Mystère dans un parc bruxellois

Par un printemps horrible, froid, venteux et pluvieux, des enfants sortent de l’école et empruntent le chemin d’un parc pour trouver le tram qui doit les conduire jusque chez eux.

Sur le trajet, ils s’arrêtent. Malgré les gouttes de pluie qui fouettent leur visage, ils restent immobiles et observent quelque chose au milieu d’une pelouse, à proximité de l’étang.

A votre avis, qu’est-ce qui peut bien les intriguer ? Ce canard magnifique ?

Ou cet échassier au poignard affuté ?

Ou peut-être ce couple d’oie qui vient jusque chez eux ?

Non ! Moi je pense plutôt que c’est ce gros animal, vous voyez, celui qui est presque couché ventre sur le sol, juste devant les pigeons. Je recadre pour que vous voyez un peu mieux…

A votre avis, quel est ce trésor qui semble caché sous ses pattes ? Un petit indice…

Il y en a combien de petites boules duveteuses ? 3 ? 4 ? 5 ? 6 ? Aide : il y en a plus que sur la photo où il y a tous les pigeons.

Visez plus haut ! Et comptez !

Bon, ils sont un peu loin, et surtout, il pleut trop que pour faire la photo « à découvert »… je recadre

Pardon ? Vous ne lez voyez pas bien ? Peut-être vu sous cet angle ? Ils sont moins « collés »…

C’est ce qu’on appelle une famille nombreuse, très nombreuse :-) mais il faut bien ça avec les prédateurs qui courent les étangs et les parcs. N’empêche quel courage et surtout comment font-ils pour garder un œil sur tous ? Avant hier, il y en avait quatre ou cinq qui galopaient le chemin de terre, par-delà le grillage. Ce sont des oiseaux nidifuges, autrement dit, dès qu’ils sortent de l’œuf, ils « fuient » le nid, tout emplumés, ils peuvent déjà voir, marcher et manger.

Pour le plaisir des yeux, une autre photo de l’année passée, par ciel découvert et soleil lumineux. (ceux-ci étaient un peu plus âgés)

 

Visite au centre de sauvegarde

Tiré de faits réels  :-)

Noémie et sa classe sont en excursions. Le matin, ils découvrent la vie dans une ferme puis l’après-midi, ils visiteront un centre de sauvegarde pour animaux sauvages.

Toute la matinée se passe tranquillement. Ce n’est pas la première fois que l’école organise cette rencontre avec une ferme de la région. Noémie n’attend qu’une chose, que l’après midi arrive au plus vite.

Au centre de sauvegarde, le soigneur a dicté une certaine règle de conduite.

–          Les animaux sauvages sont fragiles et très sensibles. S’ils sont ici, c’est pour être soignés. Il leur faut du calme. Je ne veux aucun cri ni geste brusque et personne ne courre dans les couloirs. Il est interdit de s’approcher des animaux ou de tenter de les toucher au travers des barreaux. Si vous avez des questions, notez-les et je répondrai à toutes vos interrogations une fois la visite terminée.

Dans les rangs, chuchotements de surprise et petits rires moqueurs de la part de certains élèves dits « perturbateurs. »

Noémie a les yeux grands ouverts. Dans les premières cages « à oiseaux », elle découvre en effet des petits oiseaux. Elle reconnaît un moineau. Celui qu’elle identifie sans mal a une patte abîmée. Il lui manque des doigts et il a l’air fatigué.  Un peu plus loin, elle voit d’autres oiseaux, qu’elle ne connaît pas.

« Comment s’appellent les oiseaux dans les cages 5, 6, 7 et 8 ? » Marque-t-elle dans son carnet.

A l’opposé des cages, il y a cinq boxes fermés avec une porte. Une petite fenêtre, un peu trop haute pour elle, permet au soigneur de savoir quel animal se trouve là.

« Qu’y a-t-il dans ces boxes ? » Noémie continue ses questions.

Dans la cour, deux immenses volières côte à côte, envahissent ce qui devait être auparavant un grand jardin. Des filets souples et d’autres grillages plus rigides composent cette volière impressionnante. De hautes plantes, des morceaux de troncs d’arbre et d’autres cachettes dissimulent des rapaces en convalescence. L’adolescente réussit à deviner l’un d’entre eux à cause de ses serres jaunes qui dépassent d’une plante bien verte.

« Combien et quels rapaces se trouvent dans les grandes volières ? » Note-t-elle à la suite de ses deux premières questions.

De l’autre côté des boxes, aussi à l’extérieur mais à l’abri du vent et d’autres intempéries, une troisième volière. Plus basse mais encore plus fournie en cachettes, celle-ci a aussi un petit étang artificiel. Des dizaines de petits oiseaux volettent en tous sens. L’adolescente n’arrive pas à les compter tellement ils ne cessent de bouger. Quand l’un ou l’autre se pose enfin, elle admire ces animaux qu’elle pense ne jamais revoir autre part que dans ce centre ou dans un zoo. Un canard se laisse timidement apercevoir sur l’étang, juste en dessous d’une branche.

–          Ouah, qu’est-ce qu’il est beau ! Je n’ai jamais vu de canard aussi joli ! Chuchote-t-elle à sa copine de classe.

«  nom du splendide canard » Écrit-elle joyeusement dans son carnet.

Quand elle pense avoir fait le tour du centre, la voix grave du soigneur l’interrompt dans ses pensées.

–          Et pour terminer, voici les boxes semi-ouverts. Ceux-ci sont prévus pour recevoir des animaux qui devront bientôt sortir pour retrouver leur liberté. Certains ont des cachettes pour pouvoir échapper à des bruits ou des observations trop effrayantes pour eux.

Contrairement aux autres boxes tout à fait fermés, ceux-ci ont des portes grillagées entièrement transparentes. Tout le monde s’émerveille devant ce renard craintif et curieux. Le mammifère recule jusque dans le fond mais ne va pas se cacher dans sa boîte en bois.

« Que mangent les renards dans le centre ? » Pense-t-elle clôturer sa liste de questions.

Dans le boxe suivant, l’animal ne se laisse pas apercevoir. Les suivants sont vides et le soigneur invite toute la classe à se regrouper dans le garage pour poser les éventuelles questions.  Noémie tourne la page pour débuter son questionnaire mais elle n’a pas le temps de lever le doigt qu’une personne vient chercher le soigneur.

–          Un oiseau rare. Tu peux t’en occuper si je me charge du groupe ?

L’ado est toute émoustillée.

–          Un oiseau rare ? Je crois que tous les oiseaux que j’ai pu voir ici, je ne les ais jamais vus. Ils sont tous rares pour moi, dit-elle à sa copine.

–          Tu crois que c’est un aigle ? lui répond son amie.

–          J’en sais rien, chuut, regarde par là.

Noémie en a oublié ses questions. Elle est obnubilée par la caisse en carton qu’elle peut voir dépasser du bureau d’accueil. Son institutrice l’interpelle doucement.

–          Noémie, c’est ici que tu es, pas là bas. Écoute les explications de monsieur et pose tes questions si tu en as. Je suis sûre que tu dois en avoir.

–          Oui, madame. Mais vous savez ce que c’est comme oiseau, là bas ? Un oiseau rare ?

L’autre soigneur trouve là l’occasion d’aborder le thème de rareté chez les oiseaux. Ému par la curiosité de la jeune fille, il finit par révéler l’identité de l’oiseau et mentionnant toutefois qu’il est menacé d’extinction.

–          Attendez-moi un instant les enfants. Je reviens de suite.

Quelques élèves parlent de ce qu’ils ont vu dans les cages. Peu semblent autant s’intéresser aux animaux sauvages que l’adolescente.

Le soigneur revient et s’approche d’elle.

–          Comme tu m’as l’air sage et que tu sembles vraiment porter un intérêt aux animaux, tu peux aller à l’accueil voir l’engoulevent…mais chuuut, doucement hein.

Noémie n’en revient pas ! Elle interroge du regard son institutrice, elle peut y aller. Elle dépose ses affaires sur le sol et avance tout doucement vers la pièce. Quand elle ouvre la porte, le soigneur qui a fait la visite lui chuchote :

–          Tu veux bien éteindre la lumière s’il te plaît. C’est un oiseau  nocturne, il n’aime pas trop la lumière du jour.

La lumière artificielle éteinte, il reste un faible éclairage qui perce d’une des fenêtres qui donne dans le garage. C’est juste assez pour que les humains puissent encore voir quelque chose.

Le soigneur ouvre délicatement la boîte. D’un geste ferme, il prend l’oiseau de manière à ne pas se faire griffer ni mordre. C’est un oiseau brun avec de grands yeux sombres. Il est plus petit qu’un pigeon mais nettement plus grand qu’un moineau.

–          On dirait un morceau d’arbre, ne peut-elle s’empêcher de dire.

–          Oui, c’est un oiseau qui peut parfaitement se confondre avec son milieu. Il a un mimétisme  excellent, c’est un as du camouflage.

Alors que l’oiseau ferme ses paupières et semble mort, le soigneur explique à Noémie la raison pour laquelle on l’a apporté au centre.

–          Tu vois, c’est un oiseau qui chasse principalement quand il fait noir, alors parfois, il est victime d’un accident de la route. C’est ce qu’il s’est passé ici. C’est un oiseau très rare, il est en voie de disparition. Nous n’en avons pas souvent ici, c’est pourquoi, je vais d’abord le mettre dans un boxe fermé, dans le noir et au calme. Un animal qui est victime d’une voiture, a peu de chances de survie. Les vingt-quatre à quarante-huit heures sont décisives. Et puis celui-ci ne se nourrit que d’insectes attrapés au vol, ce n’est donc pas garanti qu’il mange en captivité. Dès qu’il montrera des signes de bonne santé, nous le libérerons aussi vite.

Au moment où le soigneur passe devant Noémie, une mouche brise le silence. Aussitôt l’oiseau retrouve une énergie insoupçonnée et ouvre un bec énorme qui surprend tellement la jeune fille qu’elle recule en émettant un cri de frayeur.

Promenade sur le lac

J’ai essayé de vous décrire ma première rencontre avec cette créature extraordinaire :-)  je n’ai pas réussi à vous faire passer la magie de l’instant passé… il faut y être pour pouvoir ressentir toutes les émotions qui m’ont parcourues cette nuit-là.

Noémie participe à un stage en pleine nature. Avec trois autres camarades et leur moniteur, ils avancent silencieusement sur un étang appartenant à une réserve naturelle. L’ornithologue qui les accompagne mène la barque sans la moindre difficulté.

Le ciel est dégagé, et certaines étoiles, les plus lumineuses, sont visibles à l’œil nu. Noémie n’aime pas le noir mais depuis l’été passé où elle a fait connaissance avec une chouette effraie, elle se sent intriguée par ces animaux nocturnes. Une autre chouette, toute brune, aux gros yeux ronds et sombres a déjà salué son courage lorsqu’elle s’embarquait dans le petit bateau de bois. L’ornithologue a identifié sans le moindre doute l’oiseau, il s’agit d’une chouette hulotte u chat huant. Le petit surnom qu’on donnait parfois à ce rapace l’avait intriguée et ils avaient commencé leur petite expédition par un cours d’étymologie.

Noémie ne voit rien à l’horizon mais ses oreilles sont toutes ouvertes. Petit à petit, ses pupilles s’habituent à l’obscurité. Après un quart d’heure à naviguer sur l’eau, elle peut enfin discerner la silhouette des arbres. Le quart de lune éclaire certains endroits. L’ado perçoit la limite de la roselière.

Une grenouille croasse et tous les enfants sursautent tellement ce bruit se répercute dans le silence. Tous sont attentifs. L’ornithologue, guide depuis cinq ans dans cette réserve sait quand il faut se taire ou quand il faut tourner la tête.

Ce soir, ils devraient pouvoir le voir ou du moins l’entendre. Il n’a rien dit, ni au moniteur, ni aux élèves. Il aime que les visiteurs découvrent par eux même la richesse d’une faune méconnue.

Le vent léger qui souffle parvient à faire dresser les oreilles du plus distrait des élèves. Les adolescents réalisent que la nuit, dans la nature, le silence n’existe pas. La chouette de tout à l’heure chante à nouveau. Noémie devine qu’elle s’est déplacée car le son qu’elle a entendu ne parvient pas de l’endroit où elle avait aperçu le rapace.

Des mouvements désordonnés et de petits cris perçants font lever les cinq têtes.

– Des pipistrelles, les chauves-souris les plus communes dans notre pays. Il existe…

L’ornithologue continue son explication à voix basse mais Noémie est déconcentrée. Elle a cru percevoir un étrange son sourd. « Un son sourd » s’interroge-t-elle d’elle-même, ça ne veut rien dire ! » La jeune fille tâche de faire abstraction des chuchotements près d’elle, ferme les yeux et oriente son oreille droite vers le son qu’elle a cru entendre. Mais il n’y a plus rien. Ses yeux se réouvrent automatiquement, comme pour mieux voir ce que l’ornithologue raconte.

« J’ai du rêver ».

Le guide, tout en continuant la description de la pipistrelle, sourit à Noémie. Noémie ne comprend pas la signification de ce sourire. A-t-il cru qu’elle s’était endormie ? Avant même qu’elle ne lui pose la question, il enchaîne avec :

– Tu l’as entendu n’est-ce pas ? Tu as une ouïe fine.

Ses camarades la dévisagent. Son moniteur également. Noémie rougit mais heureusement, dans cette obscurité, personne ne le voit.

Voumb

Le rugissement est nettement plus clair à présent ! Tout le monde l’a remarqué mais personne ne sait l’identifier clairement.

– C’était quoi ça ? un boeuf ? ose le petit rigolo du groupe.

– Un boeuf, ici, t’es bête ou quoi ! lui répond son copain.

Noémie est la seule fille qui a osé accompagner les garçons à cette sortie nocturne. Elle reste silencieuse. Elle observe les roseaux. Il lui semble avoir vu bouger quelque chose dans ce coin là bas.

L’ornithologue lui a fait signe de changer de place pour se rapprocher de lui. Il lui chuchote : « Son cri peut faire écho jusqu’à cinq kilomètres à la ronde ! Il faut avoir de bons yeux et savoir où chercher. »

Noémie a soudain des frissons qui lui court sur tout son dos, sa nuque et jusque dans ses cheveux. Un cri qui peut s’entendre sur des kilomètres, elle n’ose pas y croire. Quelle bête gigantesque peut fournir un pareil son ?

L’animal ne renouvelle pas ses vocalises. Noémie reste intriguée.

La barque se dirige lentement vers le fond de l’étang. La rame ne fait aucun bruit lorsqu’elle brasse l’eau. Les gestes se font au ralenti. Le guide tend un bras et pointe du doigt un endroit précis à une dizaine de mètres d’eux. Il donne un monoculaire à vision nocturne à Noémie. La jeune fille tremble un peu, de froid, d’incertitude. Les images en vert et noir sont floues mais elle remarque quelque chose d’étrange dans les lignes de la roselière. Un dessin particulier semble bouger au rythme d’une respiration ! Sans s’en rendre compte, Noémie retient son propre oxygène dans ses poumons, pour ne pas bouger, pour ne pas effrayer. Soudain, une volumineuse masse, aussi grande qu’une buse, décolle! De larges ailes se déploient et peinent à faire monter le corps de l’oiseau dans les hauteurs du paysage. Les battements sont mous et silencieux. Les yeux de l’adolescente n’arrivent que très difficilement à se réhabituer à la noirceur de la nuit. Ses copains, qui ne se doutaient de rien, son recroquevillés dans la barque, les genoux ramenés à leur menton, la tête repliée dans leur cou, le regard interrogateur.

– Messieurs, vous venez de faire connaissance avec le Butor ! Magnifique échassier de la famille des hérons. C’est lui que vous avez entendu, il y a quelques instants. Jolie bête n’est-ce pas ?

Ne s’attendant à aucune réponse de la part des gamins, l’ornithologue fait un plus large sourire à Noémie et à son moniteur. Ce dernier, intrigué ose demander s’il y a encore d’autres animaux de la sorte à être aussi dissimulateur, invisible, et surprenant.

Le traquenard

6ème histoire, une qui fait partie de mes préférées… et vous ? merci à Cigalette, ma maman,  pour son illustration :-)

Isabelle va passer un week-end à la campagne. Elle veut à tout prix s’aérer l’esprit et passer un moment seule, loin du chahut du centre ville où elle habite.

Loin de tout, Isabelle tente de profiter de l’instant présent. Aujourd’hui, c’est l’été et il fait un temps superbe pour sortir. Cela tombe à pic car elle adore les promenades dans la forêt.

Après une bonne heure de marche, la jeune femme pense à s’asseoir. Non loin d’elle, un petit bois offre toute l’ombre nécessaire à un repos bien mérité. Elle ne doit pas y pénétrer bien loin pour découvrir un endroit qui lui convient.

 » Tiens, on dirait que je ne suis pas la seule à avoir eu cette idée. Ce lit de douces et immenses feuilles de marronniers me semble parfait pour ma sieste. »

Elle ne réfléchit pas plus longtemps et s’y installe. Rapidement, le sommeil la gagne. Le calme de la campagne, la douceur du soleil et la tiédeur du vent l’emmènent dans des songes bien différents.

Le temps passe rapidement. Petit à petit, la forêt est traversée par le soleil. Isabelle ne peut admirer ce spectacle d’ombres et de lumière car elle fait un terrible cauchemar où des milliers de fourmis grimpent sur elle, envahissant chaque orifice de son corps. Dans ce rêve sombre, beaucoup de détails font surface et rendent cette illusion réelle. De manière tout à fait involontaire, Isabelle repousse sur ses bras des insectes invisibles. Elle dort toujours. Des gémissements sortent de sa bouche. Ses yeux ont du mal à croire ce qu’elle voit. Elle ne souffre pas et pourtant malgré sa chair déchiquetée, malgré le sang qui coule abondamment, elle n’a pas mal. Elle rêve encore. Mais, quand une fourmi géante la mord à pleines pinces, elle se réveille en sursaut, chassant encore et toujours des bêtes imaginaires.  A présent, Isabelle est bien réveillée. Le soleil l’aveugle désormais et elle a mal aux yeux tellement la lumière est forte. Elle frissonne, de peur. Son cauchemar reste gravé dans sa mémoire.

« Aller, Isabelle, bouge-toi de là. Ce n’était qu’un rêve. Un stupide rêve. Les fourmis géantes, ça n’existe pas. Tu as quand même une imagination incroyable, d’où tu sors tout ça ? »  Elle tente de se rassurer toute seule.

Puis, pour faire disparaître ce cauchemar de ses pensées, elle se lève et décide de reprendre sa balade, à l’opposé du bois.

Ces derniers temps, elle fait souvent de vilains rêves et elle se demande ce qui provoque ces songes horribles.

Elle avance au pas d’escargot, lentement, doucement. La tête dirigée vers le bas, comme à chaque fois qu’elle se lance dans de grandes réflexions, elle ne remarque pas les fils barbelés qui bordent le sentier et qui délimitent un champ. Rien ne serait surprenant si ce n’est que d’étranges choses sont accrochées à des piques.

–         Ah mais quelle horreur ! hurle-t-elle.

Isabelle vient de découvrir une fine patte d’oiseau. Elle revient à la réalité. La première fois qu’elle a vu le reste de cet animal empalé sur le barbelé, un instinct de dégoût l’a immédiatement submergé. Elle a reculé d’un pas et son estomac s’est révulsé. Après cette réaction tout à fait normale, Isabelle ose à nouveau regarder ce spectacle inqualifiable. Quand elle s’aperçoit que ce n’est pas la seule victime à être accrochée de la sorte, elle pense immédiatement à un rituel sorcier. Elle ne connaît pas grand chose à la sorcellerie ou autre tour de magie mais elle trouve intolérable que de pauvres bêtes doivent payer de leurs vies pour ça. Curieuse de nature, Isabelle veut à tout prix découvrir le coupable de ces actes sanglants. Elle note sur un petit bout de papier tous les animaux ou ce qu’il en reste et qu’elle parvient à identifier, qui ont été déchiquetés.

Tous sont empalés sur le fil et tous sont en de piteux états.

« Bourdon, lézard, moineau, un truc qui doit ressembler à un coléoptère et d’autres restes d’oiseaux ! C’est écœurant ! Si je trouve celui qui a fait ça… »

Isabelle ne termine pas sa phrase, un oiseau masqué au bec crochu passe en vitesse juste à côté d’elle. Au début, elle croit que l’animal lui en veut mais elle se rend rapidement compte qu’il chasse un insecte. L’oiseau vole en zigzag, imitant à perfection la technique de vol de l’insecte terrorisé qui tente par tous les moyens d’échapper à son prédateur. C’est la première fois qu’elle voit ce genre d’oiseau.

« Je me demande quel oiseau c’est. Il a un bec de perroquet.  »

L’oiseau vole toujours à la recherche de sa nourriture. Isabelle plie la liste des victimes qu’elle a trouvée et la met dans sa poche. Elle se met à croupi pour observer un autre « indice ».

« Voilà que je joue au détective à présent.  » Chuchote-t-elle.

Isabelle ne se rend pas compte que derrière elle, un homme s’approche. Silencieusement, les pas se dirigent vers elle. Arrivé à moins d’un mètre d’elle, l’ombre de l’homme trahit sa présence et Isabelle sursaute quand celui-ci pose la main sur son épaule.

–         Que faites-vous toute seule par ici, jeune dame ? Vous vous êtes perdue ?

L’homme est habillé comme un militaire. Il a un pantalon kaki, un gilet brun sans manche et même ses chaussures sont foncées. De grosses lunettes fumées cachent ses yeux.

Il fait peur à Isabelle.

–         Heu, non, Monsieur. Je me promenais quand j’ai vu ça.

Isabelle montre du doigt un bourdon empalé.

–         Et là, la terre est retournée. Je me demandais s’il n’y avait pas un autre pauvre animal mort qui était enterré là quand vous m’avez surprise.

–         Oh je ne voulais pas vous faire peur. Je vois de quoi vous parlez, ça doit être le travail de l’Ecorcheur, répond l’homme d’un ton si doux qu’il met mal à l’aise la jeune femme.

L’homme ne semble pas remarquer le regard affolé d’Isabelle.

« Mais de qui il parle ? Il a l’air de le connaître ! Oh dans quel guêpier je me suis encore fourrée ?  »

Isabelle pense qu’elle est en danger. Elle cherche une excuse pour partir au plus vite mais l’homme l’invite à marcher un peu avec elle.

–         Vous n’auriez pas l’heure s’il vous plait ? Je n’ai pas de montre et mon, heu, mon fiancé m’attend pour le goûter, lance-t-elle dans un mensonge qui pue à trois kilomètres…

Isabelle est sûre qu’elle a trouvé le bon prétexte mais l’homme lui répond négativement :

–         Non désolé, je n’ai pas de montrer non plus. Mais il doit être à peine plus de treize heures. Si vous voulez, je connais un endroit pas très loin d’ici d’où on pourrait observer l’Ecorcheur. Vous avez encore un peu de temps devant vous. Qu’en dites-vous ?

Isabelle ne sait pas comment se sortir de ce traquenard. Il n’y a rien ni personne aux alentours pour l’aider.

–         Regardez, c’est juste là. Vous voyez la tente près du buisson ? C’est ma cachette. De là je peux tout voir. C’est un excellent poste d’observation, lui dit-il en pointant du doigt son refuge.

« Mais ce n’est pas une cachette, c’est une tente ! » Isabelle est surprise. Son comportement alerte le bonhomme.

–         Vous avez raison, ce n’est pas une cachette pour les humains mais pour les animaux, ils n’y voient que du feu.

« Un chasseur ! » Pense-t-elle.  Isabelle déteste les chasseurs.

Elle décide de se cacher une heure pour voir ce qui pourrait se passer. Après tout, il est bizarre mais n’a pas l’air méchant. Et puis, elle pourrait toujours lui donner un coup de genoux dans les parties intimes pour se sauver…

Evidement, personne ne passe, si ce n’est toujours le même oiseau au bec crochu qui ne cesse de faire des allées et venues le bec remplit de nourriture.

L’endroit où ils sont réfugiés n’est pas du tout confortable. Et puis elle a chaud, très chaud. Un coup d’œil aux alentours lui permet de croire qu’aucun animal ne sera plus tué aujourd’hui.

« Pas devant moi, il n’oserait pas. Mais si son copain l’Ecorcheur arrivait ? »

L’homme observe les environs aux jumelles. Etrangement, il est devenu silencieux. Isabelle ne sait même pas ce qu’il regarde, elle ne voit rien qui puisse l’intéresser et elle profite de ce moment pour s’éclipser. Au moment où elle fait un pas en arrière, il attrape son poignet.

–         Chuut, plus un geste ! dit-il en chuchotant. Il est là. L’Ecorcheur, il est là, devant toi ! Viens, prends les jumelles lui dit-il brusquement, et en la tutoyant soudainement !

Isabelle n’ose plus faire le moindre mouvement. Elle ne voit ni n’entend rien. Elle voudrait pleurer mais quelque chose l’en empêche. Et elle ne sait pas pourquoi elle se retient de verser des larmes.

–         N’aie pas peur, même s’il empale ses victimes sur ce fil barbelé, il ne risque pas de te faire du mal. Tu n’aurais quand même pas peur d’un oiseau ? Regarde, il fait des provisions pour sa nichée. Le nid ne doit pas être bien loin. Il s’appelle exactement Pie-grièche écorcheur. Un étrange nom pour un si bel oiseau, tu ne trouves pas ? Et ici, nous avons affaire au mâle, sa dulcinée doit certainement couver !

L’homme continue son discours ornithologique. Isabelle est prise au dépourvu. Rassurée par ce qu’elle vient d’entendre, elle s’approche plus franchement des jumelles installées sur le trépied.

Puis, elle regarde d’un autre œil cet homme qu’elle avait pris pour un tueur d’animaux ou pire… un tueur de jeunes femmes !

Jour de tonnerre

5ème histoire… ça vous plaît toujours ?

Noémie est à l’école. C’est bientôt la fin de la classe. L’heure du midi arrive à grand pas. Noémie n’est plus trop concentrée sur ce que la maîtresse explique.

C’est le printemps. Depuis une semaine il fait doux mais pluvieux. Dehors, il fait lourd. Rapidement, le ciel s’assombrit. Les nuages descendent et on pourrait se croire à la tombée de la nuit. Le vent se lève et une odeur d’orage plane dans la cour de l’école.  Les insectes de la pluie volent maladroitement. Noémie, assise au fond de la classe, observe les branches des arbres qui tanguent. Elle n’a pas le temps de penser à son futur acte héroïque que la pluie frappe sur le sol de la cour.

– Le temps de midi se passera dans le préau, prévient l’institutrice.

Noémie aime bien cette ambiance particulière. Il fait sombre, il fait moche mais il ne fait pas froid. Il n’y a que le bruit de la pluie qui peut la bercer de la sorte. Elle aime passer son temps à regarder l’eau dégouliner des toits des maisons. Parfois les flaques dessinent d’étranges ondes. Elle aime beaucoup l’eau, sous toutes ses formes.

Les gouttes se font plus épaisses, plus rapides. Sur les vitres, elles s’éclatent violemment. La maîtresse doit interrompre la classe. La pluie crie plus fort qu’elle. Tous les élèves regardent par la fenêtre quand l’orage éclate. Personne ne remarque l’éclair mais tout le monde entend le grondement brusque. Certains sont impressionnés par la réaction de la nature. D’autres sont en admiration. Certains rigolent, d’autres n’osent plus faire le moindre geste et se bouchent les oreilles quand un éclair illumine le ciel, en prévision du grognement qui va suivre.

Soudain, dans tout ce remue ménage, un cri d’alarme retentit. Un oiseau hurle quelque chose d’incompréhensible. Il s’agite, il vole dans tous les sens. Peu d’élève semble s’intéresser à lui. Noémie le regarde. Elle essaie de comprendre son désarroi. Ses yeux suivent le petit passereau tout noir. Il est trempé. Ses plumes lui collent à la peau. Il s’ébroue quelque fois.

– Madame, vous croyez que les oiseaux ont peur du tonnerre ? demande Noémie.

– Non je ne crois pas Noémie. Ils doivent être habitués. Pourquoi cette question ?

– Là sur le muret, vous voyez ? C’est lui qui chante comme ça ?

Noémie ne sait pas que l’oiseau ne chante pas mais crie. Il est affolé mais personne ne va lui prêter de l’aide.

Dans la cour, derrière le panneau de basket, quelque chose est tombé et gît sur le sol trempé.

Dans l’arbre voisin, deux oiseaux, un noir et un brun s’inquiètent. L’objet qui est tombé a fait une chute incroyable et à présent, les oiseaux leur porte tout leur intérêt.  Contre toute attente, l’oiseau brun se couche à même le sol, protégeant quelque chose. Pendant ce temps, l’autre animal continue son discours saccadé.

– Madame, vous croyez que l’oiseau par terre est blessé ? Il a peut-être reçu la foudre sur lui ? Ou il a froid avec toute cette pluie !

L’institutrice n’a pas le temps de répondre. Le bourdonnement se fait de plus en plus fort, de plus en plus assourdissant.  Le vent balaye tout dans la cour de récréation.

Noémie attend qu’un nouvel éclaire annonce le prochain ronronnement du tonnerre pour ouvrir discrètement la porte de la classe.

Dans la rue, l’égout de la rue déborde. Des voitures déchirent d’immenses flaques d’eau. Des larves des coccinelles sont propulsées par le poids des gouttes d’eau devenues énormes. Une fourmilière est écrasée par la pluie. La nature est déchaînée.

Dans la classe d’Noémie, l’institutrice a fait asseoir ses élèves. Est-ce parce que l’orage est violent que les enfants semblent surexcité ?

La cloche sonne la fin de la matinée. Dans le préau les quatre cents élèves de primaire sont rassemblés. Noémie n’est pas là et personne n’a remarqué son absence. Pas même ses camarades.

Dans la cours, Noémie s’est cachée derrière le grand arbre. Dissimulée derrière le tronc, elle s’est accroupie pour mieux observer l’oiseau au sol. Celui qui est tout en noir avec son bec orange fait un raffut pas possible. Son cri perçant et aigu brise le bruit de fond de l’orage et des cliquetis de la pluie. Dans sa classe, sa maîtresse range ses affaires. Noémie tente un pas en direction de l’oiseau brun quand son institutrice la voit !

Noémie tente de faire comme si elle n’a pas entendu les doigts de sa maîtresse sur la vitre. Elle s’approche de l’oiseau qui est à terre. Il est tout brun, tremble de froid et tout son plumage est trempé. Les commissures du bec sont jaunes et le petit ne sait pas encore voler. Il crie dans une langue que l’enfant ne comprend toujours pas mais pourtant elle devine ce qu’il demande. En haut, perché sur une branche basse, la maman courre dans tous les sens pour appeler la jeune fille.

– Calme-toi petit oiseau, je vais te rendre ton petit mais avant, si tu permets, je vais le sécher un peu car il a très froid.

A quelques mètres de là, la maîtresse ne rate pas une miette du spectacle. Elle prépare un essuie pour son élève et pour l’oiseau.

La nature s’est calmée. La forte pluie s’est radoucie mais le ciel noir est à présent illuminé par des dizaines d’éclairs. Quelques grondements au loin annonce que l’orage s’éloigne. Le vent ne souffle plus aussi fort et Noémie peut rentrer dans sa classe pour réchauffer le petit oiseau qu’elle vient de ramasser. Autour d’elle, tout un groupement d’enfants s’est formé.

– Madame ? C’est quoi comme oiseau ? Il va mourir ?

La maîtresse ne sait pas très bien quoi répondre. Elle informe juste les enfants qu’il doit s’agir, probablement d’un jeune.  Noémie sent en elle quelque chose naître.  Elle voulait devenir médecin pour les enfants mais elle hésite à présent. Vétérinaire ça serait aussi chouette !

Dehors, la maman du petit merle se met dans tous ses états. Elle saute de branche en branche, s’égosille à ne plus en finir.

Quand le petit semble sec, la fillette ressort de la classe et sur la pointe de ses pieds, elle dépose le petit sur la plus basse des branches qui  lui est accessible. Elle s’éloigne de quelques pas et observe le comportement de la maman. Quand l’autre oiseau noir arrive, Noémie reconnaît le merle. Jamais elle n’avait pensé que le mâle et la femelle seraient différents.  Le papa oiseau a le bec rempli d’insectes. Il s’empresse de donner à manger à son dernier petit qui ne sait pas encore voler.

 

Le four à double fonction

J’ai joué avec ABC. Le thème choisi est extrait de La Fabrique à Histoires, de Bernard Friot :
sujet renversant « Le four produit du froid. Dès qu’on y glisse un plat, il est congelé ».

Dans la forêt d’Hiver, par un froid de canard, un écureuil crie de joie :

– Youpppeee ! Un four. Je vais enfin pouvoir réchauffer mes noisettes congelées.

Avec toute cette neige, les pattes de ce petit animal sont frigorifiées de devoir tant creuser. Aussi, il est tout heureux de constater la simplicité du fonctionnement de ce four.

– Ooh ! Quelle chance j’ai ! Un four intelligent qui s’ouvre automatiquement à mon approche et qui détecte quel aliment je lui mets dedans.

Zzzzzz, le four émet un petit ronflement. La seule lumière du soleil est nécessaire à son bon service. C’est une vraie merveille.

Tiiiit, tiiit, tiit. Le bip annonce la fin de la cuisson. Notre petit animal est impatient. Et gourmand.

Il a faim. Cela fait dix jours qu’il n’a plus rien mangé !

– AAAaah ! Mais qu’est-ce que c’est que CA ?! hurle-t-il en voyant sa noisette transparente comme un glaçon. Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas manger ce truc, c’est pire qu’avant dit-il en frappant un doigt sur sa noisette complètement glacée.

Quand notre ami réfléchit, d’une main, il prend sa queue en panache et de l’autre il arrache un poil. Il dit que cela lui permet de ne pas s’égarer dans son idée…

Lorsque sa belle queue est aussi dégarnie que celle d’un chat sphinx (un chat sans poils), un pic vert s’approche de lui et rit :

– Eh mon ami ! Tu as des soucis ?

L’écureuil sort de sa torpeur et serre ce qui lui reste de queue tout contre son coeur :

– Je vais mourir de faim, hoquette-t-il. Mes dents sont fragiles et je ne sais plus croquer des noisettes congelées. Et ce… ce foutu truc… c’est que du brol ! lui répond-il en désignant le four à refroidissement.

Le pic vert qui a beaucoup d’idées dans sa tête, penche celle-ci sur le côté et lui dit :

– Si le four qui doit chauffer ne chauffe pas comme il faut, as-tu déjà essayé de chauffer le four pour qu’il chauffe peut-être enfin ?

L’écureuil ne comprend pas bien. Alors, pour l’aider, l’oiseau rentre dans son trou, cherche quelque chose et en ressort aussitôt avec un long morceau de laine. Puis, il vient se poser près du four et enroule l’écharpe autour de la machine.

– Si le four a froid, comment veux-tu qu’il te réchauffe ton plat ?

Pour joindre son geste à la parole, le pic vert recrache un morceau d’écorce et l’approche de l’engin. Celui-ci, comme la dernière fois, détecte le geste et ouvre sa porte.

Une seconde plus tard, son ronflement se met en route.

Zzzzzz

Dix secondes s’égrainent.

Tiiiiit tiiit tiit. La porte s’ouvre à nouveau et un délicieux fumet d’écorce grillée flotte dans l’air.

– Huuumm, ça sent trop bon ! salive le petit rongeur. Dis-moi, miam, comment je pourrais, miam, te remercier ? lui demande-t-il la bouche pleine.

– C’est tout simple. Si dans tes provisions, tu trouves des locataires indésirables comme un ver, une fourmi ou autre insecte succulent, garde-le moi bien au chaud, je me ferai un plaisir de le déguster. Cuit, c’est encore meilleur.

C’est ainsi que l’écureuil apprit à se servir de ce four exceptionnel et qu’il devint un très bon ami du pic vert.

Un bruit dans la nuit

Histoire numéro 4 de la série. Merci maman Cigalette pour ton illustration !

Isabelle va passer quelques jours chez sa cousine Julie.  Pour les vacances de pâques, Julie lui a préparé un planning qui lui plaira à tous les coups. Au programme, balades dans la nature, esquisse d’animaux, formation sur la photographie et leçon de vie autour de la grossesse de Julie.

Julie et son mari Joe sont ravis d’héberger la « petite » cousine. Ils habitent la campagne, à plusieurs centaines de kilomètre d’Isabelle.

Julie va pouvoir se changer les idées. Depuis qu’elle a appris qu’elle attendait un bébé, elle est un peu tendue. La première grossesse ne s’était pas bien déroulée et elle avait perdu le fœtus.  A présent, elle en est à son septième mois et il y a moins de risques pour le bébé s’il venait à naître.

Au moment où Isabelle arrive, personne ne se doute de ce que vont vivre ces deux cousines. Des jours et des nuits d’angoisse les attendent…

Après la balade de l’après-midi, Isabelle se retrouve seule dans la chambre d’amis, sous le toit de la vieille ferme. La soirée arrive à petits pas et le ciel commence doucement à s’assombrir. Le printemps est bel et bien là. Les jours se rallongent et les températures sont plus agréables. C’est la saison préférée d’Isabelle.

Julie monte jusqu’au dernier étage pour souhaiter la bonne nuit à sa cousine. Au moment de baisser le volet de la fenêtre velux, quelque chose passe à l’horizon et fait reculer Julie d’un pas.

« Sans doute un pigeon » pense la jeune femme. Isabelle n’a rien vu et il vaut mieux ne rien lui dire pour ne pas l’effrayer.

« Voilà, tu peux t’installer à ton aise. Fais comme chez toi ! Je suis contente que tu sois ici, on va pouvoir faire de jolies balades et tu vas même m’aider à faire la chambre du bébé, Joe n’a aucun goût pour la décoration. »

– Oh oui, j’adorerais ! Et à propos, tiens Julie, c’est pour toi, enfin pour le petit qui est là. Isabelle tend un petit doudou multicolore en touchant de sa main le ventre de sa cousine. Dès le moment où toute sa main fut posée, le bébé réagit et se tourne.  L’émotion remplit la pièce. C’est la première fois qu’Isabelle peut ressentir une telle chose.  Alors que la joie est à son sommet, un étrange bruit se fait entendre non loin de la chambre.  Julie et Joe n’ont pas de voisins proches. Leur maison n’est attenante à aucune autre et pourtant, on aurait dit que quelqu’un ronflait très fort, juste à côté.

Tout de suite, l’imagination très fertile de la jeune femme se met en route. Elle s’imagine une étrange histoire avec un vagabond occupant de manière incognito la grande de la vieille ferme. Isabelle continue à rêver les yeux ouverts. Voyant la tête de sa cousine, Julie la bouscule gentiment et lui demande de retrouver la terre ferme.

– Tu as toujours été douée pour t’imaginer des histoires hallucinantes. Isabelle, s’il te plait, ne me fait pas peur avec ça. Tu sais ce bruit, et bien d’autres, ça fait une semaine que je l’entends et je ne suis pas encore parvenue à savoir d’où ça vient ni ce que ça peut bien être. Il est l’heure de dormir, on verra ça demain, tu veux bien ?

Isabelle ne veut pas donner des angoisses à sa cousine. Elle sourit et l’embrasse avant d’aller se faufiler dans son lit.  Elle va avoir tout le temps de réfléchir à la question après son départ

Demain est un autre jour…  mais avant ça, la nuit s’éternise.

Isabelle a du mal à trouver son sommeil. Elle essaie de dormir mais de discrets gémissements l’empêchent de fermer les yeux. Jamais elle n’a entendu pareils chuintements. Persuadée que ça vient de derrière son mur, elle se lève doucement et colle une oreille contre la surface froide et rugueuse du crépi. Elle n’entend rien. Pas un bruit, pas un froissement, rien ! Elle se recouche et à peine a-t-elle clos ses paupières que les plaintes recommencent. Dans sa tête, mille scénarios se bousculent. Impossible de mettre un mot sur ce qu’elle entend. Il fait extrêmement calme dans cette maison. Ce n’est pas comme chez elle où passage de bus, claquement de portière de voiture ou discussion bruyante se font entendre chaque nuit. Chez Julie, le moindre bruit prend de l’ampleur. Tout résonne. Isabelle peut même deviner quand sa cousine se lève pour aller à la toilette ou quand Joe monte les marches de l’escalier pour apporter un verre d’eau à la future maman.

Ça y est. Plus aucun bruit ne perturbe la quiétude campagnarde. Isabelle peut enfin sombrer dans ses rêves.

1h15 : un cri perce les tympans des habitants de la maison. Seul Joe qui dort avec des boules d’ouates dans ses oreilles ne se réveille pas. Le cœur de Julie palpite. Elle peut sentir son pouls cogner dans sa poitrine.

Isabelle s’est réveillée en sursaut et le temps d’un court instant, elle ne savait plus très bien où elle se trouvait. Quelqu’un la réveillée brutalement.

« JULIE ! » La jeune femme pense que sa cousine a fait un malaise pour crier de la sorte.  Elle descend bruyamment les escaliers et se saisit lorsque sa cousine ouvre énergiquement la porte devant elle.

– Qu’est ce qu’il se passe Isabelle ? Tu as fait un vilain rêve ? lui demande-t-elle d’un regard hagard.

– Mais ce n’est pas moi qui ai crié, je pensais que c’était toi ! lui répond sa cousine d’un ton inquiet.

Elles se regardent longuement. Ni l’une ni l’autre ne savent qui a poussé ce cri d’horreur.

Trois jours sont passés. Durant tout ce temps, les cousines entendent comme un cri dans ce mur.  Parfois ça passe presque inaperçu et à d’autres moments, ça se fait plus intense. Si fort qu’elles se demandent comment Joe n’a encore rien perçut.

Au début, avec le bruit de la télévision, Isabelle pensait à une course-poursuite de petites souris. Mais à présent, ce soir, elle l’a bien entendu. Impossible que ce soit un animal. Ça se rapproche davantage d’un gémissement ou d’un cri de douleur. Cette nuit, elle est restée debout, comme hypnotisée par cet étrange bruit qu’elle n’arrive pas à identifier. Par intermittence, il se fait plus net, plus clair, plus aigu. Parfois, elle en a la chair de poule. Après trois heures d’éveil, elle commence sérieusement à fatiguer. Son cerveau somnole, ses paupières se laissent tomber malgré elles. Le sifflement du vent épuise ses tympans.

4h25 : Tout le monde dort. Isabelle est toujours là, consciente de n’être plus que l’ombre d’elle-même. Elle devrait dormir mais elle entend encore ces chuchotements qui la dérangent. Ils sont moins forts que tout à l’heure mais ils sont encore là. Elle est curieuse et ne dormira qu’une fois le mystère résolu. Julie et son mari, eux, dorment à poings fermés.

Une demi-heure plus tard, ses sens sont en alerte maximum. Elle a, cette fois, entendu distinctement une voix ! Une voix humaine ! Une voix de femme ! Elle en tremble de peur. Elle commence à avoir froid. Elle passe son peignoir en laine. Sa cousine a aussi entendu le hurlement. Julie l’a rejoint. Elle s’est levée un peu précipitamment et elle a mal au ventre. Elle touche d’une main rassurante sa peau tendue par la trente-deuxième semaine de grossesse. Elle pince alors sa joue fraîche pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Elle n’entend plus rien ! Les deux cousines se regardent et ne comprennent pas très bien ce qu’il se passe. D’un pas incertain, Julie va jusqu’au mur de la chambre. Elle s’agenouille et colle son oreille contre le papier peint.

Joe dort d’un sommeil de juste. Rien ne le réveillera si ce n’est une urgence comme la course à la maternité.

Julie tourne en rond. Elle a du mal à se rendormir à cause de ce qu’elle a entendu. Elle décide de se changer les idées et va faire un tour dans la chambre de son futur bébé. Tout est presque prêt, elles ont bien travaillé. Il ne manque plus que le mobile musical. Le berceau, le fauteuil à bascule pour l’allaitement et les rideaux sur le thème des petites fées, tout y est. La lumière douce de la lampe murale renvoie les ombres de toutes les peluches. Le silence règne dans cette pièce. Julie s’imagine la petite fille qu’elle tiendra bientôt dans ses bras. Bientôt un petit être remplira de vie cette chambre encore vide de sourire.

Un petit coup de pied du fœtus rappelle la future mère à la réalité.

Un petit grattement sur le rebord de la fenêtre et un sentiment de peur renaît. Julie a rappelé sa cousine auprès d’elle mais elle hésite à réveiller son mari. Depuis qu’elle attend un heureux événement, ses peurs les plus profondes refont surface. Son odorat s’est développé et sa sensibilité s’est accrue. Toutes ces hormones de femme enceinte la déstabilisent. Ce n’est pourtant pas la première fois mais rien n’y fait, jamais elle ne s’y fera.

Les frottements dans le mur reviennent. L’esprit de Julie est à son comble. Isabelle et elle ont la même vision : elles s’imaginent qu’une jeune fille est emmurée, vivante, et qu’elle appelle au secours. Une image d’ongles grattant le ciment frappe les consciences des cousines. Et si elles avaient raison ? Et si une personne était vraiment en danger ? Comme par magie, au moment où elles émettent la plus improbable des possibilités, les bruits cessent. Elles se regardent. Le temps s’écoule lentement mais après dix minutes, il n’y a toujours aucun autre signe pour les mettre sur la voie de l’impensable. Julie baille à s’en décrocher la mâchoire. Il est temps pour les deux jeunes femmes de retourner dans leur lit.

Isabelle retourne, à tâtons, dans sa chambre. Julie est derrière elle. Le fœtus donne un second coup de pied, plus violent que le précédant. Elle s’assied sur le bord du lit, reprend son souffle et essaie de se tranquilliser. Elle doit se calmer, au moins pour sa fille. Le stress n’est pas bon pour le fœtus. Elle a déjà perdu un enfant en fausse couche tardive, elle ne tient absolument pas à perdre celui-ci. Sa cousine tente de la rassurer mais elle a du mal, elle-même ressent d’étranges choses.

Même si elles arrivent à se ressaisir, le sommeil ne veut toujours pas d’elles pour la nuit. Elles se relèvent toutes les deux, en même temps, et Isabelle veut passer de l’eau froide sur le visage de sa cousine inquiète.

Toujours dans l’obscurité la plus complète, elles se dirigent vers la salle de bain et ouvrent la fenêtre pour avoir un peu d’air frais. Julie connaît cette maison par cœur, il n’y a pas de quoi avoir peur. Le plancher qui craque, elle connaît. La voiture de patrouille qui roule lentement dans la rue ne la réveille plus. Le chat errant qui se faufile discrètement dans le soupirail de sa cave pour venir voler quelques croquettes ne l’étonne même plus. Elle tente, tant bien que mal de se rassurer, elle ainsi qu’Isabelle. Le gant de toilette humide l’accompagne dans sa reprise de conscience. Doucement elle parvient à refaire surface et à se calmer.

Soudain, un cri horrible déchire la nuit. Les cousines sursautent, l’une comme l’autre. Isabelle se raidit et n’ose plus bouger. Elle sent son cœur cogner rapidement dans sa poitrine. Julie se saisit et tombe à terre. Assise sur le linoléum, elle observe la chose s’envoler.

Isabelle suit du regard la même forme blanche s’éclipser dans la nuit.

Joe s’est réveillé d’un bond. Il cherche son épouse à côté de lui et ne la trouve pas. Il a un mauvais pressentiment. Isabelle l’appelle. Il ne sait pas définir si c’est une voix prise de douleur ou de peur qui le supplie de venir au plus vite.

Un liquide s’écoule du peignoir rouge de Julie. Tête baissée, elle sent cette flaque chaude sous ses fesses. Tout en aidant sa femme à se relever, Joe écoute avec attention l’histoire des drôles de voix, des chuchotements, des grattements qui ont amené sa femme et sa cousine à rester éveillées toute la nuit. Il n’arrive que péniblement à l’apaiser. Elle est sous le choc.

Isabelle, elle, n’a toujours pas bougé de la fenêtre. Elle  est tétanisée entre la peur pour sa cousine et son enfant et le cri qui lui fait perdre la tête.

Quelques secondes plus tard, après s’être assuré que ce n’était que de l’urine qui s’était échappé du corps de sa femme, Joe éclate de rire. Julie se décrispe et rigole à son tour, plus par nervosité que par spontanéité. Isabelle n’ose pas rire, trop gênée d’avoir été à ce point stupide.

L’idée même qu’une chouette effraie pouvait nicher dans la grange ne lui était même pas venue à l’esprit. Elle se dit qu’on ne l’y reprendrait plus.