Les boîtes à livres

Les boîtes à livres (ou « boîte à lire ») ont commencé à fleurir en 2015, en Belgique, si j’ai bonne mémoire.

Qu’est-ce qu’une boîte à livres ?

C’est une mini bibliothèque où l’on peut déposer et prendre des livres, gratuitement.

Le concept est super sympa. C’est simple, facile a comprendre et à utiliser.

Dans la pratique, il faut une bonne gestion derrière pour que cette boîte fonctionne et donne du plaisir à ceux qui lui rendent visite.

D’abord, il faut choisir le bon endroit, un lieu de passage. Ensuite, il faut que la boîte soit solide (intempéries et poids des livres), entretenue et réparée si nécessaire. Enfin, il faut que quelqu’un passe régulièrement pour vérifier l’état des livres, jeter les livres abîmés, déchirés, trop vieux. Et renouveler le stock, le varier autant que possible.

Comme toutes les nouvelles actions qui touchent de près aux livres, le début, quoique un peu lent, a été extraordinaire.  Je rendais visite à deux, trois, quatre boîtes à livres de ma région, dont une installée près de mon travail.

J’étais, et je le suis encore aujourd’hui, mais plus occasionnellement, une bonne utilisatrice de ces boîtes, car si je me sers de temps en temps, je dépose aussi des livres.

Après l’engouement général, j’ai constaté une lassitude dans cet échange. Comme pour beaucoup de nouvelles idées qui se concrétisent, l’enthousiasme de la nouveauté retombe rapidement si rien n’est entrepris pour pérenniser, actualiser le concept.

C’est un peu comme l’obsolescence programmée. La société moderne veut que tout se passe vite, tout bouge continuellement, tout progresse à une allure folle. Si on ne suit pas le rythme, on est dépassé, foutu, doublé, fini, bon à ranger au placard. S’inventer toujours. Renouveler les idées rapidement. Vite. Vite. Tout va trop vite.

Et c’est ainsi que la boîte à livres de mon quartier est abîmée depuis plus d’un an. Le rail qui maintient les portes en plexiglas est tordu, une de ces deux portes ne s’ouvre plus, très difficilement ou est carrément à terre. Les livres déposés sont pour la moitié abîmés, beaucoup trop vieux pour être intéressants aujourd’hui. Des sacs remplis de livres sont déposés par terre. Des livres fort usagés, abîmés, voire déchirés.

Depuis le Covid, je ne vais plus voir les livres qu’une fois tous les deux mois. Et encore. Je préfère dépenser un peu dans des bouquineries d’occasion. Ces mêmes à qui je donne mes livres lus – qui sont en très bon état. Dont l’argent récolté par ces ventes est reversé à des associations qui s’occupent d’enfants en situation de grande précarité.

Mais toutes les boîtes à livres, heureusement, ne sont pas délaissées ainsi. Celle près de mon travail est plus petite. Et si une poignée en bois a fini par casser, une corde a été placée pour faciliter l’ouverture de la porte. Cette boîte à livres est généralement moins bien remplie, ou quelqu’un passe régulièrement faire le tri et nettoyer… Mais c’est dans cette boîte que j’ai trouvé les plus chouettes bouquins.

Ce mercredi, j’ai trouvé ces deux livres. Certes, ils ne sont pas de première jeunesse, ils ont sûrement des tas d’histoires à me raconter, mais ils étaient là, aujourd’hui, pour moi.

Car aujourd’hui, cela fait 88 jours que j’apprends l’anglais avec mon application et que je remarque que je commence à savoir rapidement traduire des phrases de l’anglais vers le français. Alors, ce premier livre est un bon test pour évaluer ma profession dans la langue de Shakespeare.

Le deuxième livre, m’a fait sourire. Moi qui adore les listes. Qui affectionne les jeux de mots. Qui démarre au quart de tour quand il s’agit d’écrire un texte créatif. Et qui, oui, aime encore jouer (trop peu souvent) au Scrabble, ce livre avec son titre qui a généré une image rigolote dans mon cerveau en ébullition, m’a fait de l’œil !

Alors, après le travail, je suis allée déposer une petite lettre de remerciement pour ces inconnus qui ont déposé ces livres. Je ne saurai sans doute jamais s’ils le liront un jour, mais s’ils se manifestent, je ne manquerai pas de vous le dire.


Le livre en anglais d’Agatha Christie, a appartenu à un notaire honoraire, comme le démontre le cachet à l’intérieure de la couverture.

Eh bien, je trouve cela tout à fait logique pour un livre policier 😄

Celui que j’ai en main, m’informe que c’est une édition datant de 1993. En 1962, il avait déjà été réimprimé 25 fois. Quant à la première édition et l’ impression, elle date de 1936.

On voit des signes où on veut. 1993 est une date importante pour moi, un tournant dans ma vie d’adolescente.

Quant à l’autre livre, il a été bien utilisé par, je devine, une dame d’expérience. M-L pour Marie-Louise ? Une belle écriture cursive et une prédilection pour les éléments de chimie comme le montre ces mots rajoutés.

Le livre date de 2004. Eh bien, pour ma part, je me sens un peu bête, car je lis plein de mots inconnus. Cela me donne néanmoins une idée pour piocher, dans ce livre, quelques mots peu usités pour un prochain jeu d’écriture. Avec ou sans dictionnaire ? 🤔

L’affaire Agatha Christie, lecture coïncidence

Souvenez-vous, vers mars ou avril, j’avais eu l’idée d’un atelier d’écriture au sujet de la disparition de la célèbre romancière Agatha Chrisitie.

Quelle surprise ! Chez mon libraire, regardez ce que j’ai trouvé :

Parution avril 2023 aux éditions « le cherche.midi »

Et c’est tout à fait de cela qu’il s’agit : la disparition d’Agatha. C’est la maitresse du mari de la romancière qui parle (c’est un roman, Nan est le personnage principal). Un roman en « je » qui ne me déplaît pas puisqu’en trois jours, je l’ai déjà quasi terminé.

Tantôt dans la tête du colonel Christie, tantôt dans celle de sa maîtresse et même dans celle d’Agatha, on découvre avec délectation la plus plausible des histoires. Les versions diffèrent, certaines plus probables que d’autres. L’entre deux guerres, la petite fille du couple, le passé énigmatique de Nan, un hôtel spa poir se ressourcer, rien n’est laissé au hasard. Pas même un double meurtre commis devant un policier !

Nina de Gramont s’est inspirée de la disparition réelle d’Agatha Christie pour écrire ici son premier roman. Il faut savoir que cette disparition reste toujours une énigme encore aujourd’hui, 100 ans (ou presque) plus tard. Elle fait partie de l’une des plus grandes affaires jamais résolues du xxe siècle !

Grâce aux descriptions et aux détails, le lecteur est plongé dans une époque qu’il n’a pas connue et tout semble tangible, vrai, palpable. Entièrement prise par l’histoire et le style d’écriture, j’en oublie qui parle, qui raconte. J’ai parfois cette impression d’être une spectatrice de l’Histoire, je fais fi de l’identité du narrateur et m’en souvenir plus tard est… bizarre. Pour vous dire que je suis embarquée, ce n’est qu’arrivée au deux tiers du livre que les changements de temps, les aller-retour dune date à une autre me dérange. Je n’aime pas trop les sauts dans le temps, devant souvent faire appel à ma mémoire pour me remémorer les détails de ce moment précis déjà lu avant.

Je ne vous en dis pas davantage. Si l’intrigue, cette intrigue, vous plaît, vous savez ce qu’il vous reste à faire 😄

Jeu d’écriture d’avril, on joue avec Agatha Christie

Savais-tu que Agatha Christie avait disparu durant 11 jours ? Qu’elle s’est dit être atteinte d’amnésie et ne se souvenir de rien durant cette absence ? Elle venait d’apprendre que son second mari la trompait. Elle a abandonné sa voiture près d’un lac. Elle s’est enregistrée sous le nom de la maîtresse de son mari. Elle a été trouvée par un journaliste dans un hôtel qui dispensait des soins de bien-être, cure thermale, etc. Son mari a même été soupçonné de l’avoir tuée. Ou pensait-on qu’elle s’était suicidée. Sa fille, âgée de 7 ans environ à ce moment-là était au courant de son absence, mais personne n’a pensé à l’interroger !

Je te propose d’écrire sur cette absence. Que s’est-il passé durant ces 11 jours ? Qu’a fait l’écrivaine ? Avec qui était-elle ? Sa vie était-elle menacée ? A-t-elle eu un accident ? Son amnésie était-elle réelle ?

Rien d’interdit. Tout est possible. Personne ne saura jamais ce qu’elle a fait…


Texte de Fabienne : exceptionnel, j’adore !!

Sur les traces d’Agatha

La fin de l’année 1926 a une saveur particulière pour moi, petite employée londonienne, qui menais une vie sans histoires : j’avais 29 ans, je n’étais pas mariée, j’avais un petit emploi de sténodactylographe dans une compagnie d’assurances de la City. Je ne voulais plus vivre chez mes parents mais mon maigre salaire ne me permettait pas de m’offrir autre chose qu’une chambre de bonne. Je pouvais prendre mes repas dans la cuisine commune à tous les locataires ou une petite collation dans un pub du quartier. Chaque jour, avec des milliers d’autres je traversais Londres en métro pour me rendre à mon travail. Le dimanche était consacré au repas dominical chez mes parents ou à de petites promenades dans les parcs londoniens si le temps le permettait. Comme je l’ai écrit, une vie sans histoire, que je ne voyais guère changer dans les années à venir.  Au grand dam de mes parents, je n’envisageais pas de me marier et l’éventualité de rencontrer un potentiel fiancé parmi mes collègues de bureau restait des plus réduites. Un de mes rêves aurait été de voyager : traverser la Manche, découvrir Paris… mais un tel voyage était cher et je n’étais pas prête à pouvoir m’offrir une telle escapade. Cette année-là, le mois de décembre s’annonçait plus monotone encore que d’habitude avec la perspective d’un Noël peu joyeux dans ma famille. C’est en ruminant ces tristes perspectives que j’arrivai au bureau ce matin-là.  Audrey la collègue avec laquelle j’avais des relations de camaraderie qui se limitaient au mieux à aller boire une tasse de thé le vendredi soir à la sortie du bureau, semblait, ce jour-là, effondrée. Elle était même au bord des larmes. Je me suis sentie obligée de lui demander ce qui n’allait pas. Elle m’avoua avec force reniflements que pour des raisons familiales elle devait renoncer à un week-end prévu de longue date aux thermes de Harrogate dans le Yorkshire. Elle avait voulu profiter d’une promotion bien intéressante pour son petit budget vu qu’il ne s’agissait pas d’un long séjour et qu’il avait lieu avant les fêtes de fin d’année. Et malheureusement impossible de changer les dates. Le petit séjour était perdu. A moins que… Soudain je lui ai demandé (quelle mouche me piquait ? Car ce n’était pas Paris et le Louvre) si je ne pouvais pas partir à sa place en lui rachetant son week-end. Elle ne réfléchit pas longtemps et accepta ma proposition mais je devais faire vite : le départ était prévu le lendemain en fin d’après-midi à Victoria Station. La soirée se passa donc à rassembler mon petit bagage. Je n’avais guère quitté Londres à l’exception de l’un ou l’autre séjour en bord de mer dont je gardais une tenue de bain bien usagée déjà mais qui pouvait convenir pour le peu de temps que j’aurais à passer là-bas. Mes parents auxquels je dus bien annoncer que je ne participerais pas au sempiternel déjeuner dominical marquèrent quelque étonnement devant ce départ aussi inattendu que précipité mais je n’en avais cure. Vingt-quatre heures plus tard, le train roulait en direction de Harrogate. La ville était petite avec un charme vieillot. Je trouvai sans difficulté l’hôtel où je devais loger, le Swan Hydropathic Hotel, une vieille demeure elle aussi désuète mais propre et confortable. Après un léger repas, je regagnai ma chambre avec cependant une légère appréhension quant à ce qui m’attendait le lendemain…

Dans les documents que m’avait fournis ma collègue, j’avais évidemment tout mon programme de cure thermale : douches, jets divers, sources d’eau sulfureuses, bains de boue, massages …

La journée qui suivit fut un enchantement. Je n’aurais jamais cru ressentir un tel épanouissement en fin d’après-midi même si je me sentais aussi un peu fatiguée.

J’ai donc décidé de prendre le repas du soir à l’hôtel et non pas de manger à l’extérieur comme je l’avais d’abord envisagé.  Les curistes avaient sans doute eu la même idée que moi puisque la salle à manger était quasiment pleine quand j’y entrai. Le serveur s’excusa poliment et me proposa de m’installer en face d’une dame qui était déjà installée à la table.  Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter.  La dame semblait avoir à peu près mon âge. Elle était bien coiffée et habillée avec une élégance sobre et discrète.

 Un peu gênée, je me présentai : “Felicity Lemon, désolée de m’imposer mais je crains bien de ne pas avoir eu le choix.”

 Elle me tendit la main avec un léger sourire : “Faisons contre mauvaise fortune bon cœur, Theresa Neele.”

Je me demandais s’il me fallait ou non continuer la conversation : “Faites-vous également une cure thermale ? J’avoue que c’est une première pour moi mais je suis enchantée bien que fatiguée.”

Elle sourit : “J’avais simplement besoin de repos au calme, je marche un peu, j’écoute les oiseaux, je lis, je vais au cinéma…”

Je remarquai qu’elle portait une alliance à son annulaire alors que visiblement elle n’était pas accompagnée et je répondis pour dire quelque chose :

“ Et que lisez-vous ?”

“Essentiellement des romans policiers. Conan Doyle, Agatha Christie et bien d’autres. Je viens de découvrir un jeune romancier belge : Georges Simenon. A force de lire ce type de romans, j’imagine un peu ce qui pourrait arriver… n’importe où… par exemple un meurtre ici dans cet hôtel… Qui serait le coupable ?”

J’étais surprise car mes lectures étaient beaucoup plus classiques, de Jane Austen à Dickens. Je m’apprêtais à lui poser davantage de questions sur cette littérature policière qu’elle affectionnait quand elle me dit en repoussant sa serviette : “Désolée, je dois vous quitter sinon j’arriverai en retard à la séance de ce film policier dont j’ai entendu le plus grand bien et que je ne veux pas manquer. Je vous souhaite une excellente fin de cure miss Lemon.”

Elle me fit encore un léger sourire et se leva. Je la regardai sortir de la salle à manger à pas rapides. Aimable mais distante. Visiblement elle ne tenait pas à parler davantage avec une étrangère.  J’avais pensé l’apercevoir le lendemain matin au petit déjeuner mais ce ne fut pas le cas. Ma seconde journée s’écoula plus vite encore que la première.  En fin de soirée j’étais de retour à Victoria Station ayant peine à croire que le lendemain je retournerais déjà au bureau.  Et la vie reprit son cours monotone habituel.  Un matin, je trouvai Audrey occupée à lire un journal, tout excitée : “Ils ont retrouvé Agatha Christie ! devine où !? A Harrogate, la cité thermale où tu as logé ! Elle avait disparu, on la cherchait partout, on craignait que le pire ne lui soit arrivé !”  Je pris le journal et regardai la photo d’Agatha Christie, je reconnus Theresa Neele la dame avec laquelle j’avais partagé le repas du soir à l’hôtel ! Les questions se pressaient dans ma tête mais je n’en parlai pas à ma collègue.  Que s’était-il réellement passé ? Qu’est-ce qui avait poussé Agatha Christie à disparaître, à s’inscrire sous un faux nom dans un hôtel. Que lui était-il arrivé ?  Je continuai à consulter la presse les jours suivants mais je ne trouvai plus rien à propos de cette curieuse histoire.  Je me pris d’intérêt pour les romans policiers, je lus avec passion les romans d’Agatha. Je me pris de sympathie pour Hercule Poirot et à ma grande surprise je découvris un jour qu’il avait une secrétaire du nom de Felicity Lemon ! Ainsi Agatha avait gardé une trace de notre trop brève rencontre !

 Ma vie ne fut pas beaucoup plus passionnante au quotidien mais je passais mes soirées à lire Agatha Christie ou j’allais au cinéma découvrir un nouveau cinéaste qui ferait beaucoup parler de lui : Alfred Hitchcock !

* * * * * *

Quelques précisions :

– Lors de sa “fugue” en décembre 1926, Agatha Christie a logé à Harrogate à l’hôtel dont il est fait mention dans le texte.

– Thérésa Neele est le nom d’emprunt sous lequel elle s’était inscrite à l’hôtel.

–  Et Felicity Lemon est bien le nom d’un de ses personnages féminins.

– Par contre j’ignore si elle a lu des romans de Simenon et si elle allait voir des films

policiers !


Le texte de Cécile (c’est moi :-) )

Moi, je sais pourquoi Agatha fugua !

Décembre 1930.  Maman, mieux connue sous le nom d’Agatha Christie, est mariée depuis deux ans à l’archéologue Max Mallowan. Moi, Rosalind, sa fille unique, j’ai 11 ans et je n’en peux plus de tenir le secret qui me ronge les sangs depuis quatre ans.

En effet, rappelez-vous : le 3 décembre 1926, maman disparaît sans rien dire à personne. Que l’on croit. Car à moi, elle m’a dit qu’elle partait. Et où ! D’ailleurs, c’est un peu ma faute si elle est partie. C’est vrai, ce n’est pas une plaisanterie.

Plus tôt, pour mon anniversaire, au mois d’août, j’ai reçu un livre de contes d’un certain Heinrich Hoffmann. Je fêtais alors mes sept ans. Ce livre était en allemand. Je ne connaissais pas cette langue, mais maman si ! Maman a toujours été très douée pour les langues. Elle a appris très tôt à lire, toute seule et à écrire l’anglais. Vers 8 ou 9 ans, en six mois, elle parlait même couramment le français ! Durant tout l’été, elle m’avait donc lu et relu un nombre incalculable de fois ce recueil de contes allemand. Elle traduisait pendant qu’elle lisait et moi je regardais les dessins. L’auteur, psychiatre et auteur de contes pour enfants savait aussi très bien dessiner. Un conte plus particulièrement me plaisait, celui que ma mère traduisait « Philippe qui gigote ». Dans cette histoire, l’enfant Philippe me faisait beaucoup penser à Alice, dans le conte « Alice au pays des merveilles ». Le petit héros était un garçon, mais tout comme Alice, il ne pouvait s’empêcher de gigoter, de bouger, de gesticuler et de faire tout un tas de bêtises non pas par méchanceté, mais par manque d’attention, par maladresse. Philippe et Alice débordaient d’énergie et il leur était difficile de la canaliser pour faire les choses calmement.

En réalité, dans ces comportements, je retrouvais un peu de maman et ça me réconfortait. Maman aussi ne pouvait s’empêcher de bouger, de voyager, de faire tout un tas d’activités. Parfois, elle commençait quelque chose et elle le terminait, parfois, trop impatiente, elle abandonnait une activité pour se consacrer aussitôt à une autre.

Petite, elle a étudié le chant et a appris à jouer du piano. Plus tard, mais avant qu’elle soit enceinte, elle a été infirmière puis pharmacienne. Très vite, durant son temps libre quand elle était pharmacienne, elle s’est mise à écrire : des nouvelles, des histoires, des romans, des pièces de théâtre, des poèmes, des contes ! Elle écrivait tant et si bien que plus personne ne pouvait l’arrêter.

Elle a commencé à être publiée très peu de temps après ma naissance, en 1920. J’aime croire que c’est ma venue au monde qui lui a permis de révéler son talent. Mais elle était déjà douée bien avant mon arrivée sur Terre. Cependant, il faut admettre qu’elle était une parfaite inconnue avant de devenir ma mère et d’être publiée.

Il faut que je vous dise que maman était une grande timide. C’est pour ça qu’elle a abandonné le chant et le piano, elle détestait être sous les feux des projecteurs. Quand ses livres ont commencé à faire parler d’elle, après trois ou quatre ans, elle a eu un déclic. Un mauvais déclic. Ça ressemblait davantage à une déflagration. Un choc. Un retournement. Mise ainsi en avant, elle s’est crue obligée d’être redevable de son succès auprès de ses lecteurs fidèles. Elle s’est mise à écrire. Encore plus. Chaque situation à la maison ou dont elle était témoin lui suffisait comme déclencheur d’une histoire. Le matin, elle écrivait. Le midi, elle écrivait. Le soir, elle écrivait. Elle était moins souvent présente pour nous. Les personnages de ses romans prenaient plus de place dans sa vie que sa propre fille ou son mari ! Elle ne me lisait presque plus des histoires, et pour ainsi dire, plus du tout mon livre de contes préféré. Je me rappelle même une phrase qu’elle m’avait dite « Rosalind, tu as sept ans maintenant, tu es une grande fille, il est plus que temps que tu lises par toi-même. Tu connais ce recueil par cœur. Et si tu as oublié un passage, un détail, invente. Fais comme moi. »

Je n’ai rien osé dire après ça.

Quand maman n’écrivait pas, elle était triste. Oui, elle était vraiment de mauvaise humeur et râlait pour un oui ou pour un non. Écrire était pour elle un refuge. Écrire était pour elle un exutoire. La seule façon pour elle de s’exprimer librement. Facilement. Seule avec ses carnets d’écriture. Seule avec ses histoires. Seule avec ses personnages. Elle se sentait bien uniquement durant ces instants. Elle s’était construite une autre vie. Une vie dans laquelle je n’avais pas beaucoup d’importance. Une vie sans moi. Sans papa. Sans personne d’autres que les mots qui vibraient en elle et qui ne demandaient qu’à sortir. Pour vivre. Pour exister. Pour rêver.

Un jour, peu de temps avant la Saint-Nicolas, en 1926, maman avait appris deux mauvaises nouvelles, coup sur coup : sa mère, ma grand-mère, venait de mourir et son mari, mon père, demandait le divorce.

Je n’étais pas étonnée. Grand-mère était malade depuis de longs mois. Quant à papa, pouvais-je vraiment lui en vouloir d’avoir trouvé de l’amour et de l’attention chez une autre femme ?

Ce soir-là, après que papa lui ai fait part de son désir de la quitter, maman est arrivée dans ma chambre. Elle a pris le recueil de contes de Heinrich Hoffmann qui était sur ma table de nuit et a commencé à me raconter une histoire. N’importe laquelle. Au hasard. Mais le cœur n’y était pas. Ses mains tremblaient. Sa voix tremblait. Sa gorge se serrait. Ses yeux se remplissaient de larmes amères. Même ses jambes n’étaient pas tranquilles. Elle n’avait pas remarqué qu’elle avait commencé en plein milieu d’une histoire. Alors, je lui ai pris le livre des mains. Je l’ai fermé. Brusquement. Je l’ai jeté à plat au sol. En tombant ainsi, il a fait un bruit qui l’a fait sursauter. Et je lui ai jeté : « Maman ! Arrête ! Tu lis n’importe comment ! Je ne veux plus de ces histoires. À présent, je veux une histoire à toi. Écris-moi une histoire ! Pour moi ! »

Quand j’y repense, je m’en veux de lui avoir parlé ainsi, mais j’ignorais alors qu’elle allait réagir de la sorte.

Maman m’a murmuré un « merci », m’a plaqué un baiser sur chacune de mes joues et a quitté ma chambre. Elle en est revenue moins de dix minutes plus tard. Un manuscrit et une sacoche en cuir noir sous chacun des bras, elle m’a dit « Je vais essayer, mais je ne te promets rien. » Avant de refermer la porte, elle m’a confié le nom de l’hôtel où elle allait passer quelques jours, en me promettant de n’en rien dire à personne si je voulais lire sa première histoire qu’elle allait écrire « rien que pour toi ma belle Rose, ma belle jeune-fille, ma douce Rosalind ».

Et elle est partie.

Durant 10 jours.

Elle n’a pas écrit une histoire pour moi. Pas une seule. Elle en a imaginé des centaines d’autres : des dizaines de romans, des tas de recueils de nouvelles et d’autres de poésie, des scénarios de feuilleton télévisé et même des pièces de théâtre ! Mais rien, rien de rien pour les enfants. Je ne lui en veux pas. J’en ai déduit qu’elle était incapable de ne pas écrire et j’ai compris que chaque situation qu’elle vivait, stressante, gaie ou triste déclenchait chez elle une poussée d’écriture incontrôlable. Que si elle ne couchait pas par écrit toutes ces idées, ces émotions, ces histoires, ces ressentis, elle pouvait en être réellement malade.

Ma maman est une femme extraordinaire. Intelligente. Vive. Pleine d’idées, avec une énergie inépuisable. Durant ces dix jours où elle est partie, je suis sûre qu’elle n’a fait qu’écrire, sans se soucier une seule seconde de ce que sa fugue allait susciter comme scénarios improbables autour d’elle !

De vous à moi, je crois que maman souffre d’une hyperactivité d’écriture avec trouble déficitaire d’amour paternel causé par le décès de son papa quand elle n’était encore qu’une enfant.

L’auteur et psychiatre de mon recueil de contes, Heinrich Hoffmann, serait sûrement intéressé de connaître mon avis sur cette question.  


Texte de Svetlana, dont le français n’est pas sa langue maternelle. Lisez, appréciez, félicitez :-) Merci & bravo Svetlana pour ta participation !

Saturday, 4th December 1926

Contente d’avoir séjourné dans cet hôtel, ils proposent de nombreux services de cures thermales, je veux tout essayer. Dommage que je n’en aie pas entendu parler avant ! Le chauffeur de taxi qui m’a conduit du Surrey au Yorkshire m’a donné le bon conseil : un endroit pittoresque, c’est ce que je cherchais. Quelques jours de détente et d’agréables découvertes m’attendent ! Et ce n’est pas Capetown ! Alors, Tessa Neele, allez-y !

Sunday, 5th December 1926

Comment cette blonde, Mrs Maslow, a chanté sa romance ! Elle chuchotait un peu, mais que de passion était dans sa voix. Elle a dû vivre quelque chose de similaire à ce qu’elle a chanté.

Aujourd’hui, après le lunch, j’ai été invitée à jouer du piano à quatre mains. Ils ont un magnifique instrument dans le grand hall. Et puis avec Samuel Lynch lui-même ! Cela vaut la peine d’arriver plus tôt et de répéter seule pour s’en tirer tout à mon honneur.

Monday, 6th  December 1926

Des cures thermales m’attendent aujourd’hui. Et j’espère vraiment qu’ils ne me mettront pas dans une caisse en bois pour vaporiser mon corps. Cela m’épuise beaucoup et je n’aime pas suer.

Dieu merci, il n’y avait pas de vapeur. On m’a proposé un massage à l’eau dans une petite piscine gargouillante suivi d’un massage au chocolat. Et le chapeau en forme de petit turban, qui se met ici sur la tête, est tout simplement incroyable !

C’est étrange, mais pour une raison quelconque, je n’ai pas beaucoup de vêtements avec moi. Je vais devoir aller dans la ville et m’acheter quelque chose.

Tuesday, 7th December 1926

Dostoïevski est comme toujours insupportable ! Cette journée aussi pluvieuse, mieux vaut choisir un des auteurs français : Zola ou Maupassant… Ou le bon vieux Dickens. Oui. Pour le mauvais temps anglais – un écrivain anglais. Fauteuil confortable, couverture et thé.

Cet hôtel a absolument tout : en plus d’un magasin de vêtements pour femmes, il y a aussi une riche bibliothèque. Ils ont pensé décidément à tout.

Wednesday, 8th December 1926

Une compagnie agréable s’y est formée. Le colonel Fletcher  qui est retourné d’Afrique, le Dr Rick, les jeunes mariés Mr et Mrs Wochester, et Miss Eleanor Paige, une dame âgée qui joue très bien au bridge. Dommage que Samuel Lynch soit parti. Il n’y a personne d’autre pour m’encourager à jouer du piano.

Ce soir nous dînons tous ensemble et la soirée promet d’être intéressante. Mais je dois acheter une autre robe. Je n’ai certainement pas assez de vêtements.

Thursday, 9th December 1926

J’ai de nouveau oublié la cléf et, pour ne pas revenir, j’ai demandé l’autre à la réception. Ils m’ont bien sûr aidé mais on m’a regardé d’une manière étrange bizzare même. Du calme, cela peut arriver à tout et chacun. Ils m’ont demandé de précider s’il est correctement écrit dans le livre d’enregistrement que je suis venue d’Afrique du Sud. Je pense l’avoir déjà précisé. Ansi que mon nom..

Je vais prendre un taxi et aller me promener dans la ville. Je vais m’acheter des vêtements en plus, des journaux et je vais dîner seule.

Friday, 10th December 1926

Notre joyeuse compagnie s’est dissoute : les jeunes mariés sont partis, le colonel et Miss Paige aussi. Il ne reste que le Dr Rick, mais il projette aussi de partir.

Il me reste des livres et des journaux, dont j’ai acheté une pile entière.

Saturday, 11th December 1926

Ce matin après le lunch, j’ai vu ma photo dans deux journaux, à la fois dans le Times et le Daily Telegraph. Ils ont écrit que ma disparition était due à un mauvais coup publicitaire et ont accusé Archie de mon meurtre…

Je n’ai disparu nulle part… Pourquoi tout le monde m’appelle Miss Tessa Neele ?…

Archie… Après cette querelle atroce où il a annoncé qu’il passerait son week-end avec des amis sans moi, j’ai décidé de passer mon week-end seule. J’ai écrit à mon secrétaire que je partirais seul pour le Yorkshire. J’ai embrassé Rosalind, je lui ai dit où j’allais, elle a promis d’obéir à mademoiselle Dupont, sa gouvernante.

Quel mal de tête… Un étranger qui s’appellei Dr Rick prend soin de moi. Il a promis de m’apporter quelques gouttes. Je ne sais pas si elles vont m’aider, parce que je me suis souvenue d’où je connais le nom de Neele, Nancy Neele. Et la demande de divorce d’Archie cet été…

Archie…

Sunday, 12th December 1926

C’est insupportable. Tout le monde me dérange, me demande de payer la facture de certaines robes achetées, me parle de certains massages commandés… Je ne comprends pas ce que je fais dans cet hôtel et où est ma voiture…

Y a-t-il quelqu’un au monde qui puisse tout m’expliquer ?

Monday, 13th December 1926

Enfin trouvé des journaux d’aujourd’hui. Rien ne les arrête : ils ont publié ma photo avec Rosalind de 5 ans. Ma fille… Elle souffre plus que moi. Elle a besoin de moi. Je dois faire quelque chose pour la protéger.

Tuesday, 14th December 1926

Il y a des journalistes à l’hôtel. L’un d’eux s’est approché de moi alors que je lisais dans le Daily Telegraph des nouvelles sur ma recherche. J’étais prête à leur arrivée et à leurs questions. Ils n’entendront rien de moi au sujet de ma disparition. No comments.

Demain je pars pour Cheadle chez ma sœur, où Rosalind m’attend. Où on me comprendra et on m’aidera. Où on m’aime.