Chose noire

Texte numéro 3… à vos commentaires :-)

Sa journée de travail est finie pour aujourd’hui. Isabelle prend un autre chemin que d’habitude car elle  accompagne une collègue jusque chez elle. Elles n’habitent pas très loin l’une de l’autre.

Il n’y a pas si longtemps, elle a déménagé et la jeune femme ne connaît pas bien les rues. C’est l’occasion pour elle de faire connaissance avec son nouveau quartier.

A quelques rues de sa nouvelle maison, Isabelle et sa collègue découvrent une habitation abandonnée. Pourtant, si on n’y prête pas trop d’attention, elle ressemble aux autres. Mais à son premier étage, une fenêtre sans châssis avec des restes de tentures brûlées raconte une bien triste histoire.

Isabelle s’arrête et observe cette maison. Le jardin semble avoir été entretenu il y a peu de temps.

– Ca doit être récent. Je me demande ce qui a bien pu se passer, dit-elle à Virginie.

Virginie, sa collègue, n’ose pas trop y prêter attention. Elle n’aime pas se prendre pour un détective. Isabelle, elle,  se concentre sur la fenêtre ou plutôt à ce qui pourrait s’y trouver un peu plus loin, au-delà du trou béant. Mais elle ne voit que du noir. Elle distingue à peine le plafond quand, tout à coup, quelque chose de ténébreux fait irruption dans l’obscurité. Elle n’a pas eu le temps de voir ce que c’est.

– C’était quoi ça ? Sûrement un animal. Et si c’était un cambrioleur ?

Alors qu’elle hésite à continuer son exploration, deux petites billes lumineuses se détachent de l’horizon et s’envolent.

– Impossible que ça soit un homme, sauf s’il a des ailes se dit-elle en rigolant. Virginie, tu viens avec moi, je veux voir ce que c’était !

– Heu, tu peux y aller. Je préfère t’attendre ici. Je n’aime pas rentrer chez les gens que je connais pas.

– Mais tu ne risques rien, il n’y a personne. Bon après tout, fais comme tu veux. Si tu restes là, préviens-moi alors si quelqu’un arrive.

Ce quelque chose a piqué sa curiosité. Elle regarde alors autour d’elle : personne. Elle franchit discrètement la barrière en bois. Elle passe l’entrée de la propriété. Son cœur s’accélère quand elle arrive à proximité de l’interdiction de passage qui se trouve sur le panneau. Sa détermination à découvrir ce qu’elle a vu furtivement est plus forte que la crainte d’être surprise à un endroit où elle n’est pas censée se trouver. Elle avance encore de quelques pas et s’installe dans le jardin. Très rapidement elle trouve sa position préférée. Assise en tailleur, elle attend que la chose réapparaisse.

– Et Isa, surtout te presses pas hein !

Dehors, il fait un temps très agréable pour se promener. Il est bientôt dix-sept heures. Le soleil est bas sans pourtant être déjà couché. Isabelle a encore au moins une bonne heure, si pas deux, avant d’être chassée par l’obscurité de la nuit. Elle n’aime pas la nuit. Elle a toujours peur des créatures imaginaires qui sont nées durant sa plus petite enfance et qui ne cessent de la pourchasser jusque dans ses rêves d’adulte ! Mais là, elle se sent bien. Demain, c’est le week-end, elle a tout son temps et n’est pas pressée de rentrer dans sa maison.

Dans sa tête, des mots défilent. Elle cherche à mettre un nom sur ce qu’elle a bien pu voir. Si la chose bizarre qu’elle a vue n’était pas là, elle se serait surprise à chercher la raison pour laquelle cette jolie maison a été abandonnée malgré l’unique pièce, semble-t-il, brûlée. Mais pour l’instant, il y a une autre énigme à résoudre. Obnubilée par son énigme, elle en a complètement oublié sa collègue qui se tient sur le trottoir et qui fait le guet pour elle.

« Je pencherais bien pour un chat. Mais ça semble être plus petit que ça. Une souris ? Non je ne l’aurais même pas remarquée. Et puis il m’a semblée que ça volait ou alors il a des ressorts sur les pattes pour faire des bonds extraordinaires ! »

Ainsi de suite, tout ce à quoi elle pense, est rapidement contredit par sa logique.

Un chat noir, un vrai, la distrait. Il passe non loin d’elle puis s’arrête. L’un et l’autre se regardent. L’animal semble calculer le danger potentiel qu’il risque s’il s’approche de la jeune femme. Isabelle ne bouge toujours pas. Elle pense attirer le minou tout noir. Celui-ci avance de quelques pas puis s’arrête à nouveau quand la silhouette aux contours mal définis réapparaît subitement. Isabelle ne sait pas où donner son attention : à ce chat noir à l’air sympathique ou à l’autre animal qui est dans la maison ?

« Car il doit bien s’agir d’un animal. A part ça, je ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre. Même une créature est considérée comme animal, non ? » se pose-t-elle la question à voix haute.

Le chat s’est encore rapproché et il n’est plus qu’à une longueur de bras de la jeune femme.

Juste derrière la haie qui sépare cette maison de la rue, deux petites mésanges volètent bruyamment. Isabelle ne leur prête pas réellement attention.

Un peu plus loin, dans le jardin, une poignée de moineaux pépie à tue-tête. Ils semblent familiers car aucun ne semble réagir à la présence d’Isabelle ni au petit manège du chat. En effet,  devant elle, le félin noir s’est couché de tout son long. La tête face au ciel rosé, ses yeux se sont fermés. Sa bouche s’est entre-ouverte brièvement mais aucun son n’est sorti de la gueule de l’animal. Un miaulement muet qui pourrait dire mille et une choses.  Isabelle sourit. Il ressemble un peu à son Minou sauf que le sien a une petite tache blanche sous le menton.

Soudain, un son étrange sort de la pièce accidentée, au premier étage de la maison abandonnée. Isabelle fixe la fenêtre fantôme.

Le chat s’est redressé d’un bond, ses oreilles dirigées vers la source du bruit.

Puis, plus rien. Le calme est revenu aussi rapidement qu’il a été brisé. Les mésanges se reposent et les moineaux font silence. Mais le bruit revient et se fait de plus en plus fort, de plus en plus précis.

Isabelle hésite. Dans son enfance, elle a déjà entendu ça. Elle était une toute petite fille mais elle se souvient très bien de la frayeur qui l’habitait alors. Elle devait avoir cinq ou six ans. Elle était en vacances chez son oncle, à une centaine de kilomètres de ses parents. C’était la première fois qu’elle dormait ailleurs et elle avait peur de cette séparation. Mais sa maman était très malade et elle devait bien se soigner pour vite guérir. Dans la maison de l’oncle Thomas, le plancher en bois craquait à chaque pas que l’on faisait. Les fenêtres vibraient à chaque passage d’avion et les portes s’ouvraient au moindre courant d’air. C’était une vieille cabane, perdue au fond des bois, mais les alentours étaient splendides. Tous les jours elle avait droit à une balade dans la forêt ou à une promenade en barque sur le Lac des Ancêtres. Mais un jour, un immense oiseau avait traversé la vitre du living. Dans un fracas assourdissant, l’animal emplumé s’était remis sur patte très rapidement. Il était indemne. Avec cette incroyable histoire, ce qui avait le plus surpris la petite fille, c’était que l’oiseau croassait d’une manière terrible. Il hurlait et faisait aller sa tête de bas en haut à chaque cri qu’il poussait. La voix du corbeau était grave et rauque. Son plumage était aussi noir que du charbon et personne n’osait l’approcher. Même le regard du corvidé était obscur. Isabelle croyait que l’oiseau allait voler jusqu’à elle rien que pour transpercer ses yeux.  Ni son oncle, ni elle n’a jamais su pourquoi le grand corbeau avait atterrit chez eux mais cette aventure avait marqué à tout jamais la mémoire de la petite Isabelle.

– « Ce bruit, ce cri, cette raucité dans la voix… il est revenu pour moi ! Mais comment m’a-t-il trouvée ? Comment est-il encore vivant après toutes ces années ? » Les questions se bousculent dans sa tête. Sa terreur est telle qu’elle est tétanisée et incapable de faire le moindre mouvement pour s’en aller loin de là.

Alors qu’elle est paralysée, le chat noir, rapide comme l’éclair, bondit dans le lierre accroché au mur de la maison. L’agilité des chats n’est plus à prouver, c’est connu. Aussi souple qu’un serpent, aussi fort qu’un lion, il grimpe sur le mur et pénètre dans la maison, par la fenêtre inexistante. On devine aisément la poursuite qui s’engage puis la bagarre qui s’annonce. Le grognement du chat n’arrive pas à couvrir la voix de la bête qu’il affronte.

Soudain, un oiseau aussi noir que la nuit et aux larges ailes s’envole par la fenêtre en poussant des hurlements effroyables.

Penaud et fier comme un paon, le chat ressort de la maison en se dandinant lentement, la queue dressée bien droite. Il vient se frotter au dos d’Isabelle, comme pour la rassurer. Isabelle se calme, caresse le chat et se promet de ne plus jamais franchir un endroit interdit.

– ça va comme tu veux, Isa  ? Tu as une de ces têtes ! Tu devrais te voir dans un miroir. T’as vu un fantôme ?

– Un peu, oui. Virginie, la prochaine fois, je ferai comme toi. Plus jamais je n’irai dans un endroit que je connais pas !

ça pique

Deuxième petite histoire dans cette série. Vous aimez ? Encore merci à maman Cigalette pour l’illustration !

Isabelle adore l’automne et les arbres qui se parent de leurs plus beaux habits. Mais elle déteste les journées qui deviennent plus courtes et les nuits qui arrivent plus vite.

Décembre est le mois qui annonce le début des festivités, de son anniversaire et des vacances d’hiver, juste après les examens. Généralement, c’est à ce moment-là aussi que le temps devient plus froid et que son jardin s’active de la visite de petits oiseaux frigorifiés et affamés. A présent qu’elle a un jardin, elle n’hésite pas à offrir aux mésanges, rouge-gorges et autres moineaux, des repas pour les aider à affronter les rigueurs de l’hiver. Elle ne se doute pas qu’il n’y a pas que les oiseaux qu’elle va attirer…

Le soir, juste avant d’aller retrouver sa couette qui va la tenir au chaud toute la nuit, Isabelle retrouve son calendrier. Depuis le premier jour de ce mois de décembre, elle a un petit rituel avant d’aller faire dodo. Sa meilleure amie lui a offert un calendrier de l’Avent avec pour chaque carré qui sépare le jour de Noël, un petit conte brillamment imaginé par une de ses camarades de classe. Les vingt-quatre petits contes forment une très jolie histoire complète sur Noël. Isabelle ne se lasse pas de lire ces mini récits et doit s’obliger à respecter l’ouverture des cases sous peine de voir briser toute cette magie.

Il ne lui reste plus que six cases avant de découvrir la fin de l’histoire. Elle s’est déjà imaginée plusieurs fins et elle sait qu’aucune ne se rapprochera de la bonne.

Dehors il fait déjà nuit depuis plusieurs heures. Les oiseaux sont partis des mangeoires. La lampe du jardin est éteinte depuis la dernière visite de madame la pie. Comme à son habitude, Isabelle s’est installée dans son lit pour lire. Elle déplie le petit papier qui est caché derrière le carré du dix-huit décembre. Il y a deux pages dactylographiées. Elle espère enfin pouvoir connaître l’identité de l’animal qui a fait autant de dégâts dans le jardin du vieux Gaspard. Elle croit qu’il s’agit d’un croisement entre deux bêtes féroces. Un animal qui fait autant de dommages, autant de bruit et qui passe inaperçu ne peut pas vraiment exister.

Avec le temps, elle a sympathisé avec bien des animaux, surtout ceux qui visitent son jardin. Elle aime beaucoup ces perruches vertes même si celles-ci la réveillent certains matins. Même le chat du voisin vient parfois discuter avec le sien.

 » Tout compte fait, ce déménagement n’est pas si mal. Jamais je n’ai eu autant de petits copains à poils ou à plumes.  »

Isabelle vient d’entamer sa lecture du soir. Elle est fatiguée mais ce petit moment ne lui prend pas beaucoup de temps. Elle veut savoir ce que c’est. Elle est tellement prise dans son récit que lorsque son minou saute sur le lit pour la retrouver, elle sursaute.

– Petit filou, tu m’as fait une de ces peurs…prévient quand tu sautes.

D’un geste automatique, elle caresse à son chat puis lui fait un bisou entre ses deux oreilles. Elle reprend son papier. Le félin ronronne de plaisir. Il cherche sa place au milieu du lit, il tourne sur lui-même deux ou trois fois et s’installe tout contre les jambes de sa maîtresse. Son ronronnement met du temps à s’arrêter. Bercée par ce bruit familier, Isabelle est sur le point de résoudre l’énigme de son histoire quand, tout à coup, la lumière dans son jardin s’illumine ! Les tentures sont fermées, mais un fin trait de lumière perce sur le bord du mur et au plafond. Elle n’a pas le temps de terminer le dernier paragraphe qu’un étrange froissement l’inquiète. Cette fois-ci elle n’a plus envie de se faire avoir comme avec les petites mésanges de l’été dernier. A regret, elle dépose le conte, se lève et enfile son peignoir.

Sur le bas de la porte qui donne au jardin, armée d’une torche puissante, elle balaye tous les endroits et moindres coins de son jardin. Aucun écureuil ne s’est enfui à son arrivée. Aucun oiseau ne s’est envolé subitement à son approche. Peut être n’était-ce qu’une chauve-souris qui passait par-là et qui a déclenché le détecteur de la lampe. Car elle ne voit strictement rien.

Quand Isabelle fait un quart de tour pour rentrer dans sa cuisine, quelques feuilles mortes au fond du jardin s’affolent. Le tas de feuilles qu’elle a amassé ce week-end semble ne plus former une petite montagne mais plutôt un amas informe. La lampe-torche dirigée à cet endroit ne permet pas de distinguer quoi que ce soit d’anormal ou d’étrange. Mais la visibilité n’est pas bonne, des zones d’ombres restent encore.

« Oh je suis sûre que ce n’est qu’une souris !  »

Sur cette certitude, Isabelle rentre chez elle. Elle est bien décidée à terminer sa petite histoire.

Sur son lit, à la place de son coussin, Minou s’est couché sur les feuilles de papier. Pas du tout intriguée par ce qu’aurait vu ou entendu sa maîtresse, il semble dormir d’un sommeil profond. Isabelle ne veut pas trop le réveiller. Elle tire délicatement sur le bout de la feuille qui dépasse de ses pattes avant mais Minou ne dort jamais complètement. D’un geste rapide, il tend une patte et sort ses griffes. Surprise, Isabelle a retiré sa main, mais c’est déjà trop tard. Une ligne rouge apparaît rapidement sur l’index de la jeune femme. Au sommet, une goutte de sang perle et tombe sur la patte de son chat. Minou se lèche puis continue sa toilette et tente de soigner comme il peut la petite blessure qu’il a occasionnée chez sa maîtresse. Ce n’est pas la première fois qu’elle se fait avoir de la sorte avec son Minou. Généralement, ça lui arrive quand elle joue avec lui. Il est toujours le plus rapide mais Isabelle essaye, en vain, de gagner à ces petits jeux inoffensifs. Et comme à chaque fois qu’il gagne, autrement dit tout le temps, elle doit panser la petite plaie par un sparadrap.

En revenant de la salle de bain, elle jette un oeil par inadvertance au tas de feuilles qui se trouve au fond du jardin. A cette vision, elle s’arrête subitement de marcher.

« On dirait que le vent se lève. Il a balayé tout mon travail dans le jardin. Plus de feuilles ni de branches bien regroupées. Tout est éparpillé.  »

Mais dehors, il n’y a pas le moindre souffle de vent. Pourtant, au fond du jardin, les feuilles mortes font du bruit. Un peu comme si quelqu’un marchait dessus.

La lampe s’est rallumée pour la seconde fois.

Toujours persuadée que son visiteur est une petite souris, Isabelle ne prête plus attention au jardin. Elle est plongée dans sa lecture…

Le lendemain matin, déçue de ne pas avoir eu réponse à sa question dans sa lecture du soir, Isabelle veut à tout prix connaître son mystérieux visiteur à elle. Elle n’a pas peur des souris mais elle craint qu’elles ne se reproduisent. Elle ne voudrait pas être envahie par ses petits rongeurs même si c’était pour le plus grand plaisir de son Minou.

Elle n’attend pas neuf heures pour attaquer ses recherches. Aidée d’une brosse à balai, la jeune femme termine le travail qui a été commencé la nuit : il ne reste plus une feuille morte sur une autre pas plus qu’une branche couchée sur une autre. Et il n’y a rien. Pas une souris, pas un mulot, pas un rat. Rien. Puis, un peu plus loin, en dessous de son barbecue en béton, Isabelle découvre un nouveau tas.

– Tiens donc, tu te cacherais là-dessous petite souris ?

 Il y a, normalement, une boîte en carton presque vide de petits morceaux de bois pour attiser le feu du barbecue. Isabelle ne distingue pas très bien la boîte mais imagine sa forme. Elle est dissimulée par tout un tas de feuilles mortes ! La jeune femme tente une nouvelle approche mais son pied glisse dans quelque chose qui ressemble à de la boue. Sauf que ce n’est pas de la boue ! C’est plus foncé et…

– Ah ! Ça pue !

C’est en reculant et en mettant la main devant sa bouche et son nez que la jeune fille découvre des traces de griffes sur le pourtour de sa clôture. Les marques sont profondes et trop épaisses que pour être l’œuvre d’un minou. Ce sur quoi elle a marché pourrait par contre correspondre à des déjections félines. Isabelle est dubitative. Il est certain qu’un animal doit rôder dans les parages mais lequel ?

Le dessous du barbecue est trop bas pour que la jeune femme puisse s’y glisser et y chercher quoi que ce soit dans la boîte en carton. Alors elle tend le bras. Elle enfonce sa main en plein milieu du tas quand, piquée à vif, elle crie de douleur et tombe en arrière. Sur presque tous ses doigts, de minuscules trous se sont formés et à chacun des orifices, une goutte de sang apparaît. Dans le creux de sa main, des éraflures à ne plus en finir strient sa paume. Isabelle tient son poignet par l’autre main. Elle jure et secoue sa main endolorie en même temps. Remise sur ses pieds, elle s’agenouille à même l’herbe humide et perce du regard ce qui reste du tas secoué. A une cinquantaine de centimètres de ses genoux, une petite boule brune respire péniblement. Isabelle ne distingue pas ses yeux, ni ses oreilles, ni même son nez. Elle perçoit tout juste les mouvements paniqués d’un corps qui se soulève et s’abaisse à un rythme apeuré. Le petit hérisson est resté en boule. Isabelle l’a réveillé en sursaut et son rythme cardiaque est troublé. La jeune femme s’en veut de ne pas avoir pensé à lui plus tôt. Elle sait, grâce à sa cousine, que réveiller un tel animal est dangereux pour lui. Alors, elle s’en va, rentre dans sa cuisine et découpe une pomme et une banane bien mûre qu’elle n’a pas encore jeté. Elle dispose le menu repas tout près du mammifère qui n’a toujours pas sorti sa tête. Ensuite, elle tente, un peu maladroitement, de reconstituer l’abri de fortune qu’il s’était fait. Elle espère qu’il va manger ce qu’elle lui a préparé puis se rendormir.

Bruit mystérieux

Je commence à vous soumettre une série de petites histoires écrite il y a un bout de temps mais que, pour une raison ou une autre, je n’ai jamais montré dans son entièreté. Voici le tout premier texte. Dites-moi ce que vous en pensez, si vous aimez, si vous trouvez ça pas terrible ou écrit maladroitement… j’en ai 10 autres à vous proposer :-)

Et je tiens à remercier ma Cigalette, enfin ma maman pour les illustrations !

Tic-tic.

Le printemps a commencé avec ce bruit. Il fait déjà chaud pour la saison. Cinq degrés au-dessus de la moyenne saisonnière. C’est ce que dit le météorologue de la télévision.

Isabelle s’est levée de mauvaise humeur ce matin. Ce tic-tic l’a tirée de son sommeil. Les yeux encore mi-clos, elle va voir d’où provient ce petit bruit. Mais elle ne voit rien. Elle se recouche alors, en peignoir.

Tic-tic.

Ça recommence. Cette fois, elle sait avec plus de précision d’où ça vient. Elle se dirige d’un pas certain vers la fenêtre et tire d’un coup sec ses tentures. Eblouie par la lumière du jour, elle se surprend elle-même. Isabelle met ses mains devant ses yeux sensibles.  Elle referme tout aussi vite les tissus épais. Elle ne pense qu’à retrouver le calme de ses rêves mais cette fois, elle est complètement réveillée.

La journée s’annonce mal.

Enervée, elle ne voit pas la queue toute poilue de son Minou et marche dessus sans aucune délicatesse. Un miaulement horrible déchire les tympans d’Isabelle et lui fend son cœur. Elle s’agenouille et tente d’appeler son petit chat pour s’excuser et lui faire le plein de câlins. En vain, il se cache en dessous du lit et ne bouge plus.

Il y a de ses jours où tout va mal.

Après s’être un peu brûlée le corps avec une douche trop chaude, Isabelle n’a pas pu boire son chocolat du matin. Elle a oublié d’en racheter.

Sa journée à son travail n’est pas des plus glorieuse. Elle se fait réprimander par sa chef à cause de son humeur exécrable et se fait carrément enguirlander par une collègue. Mais dix-sept heures sonnent. La fin d’une journée médiocre s’annonce enfin.

Après avoir fait rapidement les courses dans le petit supermarché au coin de sa rue, Isabelle rentre chez elle, non mécontente de retrouver son chat et le calme de sa petite maison. Elle enrage encore sur cette caissière trop lente quand le tic-tic la surprend une nouvelle fois !

Trop fatiguée et excédée, elle ne va pas voir à la fenêtre ce que c’est. Le visage dans les mains, elle pleure. Elle se laisse aller. Personne n’est là pour la regarder se vider de ses larmes. Personne pour la réconforter. Personne pour l’écouter. Personne pour la serrer dans ses bras.

Elle se sent seule, mal-aimée et complètement vidée d’énergie.

Dans sa petite maison qu’elle a héritée d’une tante, elle ne doit pas aller bien loin pour se faire couler un bon bain. Isabelle n’a pas faim. Avant d’aller se coucher, elle va se détendre un peu. Elle vérifie à deux reprises la température de l’eau avant d’y déposer le pied, la jambe puis son corps tout entier. Le parfum lavande de la mousse envahit la pièce. Une chanson revient dans sa tête et la rend nostalgique.  Sa grand-mère lui manque, elle est décédée il y a deux semaines et elle se rend compte, trop tard, qu’elle comptait beaucoup pour elle.

Tic-tic.

Cette fois-ci, impossible à Isabelle d’aller voir ce que c’est que ce bruit. Elle plie les jambes et met sa tête, jusqu’aux oreilles, dans l’eau tiède. Elle n’entend plus rien, elle ne pense à plus rien.

Une demi-heure plus tard, elle sort du bain, complètement relaxée. Elle réussit à oublier cette mauvaise journée et est décidée à passer une bonne soirée, dans son lit, à lire son livre préféré.

Des boules d’ouates dans les oreilles, plus aucune sonorité ne vient titiller sa curiosité. Plus aucune chanson ne vient perturber ses sentiments du moment. Son esprit est tranquille.

Confortablement installée dans son petit lit douillet et chaud, elle commence la lecture de son troisième chapitre quand une petite ombre se détache des tentures mal fermées. Même si la jeune femme ne regarde pas dans cette direction, ses yeux peuvent voir cette chose bouger dans les airs, à proximité de sa fenêtre. Elle change de position et tourne le dos à cette ombre volante.

Elle finit par s’endormir assez rapidement, le livre encore dans les mains.

Le lendemain matin, toujours réfugiée dans ses boules d’ouates, Isabelle n’entend rien du petit bruit. Pas même la sonnerie de son réveil ne l’a éveillée! Elle est presque en retard. Elle doit se dépêcher. Rapidement, elle se douche, s’habille en toute hâte et avale son chocolat d’une traite. De bonne humeur et à l’heure, Isabelle passe une bonne journée et c’est le sourire aux lèvres qu’elle rentre chez elle après une journée de travail.

Tic-tic.

« Est-ce que ce bruit s’arrête quelques fois ? » Se demande Isabelle au fond d’elle-même. A cet instant, elle est bien déterminée à trouver la source de ce bruit qui lui tape sur le système nerveux. Tout en se dirigeant vers la même fenêtre que deux jours plus tôt, elle happe un petit paquet de terreau qui traîne sur l’étagère.

Minou pense que c’est  pour lui. Il se frotte aux mollets d’Isabelle. Il a déjà tout oublié de l’incident de la veille et revient auprès de sa maîtresse tout en ronronnant. Quelques caresses plus tard à Minou, elle ouvre la fenêtre de sa chambre et dispose méticuleusement un lit de terre sur l’appuie de fenêtre et sur le sol. Elle vaporise l’ensemble pour que le tout forme une masse compacte et solide.

– Si quelqu’un passe par-là, il va obligatoirement laisser des traces dans ce terreau humide, dit-elle tout haut.

Bien que cette idée ne semble pas mauvaise, Isabelle a quand même peur du résultat. Et si c’est quelqu’un qui l’épie ? Et si elle découvre des traces de pas ou d’une main ? Elle sourit quand même un peu, elle se croit presque dans un tournage de film policier. Elle a beaucoup d’imagination.

Pour l’aider dans sa psychose, l’ombre volante revient, elle aussi, le soir, avant le coucher du soleil.

Le lendemain matin, le bruit la réveille à nouveau. Elle s’y attendait un peu. Elle patiente quelques instants avant d’ouvrir doucement les rideaux. Elle ne voit toujours rien. Pas même une trace dans la terre !

Au bout d’une semaine, Isabelle n’entend même plus ces bruits. Ses oreilles s’y sont habituées. Son cerveau s’est accoutumé. C’est devenu un bruit familier. Elle a arrêté de se faire des films et même l’ombre ne la perturbe plus.

Mais quinze jours plus tard, ce bruit triple en volume et en durée. Ça devient agaçant et énervant. Impossible pour Isabelle de ne plus y prêter attention.

Elle ne voit toujours rien et elle est sûre que cela ne peut pas provenir de la conduite d’eau un peu trop vieille ou des tuyaux du chauffage car c’est régulier et surtout c’est précis comme une horloge. Chaque matin, c’est à la même heure et chaque soir aussi. Et puis cette ombre, elle appartient quand même à quelqu’un ou à quelque chose, pense tout haut la jeune femme, comme pour s’en convaincre.

Isabelle ressort alors sa vieille caméra. Cet appareil est sans doute vieux mais fonctionne encore. Tout est fin prêt pour enregistrer le coupable de ce bruit et donner un visage à  cette ombre. Elle change l’heure de son réveil pour être là avant que tout cela ne commence.

Dissimulée dans un tissu sombre, la caméra passe totalement inaperçue vue du dehors.

Sans voir quoi que ce soit, Isabelle appuie sur le bouton enregistreur dès que les premiers bruits se font entendre. Au bout de quelques rapides secondes, elle manque de tomber à la renverse tant les bruits deviennent forts et proches.

Par précaution, elle s’est un peu éloignée de la caméra. Elle a pris son coussin entre les bras. La caméra continue d’enregistrer.

Minou, qui est tout près d’elle, entend aussi ce bruit. Sa queue bouge vigoureusement. Il ne quitte pas les yeux de la fenêtre. Un miaulement timide sort de sa gueule fermée. Il est à l’affût. Lui seul connaît l’identité de ces intrus. Ces pépiements, il les reconnaîtrait entre milles. Soudain, le chat ne tient plus en place. D’un bond il saute derrière le rideau, sur l’appuie de fenêtre, et met ses pattes avant contre la vitre. Sa queue chasse toujours aussi sèchement, les mouches invisibles.

Le bruit a disparu. Minou a gagné ! Isabelle est rassurée.

Toujours réfugiée dans son lit, Isabelle rembobine la cassette vidéo. Une main cache ses yeux. Comme quand elle était toute petite, elle ne laisse passer qu’un trait de lumière entre deux doigts, juste assez pour voir un petit bout de ce qu’elle n’ose pas trop regarder.

Puis, après un court laps de temps, un autre bruit, plus étouffé, sort de la bouche de la jeune femme.

La terrible chose qui lui fait si peur et qui intrigue autant Minou n’est rien d’autre qu’une famille de petites mésanges qui vient picorer le mastique de la fenêtre ! Elle enlève la main de sa bouche et rigole plus franchement !

Léon le petit hérisson

Léon, le petit hérisson (nouvelle parue en 2010, dans mon recueil « Mes animaux imaginaires« )

Sur le chemin de terre qui mène à une ferme, il y a un petit hérisson penseur. Il trouve que le temps se rafraîchit bien vite et qu’il serait temps pour lui de chercher un abri pour hiberner tranquillement.

Il marche à son aise, faisant bouger ses picots à droite puis à gauche. À la vitesse à laquelle il avance, il risque fort de ne pas arriver dans son jardin favori avant le lever du jour.

Soudain, un bruit fort le met en boule. Il ne bouge plus, tétanisé par ce qu’il vient d’entendre. Ça ressemble étrangement à un coup de fusil. L’éclat recommence et on dirait même qu’il se rapproche. Léon, le petit hérisson, ose relever la tête et avance un peu plus vite. Il est presque drôle à courir ainsi. Mais il a peur. Il ne pense même plus à faire un tour dans le potager, à la recherche de quelque limace bien gluante et si succulente à se mettre sous les dents. Il fonce, tête en première dans un tas de feuilles mortes.

Nous sommes fin octobre. L’automne est bien présent et les arbres se déshabillent de leurs feuilles. Léon a déjà commencé à faire ses provisions pour l’hiver et il veut encore un peu manger, histoire de pouvoir dormir le ventre plein. Car il devra dormir longtemps, très longtemps, avant de pouvoir ressortir de sa cachette.

Mais le bruit se fait de plus en plus proche. Il n’ose même pas trembler, de peur qu’on le découvre.

Une demi-heure plus tard, quand plus aucun bruit ne se fait entendre, Léon ose, timidement creuser la terre pour sortir le bout de son museau et voir ce qu’il se passe. Rien à l’horizon si ce n’est une très vieille voiture qui n’était pas là avant. Il attend encore un instant et éclate de rire. Il a complètement oublié que ce tas de ferrailles fait toujours un bruit du diable quand il roule ! Le pot d’échappement est troué depuis des mois et c’est seulement maintenant qu’il se rend compte du potin qu’il fait !

Le vent froid rentre dans les petites narines du mammifère. Bien à l’abri, le petit hérisson change d’avis. Tout compte fait, il est bien là parmi le tas de feuilles et de branches. Il se retourne, se remet en boule mais cette fois-ci, c’est pour se tenir au chaud et garder une position confortable. Il ferme les yeux. Son cœur ralentit et il commence un long, un très long dodo. Il ne se réveillera, bien plus tard, que quand la nature sera douce et belle.

Par la fenêtre de la cuisine, Maxime a tout vu. Le petit garçon en pyjama va vite trouver ses parents encore au lit pour leur chuchoter qu’il ne faut surtout pas toucher aux tas de feuilles mortes du jardin, qu’il y a la, là dedans, une merveilleuse petite boule piquante qui s’y est réfugiée.

Sassi, le serpent sans dent

Il était une fois dans une forêt, un drôle de serpent. Sassi, c’est son nom, est triste depuis qu’il a perdu ses dents de lait.

Sa maman lui a toujours dit de cacher les dents qui tombent, sous son oreiller. Ainsi la petite souris passe, prend la dent et laisse derrière elle un merveilleux cadeau. Mais Sassi adore jouer…aussi à chaque fois que passe une souris, il joue avec elle et l’effraye à jamais ! Si bien qu’à la fin, toutes ses dents de lait sont tombées et qu’aucune souris n’a survécu au passage de l’oreiller. Toutes sont en effet mortes de peur !

Pour le punir de son comportement espiègle, Sassi n’a pas vu repousser la moindre nouvelle dent d’adulte dans sa belle bouche.

Tout de vert vêtu, le jeune Sassi rampe lentement dans la forêt à la recherche de quelque fleur à sucer. Faute de dent, il ne peut désormais plus mâcher quoi que ce soit. Ses maigres repas ne lui suffisent plus. Il se doit de trouver autre chose à se mettre sous les gencives.

Un peu affaibli, Sassi part dans un endroit de la forêt qui lui est encore inconnu. Il ne peut plus supporter les moqueries des autres serpents et le désespoir de ses parents à le voir fuir toute proie succulente.

Très vite, il quitte le territoire familial pour se retrouver dans un drôle de jardin secret. Ici, tout est différent. Il y a plein de couleurs, des cascades qui ruissellent, des nénuphars qui flottent et il y a même de la douce musique dans l’air. Sassi n’est pas habitué. Il a un peu peur de l’inconnu et n’ose s’aventurer plus loin. Caché derrière une grosse plante odorante, il observe tout ce qu’il peut. Les yeux grands ouverts, la langue fourchue bien calée et silencieuse, le serpent vert ne bouge pas d’une écaille.

Comme il n’ose plus bouger, ses muscles s’engourdissent et il s’assoupit.

Non loin de là, Picolo, un étrange écureuil, chantonne une mélodie. Le regard perdu dans les cimes des arbres, il ne voit pas Sassi. PAF ! L’écureuil se prend les pattes dans le serpent. Sassi se réveille en sursaut. Le reptile tente de s’enfuir en rampant sur l’arbre le plus proche. Et Picolo, un peu surpris dans un premier temps par ce prédateur, se cache dans un buisson. Dissimulé de la sorte et en sécurité, l’écureuil observe attentivement la technique de fuite du serpent. Il ne réalise pas immédiatement que c’est la première fois qu’il voit un serpent fuir à cause de lui !

Picolo l’écureuil est né avec des pattes avant bien trop petites et il ne peut grimper aux arbres. Il ne peut pas se blottir dans un petit trou ni faire sa toilette du haut des feuillages en été. Il est condamné à rester au sol et à récupérer le peu de nourriture qui tombe à terre. Souvent il n’a que les restes ou des noisettes de piètre qualité car les meilleurs morceaux sont encore accrochés dans les hauteurs.

Soudain, il vient de voir tous ses problèmes se résoudre grâce à cette chose rampante. Sans prendre le temps de faire connaissance, Picolo hèle Sassi et lui demande s’il peut l’aider. Interpellé par cette question, le serpent cesse de ramper. Il se retourne pour mieux voir son interlocuteur. Tout surpris de voir une petite tache rousse à terre, il descend de son perchoir et tente une approche plutôt timide. Arrivé à hauteur du petit mammifère, Sassi s’arrête net et demande comment lui, un serpent sans dent et sans doute d’aucune utilité, pourrait bien l’aider. Picolo, tout excité à l’idée de pouvoir réaliser son rêve, bondit sur le dos de Sassi.

Étonné mais plus du tout apeuré, Sassi avance lentement et continue de parler. Il est rapidement interrompu et comprend enfin où Picolo veut en venir. Pas du tout habitué à avoir un cavalier sur son dos, Sassi a peur d’être maladroit ou de faire du mal au petit écureuil. Mais picolo s’agrippe fermement à la peau dure et écaillée du serpent.

Très vite, ils sont dans les branches les plus hautes du chêne du jardin. Picolo n’en revient pas de la beauté du paysage qui s’offre à lui. De belles et grosses noisettes empêchent sa vision d’aller plus loin. Son ventre fait du bruit. Il a faim. Sassi aussi.

L’écureuil explique au serpent qu’ils vont devenir les meilleurs amis au monde.

Aussi vite qu’ils font connaissance, Sassi rampe jusqu’aux noisettes, Picolo fait ses provisions et Sassi salive abondamment quant à l’idée du repas qu’il va bientôt avoir.

Alors que l’écureuil savoure patiemment chacune des noisettes cueillies, Sassi, lui, décroche une fleur délicieusement parfumée.

Grâce aux incisives très puissantes de l’écureuil, Sassi va avoir une bouillie de noisettes à la sauce de nectar de rose. Et ce succulent repas n’est qu’un début.

Les semaines passent et les deux compères continuent de s’aider à s’alimenter. Sassi ne souhaite plus du tout quitter ce paradis, surtout depuis qu’il a appris comment les vrais serpents font pour se nourrir : étrangler, envenimer, étouffer, mordre… ! Brrr ! Que de violence, alors qu’il suffit de se trouver un bon ami !

Bouba l’oiseau magicien

Cette histoire est dans mon premier recueil : « Mes animaux imaginaires »

Bouba est un drôle d’oiseau. Tu l’as sûrement déjà rencontré dans la rue, j’en suis sûre. Bouba est un oiseau très commun, mais la plupart du temps, les gens passent à côté de lui sans même lui jeter un seul regard. Bouba est une corneille. Un beau et jeune mâle d’une saison (trois mois en langage d’homme) qui n’attend qu’une chose : avoir fini sa croissance.

Tu ne vois pas à quoi ressemble ce drôle d’oiseau ? Et bien je vais t’en faire une rapide description et avec ça, je suis certaine que tu vas me dire que tu l’as déjà croisé sur le chemin de l’école ou même dans ta rue.

Bouba est noir, de la tête aux pattes. Il est plutôt grand et il se balade souvent en compagnie d’autres camarades tout aussi noirs que lui. Il se déplace souvent en marchant et parfois il fait entendre sa drôle de voix quand il joue et vole dans les airs. Enfin bon, cette description, je dois bien l’avouer, est juste quand Monsieur Bouba veut bien se laisser voir de la sorte. Car vois-tu Bouba aime se déguiser. Oui, il adore la magie. Depuis tout petit, depuis sa sortie de l’oeuf en fait, il veut devenir un magicien. Il veut voir plein de couleurs autour de lui. Il veut impressionner, il veut intriguer, il veut être celui que tout le monde admire. Ses parents ont beau essayer de lui expliquer qu’il est ce qu’il est et que rien n’y changera, Bouba, têtu, ne les écoute pas. Bouba n’est décidément pas un oiseau comme les autres.

Son premier tour de magie, il le fait sur lui. Il badigeonne son plumage de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et met des lentilles bleues dans ses yeux. Il couvre sa tête d’un chapeau cerise et parle en chantant.

— Maître corbeau sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage. Maître renard par l’odeur alléché lui tint à peu près ce langage…..

Personne ne le reconnaît et tout le monde le regarde avec de grands yeux tout ronds. C’est qu’il est rigolo avec ses taches un peu partout sur le corps et son étrange regard azuré. Mais, très vite, il change d’avis. On rigole tellement de lui que ça ne l’amuse plus. On le prend plus pour un clown que pour un magicien. Il décide alors de faire ses tours de passe-passe sur les autres.

Un jour, alors qu’il se repose dans un parc et qu’il se dore au soleil, il croise un groupe de pies. C’est, à ce qu’on dit dans le village, les filles les plus bavardes et les plus bruyantes. Et c’est bien vrai ! Ces demoiselles parlent à haute voix afin que tout le monde les entende. Elles n’hésitent pas à commérer les pires histoires et on les soupçonne même d’inventer des ragots ! C’est ce jour-là que Bouba apprend qu’un jeune garçon vient d’être grondé par ses parents parce qu’il a fait pipi sur lui. Le petit enfant n’a que trois ans et ses parents sont très stricts avec lui.

Fils unique, Timothy est souvent puni pour des bêtises d’enfant. Mais quoi de plus normal de faire des bêtises à son âge ? Quoi de plus naturel que d’être un enfant insouciant ?

Ce matin-là, Timothy accompagne ses parents à une réception. Son père qui lui demande de se tenir bien sage et de ne pas lui faire honte devant son patron, ne prête aucune attention à lui. Personne ne joue avec lui. Il s’ennuie et passe son temps à boire des limonades et à écouter les conversations des grands. Mais quand, après avoir vidé trois verres de jus de pommes, le petit garçon supplie son père pour lui poser une question, il est discrètement, mais fermement repoussé à l’écart par une main grande et froide. Timothy ne peut plus se retenir pour faire pipi et il n’ose pas demander à sa maman. Il n’ose plus depuis qu’il a entendu sa maman dire qu’il était un grand garçon et qu’il pouvait se débrouiller tout seul.

Timothy fait les cent pas dans le salon, à la recherche des toilettes. Il est timide et ne pense même pas à parler aux inconnus. Désespéré de ne pas les trouver, il se dirige dans le jardin, tente de se faufiler derrière les grands buissons quand son père le bouscule et le force, de la main sur la tête, à avancer. La dernière tentative de Timothy à s’expliquer reste en suspens, car son père estimant qu’il n’avançait pas assez vite lui tire l’oreille et l’emmène dire bonjour à son patron. Il est trop tard. Dans les derniers mètres qui les séparent de l’employeur de son papa, Timothy mouille son petit slip. Une grande auréole tache son pantalon en jeans et une petite flaque glisse à ses pieds devenus raides de peur et de honte. Pour ne pas faire mauvaise impression devant son big boss, le père ne gronde pas son fils. Hélas, il se rattrape une fois qu’ils sont arrivés à la maison. Non seulement Timothy est grondé sévèrement, mais pour la deuxième fois de la semaine, il reçoit une fessée magistrale. Et sans les langes pour le protéger, cela lui fait terriblement mal. Le petit garçon n’espère plus qu’une seule chose : retrouver sa chambre et surtout son lit pour pleurer et pour dormir. Il aime dormir, car il fait de jolis rêves dans lesquels il s’imagine une autre vie.

Bouba qui a vent de cette histoire par les demoiselles les pies, se promet de faire quelque chose pour aider ce pauvre petit garçon.

Le soir même de cette punition injuste, le drôle d’oiseau noir se faufile dans la chambre des parents de Timothy. Ce premier soir, il ne fait rien. Il prend ses repères et scrute les moindres détails de la chambre à coucher. Il compte le nombre de pas et de coups d’aile qui le sépare de la grande fenêtre et enregistre dans sa tête le trajet et le temps qui lui faut pour s’enfuir à toute hâte.

Le lendemain, il se cache dans les rideaux et les fait bouger du bout des rémiges. Mais ce petit geste ne perturbe pas le moins du monde les parents. Sans doute mettent-ils cela sur le compte du vent, car ils ferment de suite les fenêtres et enfilent un peignoir.

Le troisième soir, Bouba décide qu’il est grand temps d’user de ses talents. D’un tour d’aile, il fait valser un splendide vase en porcelaine qui est sur la commode, en face du lit. D’un simple regard, il allume un feu d’artifice dans la chambre. Le cri aigu de la maman réveille en sursaut son époux. La femme commence à s’inquiéter et ses mains tremblent de peur.

Le quatrième soir, l’énorme miroir de l’armoire à vêtements vole en éclats et les mille morceaux se répandent sur et dans le tapis. Une peur folle se lit désormais dans les yeux de la madame tandis que le monsieur persévère à trouver réponse à ces drôles d’événements.

Le cinquième soir, au moment d’allumer les lampes de chevet, les plombs de toute la maison sautent ! Les piles des lampes de poche sont plates et les mèches des bougies en cire refusent de prendre feu. Ça commence à en être de trop pour la maman de Timothy. Elle ordonne à son mari de trouver une solution sinon elle exige un déménagement ! La crise de nerfs de la maman passe, le père se recouche alors que Timothy ne comprend rien à ce qu’il se passe, mais laisse un sourire se dessiner sur ses lèvres quand il voit sa maman gronder son papa.

Bouba rigole, son plan marche à la perfection. Plus qu’un ou deux tours et il vengerait Timothy.

Le septième jour, alors que tout semble calme dans la demeure, Bouba rentre dans la pièce, devenue si familière. Depuis cette nuit, le père dort seul dans le grand lit conjugal, son épouse a préféré dormir cette nuit et jusqu’à ce que tout cela s’arrête, chez ses parents.

L’homme ne semble pas se soucier de ce qu’il va se passer, il dort d’un profond sommeil. Bouba s’approche sur la pointe des pattes du lit. Du bout du bec, il retire tout délicatement la boule d’ouate qui se trouve dans l’oreille de l’humain. Ensuite, le grand magicien avale le contenu d’un drôle de récipient rouge, gonfle son torse, ouvre largement son bec et pousse un cri aussi effroyable qu’étonnant. Il vide tout l’air de ses poumons et s’envole en toute hâte. Un épais brouillard s’installe dans la chambre et le cri résonne dans la pièce devenue vide et noire.

Saisi dans ses rêves, l’homme est pris de panique et se réveille en sursaut dans un lit mouillé. Il lui faut un temps assez long avant de comprendre ce qu’il vient de lui arriver : il a tellement peur qu’il fait pipi dans son lit ! Bouche bée, il ne réalise pas ce qu’il se passe et se sent complètement perdu, désorienté et seul.

Timothy est lui aussi réveillé et court dans la chambre de ses parents. Quand l’enfant découvre la trace informe de l’urine sur le lit, il lève la tête et pose des yeux interrogateurs à son papa. L’homme, ce père si fort, devient tout rouge et confus. Il n’ose soutenir le regard de son fils et détourne la tête.

Depuis cet instant, plus jamais Timothy n’est grondé pour quoi que ce soit par son papa et sa maman a, comme par enchantement, retrouvé tout l’amour et la protection qu’elle lui donnait quand il n’était qu’un nouveau-né. Aussi grand soit-il devenu, Timothy retrouve les bras doux et apaisant de sa maman.

Dehors, un oiseau noir croasse de bonheur.