Être attentive
Rouler dans l’obscurité
Gare aux crapauds

18 mars 2023
Rouler prudemment dans l’obscurité. C’est le soir. Je me rends à une veillée de contes dans mon quartier. Au château du Sartay. Embourg. Chaudfontaine. Liège.
La nature est présente autour de moi. Des bois, un parc, des arbres et plein d’oiseaux qui chantent.
Il est 20h. La petite montée qui m’amène à destination, faut pas la louper. Discrète. Un peu dissimulée. Pas bien éclairée. Normal pour un samedi soir. Les écoles dans ce parc sont fermées.
Limitation de la circulation automobile limitée à 30km/h. Même à proximité d’enfants, d’écoles, ça roule souvent trop vite.
En haut de la petite montée, j’y suis arrivée.
Et là, dans les phares de ma voiture qui éclaire mon chemin, je vois des choses sur le bitume. Choses figées. Ça ne bouge pas. C’est épais. Jaunâtre. Verdâtre. Difficile d’identifier comme ça. Du volume et de couleur semblable à des feuilles mortes recroquevillées. Y en a entre 8 et 10 à vue d’œil rapide. Pas un poil de vent.
A ma gauche, un bois. À ma droite un rond-point énorme avec en son centre une petite mare, de l’herbe, de la terre, quelques bancs. Je dois faire le tour du rond-point pour me garer. C’est ma destination. De la lumière au rez-de-chaussée. La formation aux contes. Un stage de perfectionnement. Une veillée de conte pour clôturer la première journée de formation.
Les petites choses ne bougent toujours pas. Je crois avoir reconnu une grenouille. Ou un crapaud. Autant ? C’est bientôt le printemps. Possible. En été, j’en ai entendu chanter dans la mare du rond-point. Je freine tout à fait. À l’arrêt.
Un regard dans mon rétroviseur intérieur. Personne derrière moi. Je laisse le contact. Pour garder la lumière. 4 feux clignotant qui annoncent quelque chose d’important. Je sors de la voiture.
Avant d’aller vers la 1ere chose tétanisée, un mouvement vers la gauche, à 50-70 centimètres de moi, me fait tourner la tête. Les phares éclairent partiellement cette zone du bas-côté. Juste avant la rigole, encore sur la terre, un amas difforme, bizarre, bouge maladroitement. Peut-être un rongeur qui a été renversé ? Je n’ose pas trop m’approcher, car j’ai clairement identifié les petites choses jaunâtres, verdâtres : des crapauds. J’en compte 11 sur ma route. 11 que je sais compter grâce à mes phares. Et mon pied marche juste à côté d’une tache noire épaisse : une victime.
Moteur toujours allumé, insouciante des risques, mon attention entièrement tournée vers le danger que courent ces petites créatures, normalement bondissantes.
12 degrés dehors à 20h10, en ce 18 mars 2023. La transhumance des amphibiens a commencé sous mon nez. Une migration risquée, truffée de dangers mortels.
Je commence le sauvetage. Sans trop réfléchir, je prends un crapaud à la fois et le dirige vers là où sa tête pointe : la mare. L’un ou l’autre émet un « croa » sonore dont je ressens la vibration dans mes doigts, dans mes mains. 1,2,3,4 hors de danger de mes roues. J’avance un peu la voiture pour éclairer plus loin. Y en a encore d’autres, c’est impressionnant !
Cette fois, je coupe le contact, laisse les 4 feux clignotants et prends mon smartphone pour éclairer mes pieds.
J’en profite pour aller voir la grosse masse qui était sur ma gauche, près de la rigole : un amas de crapauds indénombrable. Un tas de petits mâles sur une seule pauvre femelle. Elle a du mal à avancer, je la laisse là pour le moment et vais aider les autres, individuellement, à traverser la rue.
4, 5, 6, … sans les phares, j’y vois moins bien. J’avance encore de deux mètres et je relaisse le contact, les phares allumés.
13 crapauds que j’aurais aidés !
Je me gare plus loin car il y a un autre événement à côté du château. Le reviens à pied, avec la lampe torche de mon téléphone toujours allumé. Une voiture arrive et emprunte la même route que moi ! Ouf ! Quel soulagement que je sois arrivée pile au bon moment pour les mettre à l’abri.
Je fais le tour du rond-point pour m’assurer qu’il n’y a pas d’autres victimes ni d’autres imprudents. Rassurée, j’entre et je salue les personnes que je connais puis je raconte ce que j’ai vu. L’une des personnes m’a dit « ah ! C’était toi qui étais là ! Je croyais que tu avais perdu un rétroviseur ou autre truc ». On me demande de leur montrer les bestioles.
On s’émerveille de la nature. On est triste pour les 3 victimes mortes écrasées avant mon arrivée. Et puis on va voir le paquet grouillant. Il est sur la route. Dans la rigole. Comme personne n’osait les toucher, j’ai ouvert mes deux mains en grands et j’ai pris tout ce petit monde ensemble, groupir, pour les déposer non loin de la mare.
Quelle aventure mes amis !
Je me suis bien lavé les mains et tout est bien qui finit bien. Enfin, je l’espère pour les crapauds !
Info sur les crapauds sur le site de Natagora !




