Où vont les mots quand ils s’en vont ?

Entre jeu d’écriture, avis de lecture et métier rêvé, loupé, je vous pose cette question :

Où vont les mots quand ils s’en vont ? Quand ils nous échappent, quand ils nous fuient, où se cachent-ils ? Que font-ils ?

Après la lecture de « Gratitudes », de Delphine de Vigan, j’ai une certitude : j’ai loupé un coche, un métier, des études. Aujourd’hui, je me vois bien logopède ou orthophoniste. J’y pense aujourd’hui, mais ce n’est clairement pas un métier, une vocation à laquelle j’ai pensée quand j’étais ado. J’y pense aujourd’hui parce que le syndrome de Ménière avec ses vertiges, acouphènes et déficits d’audition m’ont pourri la vie pendant plusieurs années, parce que la Covid m’a rendue aphone durant de longues semaines m’empêchant de m’exprimer oralement (j’ai été suivie par une logopède extraordinaire pendant des mois), parce que les mots perdus, ceux qui trainent sur le bout de la langue mais qui ne veulent pas sortir sont de plus en plus fréquents.

Dans Gratitudes, Delphine de Vigan appuie là où ça fait mal. Une dame d’un certain âge, ancienne correctrice dans un grand magazine, rentre dans une maison de repos et de soin après que « tout s’en va », « je perds tout ». Des troubles de la mémoire spécifiques liés à la perte de mots la dévaste. Marie a beau lui rendre visite régulièrement ainsi qu’un orthophoniste passionné ar son métier, cela n’empêche pas la vieille dame de dépérir. À quoi bon continuer de parler quand les mots s’en vont, changent, se travestissent, s’effacent ?

Un livre, une histoire poignante écrite avec justesse, émotions, amour.

Où vont les mots quand ils vous échappent ?

Les mots s’en vont, ils volent, ils fuient en silence. Ils vont se cacher, se reposer, se libérer. Les mots fourchus, ceux qui butent sur la langue, ceux qui tombent et se cognent contre les dents sont envoyés à l’infirmerie des mots. On leur fait faire des exercices d’assouplissement, d’étirement. Ils doivent pouvoir sortir d’une traite, sans trébucher pour recouvrer la santé. Ceux qui s’oublient, ceux qui s’étiolent à force de ne pas être utilisés régulièrement, ceux-là sont envoyés dans un camp de travail. Un camp où la vie des mots n’est pas facile. Ceux qui arrivent là-bas sont faibles, presque transparents mais on leir demande quand même toute leur attention. Ils doivent parler fort, marcher longuement, dessiner de manière précise leurs lettres, épeler distinctement chacune des parties de leur corps, et ce plusieurs fois par jour. Le soir, ils peuvent jouer, ils sont libres d’intégrer une classe de rédaction créative à la seule condition de savoir se présenter en utilisant le plus de mots possibles les caractérisant. Les mots travestis, ceux qui se font passer pour d’autres, sont difficiles à attraper ! Ils glissent entre les doigts, ils se faufilent entre les lèvres, ils passent en coup de vent dans les conduits auditifs. Ceux-ci rient sous cape, bien heureux d’avoir ce super pouvoir de transformation. Ils ont plusieurs vies et en profitent bien.


Extrait du livre « Gratitudes » de Delphine de Vigan

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Auteur : ecrimagine

La lecture, l'écriture, la photographie et l'observation de la nature, sont pour moi de bonnes sources d'apaisement, de relaxation, d'imagination, d'évasion, de partage, de découverte,...

2 réflexions sur « Où vont les mots quand ils s’en vont ? »

  1. J’aime beaucoup cette auteure
    Pas encore lu celui-ci…
    C’est terrible quand les mots s’en vont… quand on a des troubles de mémoire… Cela me terrifie à l’idée que les mots pourraient m’échapper, un jour. Perdre la mémoire serait la pire des choses…
    Biz

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  2. Coucou en effet un beau livre il me semble quand la mémoire ou que l’on ne trouve pas ses mots cela devient parfois pénible et frustrant! Bonne journée bisous

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