident invite d’autres participants à découvrir l’atelier.

Si j’anime durant deux heures, il y a une préparation derrière ces ateliers qui me demande souvent le double du temps. Au début, je ne savais pas à quoi « m’attendre », mais très vite, je me suis adaptée à leur durée d’attention limitée, à leurs capacités parfois étonnantes, à leur désirs, à leur envie d’apprendre, de dire, de faire.

4/7 adorent les dictées ! J’en suis positivement étonnée.
3/7 ont une imagination extraordinaire, riche, décalée, fabuleuse, poétique. J’en suis admirative.
2/7 me gratifient de louanges, m’appelle « Dame Sourire ». J’en suis gênée mais avec le sourire (rires)

L’un est passionné par le Japon, l’autre par l’éducation. L’une est tout le temps aussi souriante et enthousiaste que moi. Une autre adore plus parler qu’écrire. Un autre encore est un jongleur de mots génial. Certains aiment lire de grands auteurs, lire et écrire de la poésie, des chansons.

Quand certains sont fatigués, ont bobo ici ou là, ont froid ou sont tristes, je me sens encore un peu démunie ne sachant pas « ce que je peux faire » pour qu’ils aillent mieux et pour que l’atelier leur donne de l’énergie, de la chaleur, du peps. Heureusement, il y a toujours une éducatrice ou un éducateur qui est là pour m’aider.

Un mot, une attention et hop ! ça repart.

Au dernier atelier, vendredi passé, il y avait davantage de nouveaux participants que de ceux que je connais déjà. Et si au départ, tous avaient du mal à sortir de leur sieste, à être présents « ici et maintenant », la deuxième partie de l’atelier a été très divertissante, avec de véritables échanges, oraux, des rires, du plaisir pour tout le monde. La raison : un abécédaire de mots belges, bruxellois, wallon.

  • Quels mots connais-tu ?
  • Peux-tu dire ce qu’ils signifient ?
  • Il y a pas mal de nourriture, d’aliments dans cette liste. Peux-tu les identifier ?
  • Que veux dire ….

Je prépare toujours trois ou quatre activités. Généralement, on ne sait en faire que deux. Mais parfois, certains n’accrochent pas à une chose, alors ils peuvent faire une autre activité. Par exemple, pendant que la dictée se fait chez certains, d’autres remplissent un poème à trous, écrivent à partir d’image(s) ou d’une phrase d’un « cadavre exquis ».

Quand ils écrivent, ils peuvent lire à haute voix ce qu’ils ont écrit. Sans obligation. Si je donne un exemple, c’est beaucoup plus facile pour eux de suivre. Parfois, un texte apparaît, une phrase ou deux, ou trois, et même si cela ne correspond pas à 100% au sujet, au démarreur, le but, est qu’ils écrivent quelque chose qui leur plait.

Le but est de sortir un petit recueil vers le mois de mai ou de juin.

Je peux déjà dire qu’il sera magnifique :-)

Atelier d’écriture : racontez un métier

À la mi-novembre, j’ai participé à un atelier d’écriture avec Stéphane Van Hoecke. Cela s’est passé au château du Sartay, à Embourg, Liège.

Je partage avec vous deux textes que j’ai adoré écrire. Le premier est sorti durant l’atelier, sur un temps donné. L’autre est né le lendemain matin, très tôt, chez moi, quand tout le monde dormait. Le premier a été écrit directement sur l’ordinateur, le second, au stylo-plume dans mon cahier d’écriture.

Tous les deux racontent la tranche de vie d’un métier. Nouveau métier. Métier métissé. Mélangé.

Explications :

  1. dresser une liste de 10 métiers (ou plus, au choix) qui existent et qui se compose de deux termes comme « chirurgien des mains », « coiffeur pour enfants », « analyste de données », « illustrateur de BD », etc.
  2. mélanger le premier terme du premier métier avec le second terme du deuxième métier. Renouveler l’opération en mélanger le début des uns avec la fin des autres métiers.
  3. écrire une tranche de vie de ce nouveau métier, « jusqu’au jour où tout bascule »

Vous verrez, mon premier texte a eu du mal à arriver à ce fameux jour où tout bascule. D’ailleurs, je ne l’ai pas terminé. J’envisage de le retravailler pour l’améliorer. Mais ce ne sera pas pour tout de suite.

Le second texte a été imaginé uniquement dans le but d’inclure trois métiers bizarres, mais qui me « parlaient ».

Quand j’écris, je ne fais pas de plan. Souvent, j’ai une idée précise d’un passage, d’un début ou d’un moment bien précis. La suite arrive « naturellement », au moment où j’écris.

Laveur d’insectes

Christophe est laveur d’insectes. Il fait ce métier très pointilleux depuis bientôt six ans. Christophe est un jeune homme plein d’ambition. Sérieux, intelligent et agile de ses doigts, il donne souvent un coup de main à son patron pour que le travail à l’usine soit le moins pénible, le plus rapide et le plus efficace possible. A trente-trois ans, il a déjà fabriqué plusieurs machines :

  • le shampouineur 1.7.-L (prononcé UN SEPT=insecte et puis aile) pour tous les insectes volants du plus petit gabarit (mouchette de la taille d’un millimètre) au plus grand (lucane cerf-volant) qui préserve la fragilité des ailes en leur donnant une meilleure résistance tant aux chocs qu’à la pluie
  • le colorateur PP’ON pour que les papillons retrouvent un éclat coloré dans leurs ailes écaillées. Cette machine en plus de nettoyer délicatement les ailes, de renforcer la couleur d’origine, saupoudre en même temps l’insecte d’une lotion vitaminée qui permet de résister plus facilement aux changements de temps soudain,
  • le savonique BZ-Z, la machine qui savonne les moustiques, avec cloison amovible pour séparer les mâles des femelles. Cet engin a déjà été trafiqué, vandalisé plusieurs fois pour que la cloison qui accueille les femelles se referme soudainement sur ces petites créatures. Là aussi, Christophe a fait preuve d’une maturité et d’ingéniosité en rendant cet engin invisible en été ! (fallait y penser)

Christophe a inventé et fabriqué toutes ces machines et bien d’autres, petites et grandes, dans son bureau qu’il partage avec d’autres fourmis ouvrières. Il est entouré de filles et ce n’est pas vraiment pour lui déplaire. Sa particularité qui fait qu’il a rapidement été embauché, c’est son doigté et sa finesse à travailler méticuleusement. Malgré sa différence aux mains, il a six doigts à chacune de ses deux mains, son employeur n’a pas fait la fine bouche quand il a vu qu’il écrivait avec des pattes de mouche. Il est aussi habile de ses douze doigts qu’une araignée avec ses huit pattes. Les tâches ne sont pourtant pas piquées des vers. Le rythme est soutenu et les besognes pas très gratifiantes. Mais Christophe ne s’en est jamais plaint. D’ailleurs, il aime tellement son travail qu’il vient de dessiner une nouvelle machine pour… les araignées !

L’entreprise 6-Clean, spécialisée dans son domaine depuis 1966, a bonne réputation. Tous les insectes du coin, de la région et du pays tout entier font le déplacement jusqu’ici pour un insect’wash. Nettoyer les carapaces, les pattes et les ailes, 6-Clean en fait son affaire ! Les mandibules sont récurées, les têtes sont bichonnées. À pattes ou en vol, ils font le déplacement depuis toutes ces années, car justement, ils connaissent le patron, de père en fil (FIL comme un fil) qui garanti la sécurité durant tout le processus du lavage.

Les araignées, qui ne sont pas des insectes, car ces bestioles ont huit pattes, sont leur seule ennemie. Petites, sauteuses, velues, grosses ou fines aux longues pattes, ils ne font pas de différence. 6-Clean interdit leur entrée dans leur usine. Depuis 1966, aucune araignée n’a su franchir les portes de la sécurité.

Jusqu’au jour où Christophe, sérieux, intelligent et agile de ses douze doigts, dessine une machine pour elles. Elles, les araignées. Elles, l’ennemie numéro 1 des établissement 6-Clean ! Christophe n’est pas raciste, il aime toutes les bestioles, qu’elles aient quatre, six ou huit pattes. Et cela fait six ans qu’il travaille ici. Six ans. Le temps maximum pour chaque travailleur, ouvrier ou employé ! Christophe, sérieux, intelligent et agile de ses douze doigts, se dit qu’il pourrait travailler durant huit ans et aider ainsi les araignées. Huit pattes-huit ans. Pour lui, le compte est bon.

Christophe ne sait pas que son contrat va s’envoler, se brûler, se consumer, disparaître. C’est ainsi. C’est comme ça chez 6-Clean. Après 6 ans, à la date anniversaire, pffuuiiit, le contrat s’arrête.

Il est dix-huit heures, six heures. L’heure de la fermeture de l’usine. Christophe est encore dans son bureau. Mais il est tout seul. Les fourmis ouvrières, ses petites copines, sont déjà parties.

Christophe est assis sur sa chaise, l’imprimante 3D qui lui sert dans toutes ses inventions va aussi s’arrêter. Elle a un minuteur qui fait que dès que dix-huit heures sonnent, l’électricité se coupe et tout le bâtiment se met en veille. Christophe le sait ça. Il l’a anticipé. Il a apporté une batterie portative qu’il branche sur l’imprimante 3D pour la rendre autonome.

Le bidouillage fonctionne bien. Il fait calme dans les bureaux, il ne reste que sa petite lumière qui est allumée ainsi que celle du patron qui est à l’étage. Il sait qu’il doit faire vite pour terminer d’imprimer. Il veut offrir cette machine à son patron.

Christophe ignore tout de la fin de son contrat…

Quand sa montre automatique indique dix-huit heures et six minutes, il sent comme un cocon se former tout autour de lui. Il comprend qu’il va se transformer, qu’il va évoluer. Il ne savait pas que ça pouvait lui arriver à lui aussi, mais après tout, il travaille depuis tellement de temps avec les insectes que plus rien ne l’étonne vraiment. Christophe est sérieux, intelligent et agile de ses douze doigts. Vite, il appuie sur un bouton de l’imprimante 3D pour accélérer le travail d’imprimerie. Sa petite machine pour les araignées va faire un tabac ! Il en est persuadé.

Christophe est sérieux, intelligent et agile de ses douze doigts. Mais il est aussi un peu naïf.

Son sixième doigt glisse malencontreusement sur une autre touche de l’imprimante. Le cocon a atteint sa taille et l’empêche de tendre son bras comme il aurait aimé le faire. L’imprimante crachote, zozotte, bzzobzotte. Une étrange fumée sort de l’objet imprimé. L’appareil que Christophe a imaginé est stoppé net. La boîte n’est pas terminée. Mais à la place, une, deux, trois, quatre… cinq, six… sept, huit pattes sortent de la tête d’imprimante. Une araignée géante, blanche, faite toute de plastique s’extirpe de la machine. De ses huit pattes mobiles, elle crapahute partout et se glisse dans le cocon de Christophe. Par une agilité et une rapidité incroyable, l’araignée détricote le cocon et libère ainsi son créateur. Une alarme sonne. Huit fois. Huit bruits horribles sont vomis par les haut-parleurs des établissements 6-Clean.


Vendeur de courriers, chercheur de timbres, laveur de lettres d’amour

Cette histoire se passe au présent. Aujourd’hui, en 2021.

Voilà des années que certains métiers sont oubliés. Tombés en désuétudes à cause de la technologie, tu Temps qui passe et qui s’efface toujours de plus en plus vite.

Damien est professeur des écoles. Un métier d’actualité qui existe depuis de nombreuses années et qui, dit-on, n’a pas changé. Mais il a changé, pas beaucoup pour les élèves mais pour les professeurs : oui ! Ils sont de moins en moins écoutés, respectés, aimés.

Et Damien, professeur depuis près de treize ans, en a sa claque de devoir toujours s’écraser face aux étudiants qui le bousculent dans ces couloirs surpeuplés, il en a marre de craindre des parents qui se croient « meilleurs », « plus intelligents », « plus éduqués » que lui alors qu’ils ne savent pas élever leur gosse avec les valeurs de base.

Damien est petit pour un homme : un mètre soixante-cinq, de corpulence normale, la vie ne l’a pas épargné en lui donnant un visage lisse et beau avec une voie aigüe. Hypersensible, il ne supporte pas qu’on touche à ses cheveux, son visage ou son corps. Il porte donc de longs cheveux qu’il laisse pendre sans jamais les attacher. Des cheveux lisses comme sa peau, soyeux comme du duvet.

Il ne s’en fait plus des remarques sur son physique et il a l’habitude qu’on le prenne pour une femme. Surtout depuis février 2020, où, avec l’arrivée de la crise sanitaire, des confinements et du port du masque, on ne distingue plus beaucoup sa barbe et sa moustache soigneusement taillée quotidiennement.

Damien enseigne l’histoire. Cette matière pourtant détestée quand il était lui-même un étudiant imberbe, s’est révélée à lui au travers de la littérature, des correspondances entre tous ces acteurs et toutes ces actrices qui font partie de l’Histoire.

Mais il sait qu’aujourd’hui, fin 2021, l’Histoire, le cours, cette matière scolaire qu’il enseigne, de manière identique depuis treize ans, n’a plus sa place ici.

Ici dans sa classe, oui c’est la sienne, dans cet établissement scolaire.

On est à la mi-novembre et cette dernière rentrée scolaire sera la dernière tout court pour Damien. En cachette, il préparer sa prochaine rentrée. Elle se fera en janvier. Oui, il va démissionner, abandonner son métier pour enfin faire ce qui lui plaît vraiment, ce qui le fait vibrer.

En réalité, il hésite entre trois orientations :

  1. Vendeur de courriers
  2. Laveur de lettres d’amour ou
  3. Chercheur de timbre

Trois métiers oubliés, trois métiers perdus de vue, à cause de l’informatique. Ah ! La technologie a du bon, mais comme pour toute chose, elle a le revers de la médaille.

  • Je vais recréer un métier. Mon métier ! dit-il sûr de lui.

Comme pour lui, « choisir, c’est renoncé », il décide de ne pas choisir et de faire ces trois métiers.

  • Je serai polyvalent, car j’aime les tâches diversifiées. Je serai patient, car je sais que le bonheur ne se construit pas en un jour. Je serai le seul spécialiste de ces métiers oubliés, le seul, l’unique, c’est ça ma niche !

Grâce à ses compétences de professeur, grâce à son expérience professionnelle dans l’Histoire, il sait ce qu’il doit faire pour commencer.

Et c’est ainsi que Damien progresse dans son nouveau chemin. Il a choisi son destin, il s’est pris en matin et ne regrette rien.

Le temps passe.

Nous voilà en janvier. Damien n’est plus professeur. Peut-être l’avez-vous déjà croisé dans la rue. Tantôt, vous pourrez peut-être le voir fouiller dans les boîtes aux lettres à la recherche de véritables anciens timbres, ces petites images qui n’ont déjà plus de dents et que l’on colle encore parfois dans le coin supérieur droit de certaines enveloppes.

Si Damien en trouve, vous le verrez alors bondir de joie, examiner le courrier en question ; et le dissimuler rapidement – mais pas discrètement – dans sa sacoche qu’il a lui-même cousue.

Tantôt, vous pourrez peut-être le voir, à l’inverse, vendre du courrier. Comme autrefois, il le fera « à la criée » : il criera en deux ou trois mots le sujet de chaque enveloppe. Dans des enveloppes de papier de couleur différente, il vous proposera une lettre d’encouragements, de félicitations, de condoléances, de demandes de pardon ou même des lettres de famille, quand certains se sont perdus de vue depuis déjà bien trop longtemps.

Damien vend ce courrier au plus offrant, au plus pressé, au plus embarrassé, au plus tête en l’air.

Quand il vend son courrier, Damien installe sa petite échoppe ambulante à la sortie des bouches de métros ou aux pompes à essence, en ville. Une fois par mois, généralement dans les derniers jours, quand c’est la fin des haricots, il se rend à la campagne et là, il fait sa B.A. comme il dit :

  • Oui, je fais aussi du bénévolat et j’offre des mots doux, des mots de réconfort, des mots accompagnants, des chauds mots-mots à toutes ces personnes âgées et isolées à qui personne ne pense… sauf moi !

Damien a un grand cœur, oui ! Car en plus de son bénévolat à la fin de chaque mois, il fait aussi de grosses promotions sur ses courriers qu’il vend à la criée. Des promotions réservées à toutes ces familles qui survivent dans ces cages à poules, ces clapiers comme certains appellent ces H.L.M.

C’est à cette charmante clientèle défavorisée qu’il offre ses services de laveur de lettres d’amour.

  • Car, voyez-vous, c’est souvent ceux qui ont le moins de moyen qui en ont le plus besoin !

Peut-être que si vous croisez Damien à la sortie de ces quartiers abandonnés, il vous racontera l’histoire de sa première lettre d’amour qu’il a lavée. Moi, je l’ai croisé une fois, Damien. Enfin, je crois que c’était lui, des gars comme ça, ça ne courre pas les rues. Surtout que depuis le temps, beaucoup trop d’eau a coulé sous les monts et détruit des maisons. Entre tous ces évènements, je finis par perdre mon latin et le jour qu’on est…

Cette première lettre d’amour que Damien a lavée a été le début d’une grande histoire d’amour. Elle était timbrée cette lettre, au sens figuré. Elle s’enflammait pour un oui, pour un non. Elle crachait ses mots à n’importe qui, car elle n’avait aucun prénom, aucun nom, aucun destinataire noté sur sa face. Elle se chiffonnait d’impatience, elle se mettait en boule et pouvait exploser d’une colère bleue d’encre si elle n’arrivait pas à capter l’attention.

  • Quand je l’ai trouvée toute chiffonnée dans la rigole de ma rue, l’encre avait coulée, ses larmes bleues dégoulinaient sur les mots. Elle en avait bavé la pauvre. Je l’ai ramassée délicatement. C’était le printemps, je me souviens, il n’avait pas plu depuis trois jours et pourtant, mes mains étaient trempées de tristesse.

Damien a les yeux perdus et humides quand il me raconte cela.

  • Avec d’infinies précautions, avec des gestes lents et tremblants un peu quand même, je l’ai déchiffonnée, remise à plat, caressé son papier tout embrouillonné. Et je lui ai parlé. Chuchoté. Confié. Oui, je l’ai aimée immédiatement. Ça a été un véritable coup de mot, comme le coup de foudre, mais en lecture.

Damien m’explique qu’il est aussitôt rentré chez lui. Ce jour-là, il n’a fouillé aucune boîte aux lettres. Ce jour-là, aucun timbre ne s’est rajouté à sa collection. Ce jour-là, il a, pour la première fois, lavé une lettre d’amour.

  • Je l’ai d’abord fait sécher à l’air libre. Heureuse d’être l’objet de toute mon attention, les larmes se sont taries et j’ai pu commencer à la défroisser. Lentement. Doucement. Patiemment. Quand elle a vu que je voulais l’aider, elle a accepté de se coucher entre deux papiers-buvard, puis pressée dans mon herbier.

Damien me raconte comment il a nettoyé les boulettes, les pâtés et autres taches dues aux larmes. Comment il l’a frictionnée avec une gomme pour effacer toute ligne grise, mine sombre et essai raté. Avec son plus beau stylo-plume, il a choisi une cartouche d’encre de la même couleur, du même ton qu’elle avait sur elle.

  • J’ai fermé des boucles, j’ai accroché des tirets, j’ai déposé des petits points là où il n’y en avait plus. J’ai ensuite écrit un prénom juste avant la virgule tout en haut, où il y aurait dû avoir un destinataire. J’y ai mis le nom de ma mère qui a perdu son mari d’un cancer. Quand le cancer a gagné la guerre, le cœur de ma mère s’est refermé à double tour, et la clé, elle l’a jetée.

Damien pleure à son tour. Mais ici, ce ne sont pas des larmes de tristesse, mais des larmes de joie.

  • Ma première lettre d’amour que j’ai lavé a permis à ma mère d’aimer à nouveau !

Vous qui me lisez, continuez à écrire, envoyez des lettres d’amour à laver, collez des timbres, postez des courriers !

Oui : aimez !