Voici encore une histoire que j’ai écrite il y a quelques temps et qui est parue dans mon recueil « Un oiseau peut en cacher un autre » (et autres contes pleins d’animaux)
Scar l’escargot
Scar est un escargot infortuné. Mal voyant de naissance, il vexe à plusieurs reprises sa mère en l’appelant parfois « papa ». En effet, Scar ne parvient pas à différencier un mâle d’une femelle escargot même celle-ci lui a dit et répété qu’il ne verrait sans doute plus jamais son père.
Il y a quelques jours, quand sa coquille n’était pas encore fortifiée, il a reçu un caillou sur le dos. Chez d’autres jeunes, cela n’aurait rien fait. Mais chez Scar, cet incident eut des conséquences désastreuses. Le malheureux en est marqué à vie.
Les jours passent et il craint l’arrivée de l’hiver avec cette fissure sur son dos.
« Je suis sûr que la pluie, le froid et la neige trouveront la faille pour pénétrer dans ma peau. Il faut que j’imagine un stratagème pour imperméabiliser ma coquille. », pense-t-il. »
Scar réfléchit à ce sujet. Frileux comme il est, il ne survivra pas aux rigueurs de la saison. Il pense demander de l’aide à l’oncle Lim.
« Il a toujours des idées. Il pourra certainement m’aider. Il a plus d’un tour dans sa vieille coquille. », sourit-il.
Tout en suivant lentement les traces de sa maman, le jeune escargot pense à l’oncle Lim. Soudain, perdu dans ses pensées, il ne regarde pas où il met le pied et se cogne à sa mère. Celle-ci se retourne et lui dit :
— Mon petit garçon, tu es devenu grand. Il est temps pour toi de commencer ta propre vie, d’avoir tes amis, ta maison. Arrête donc de me suivre partout.
— Mais maman, tu n’y penses pas, je suis encore bien trop jeune ! Comment vais-je survivre aux nombreux prédateurs ? Sans toi, je vais mourir ! lâche-t-il presque en sanglotant.
— Scar, tu es peut-être malvoyant, mais tu n’es pas idiot ! Au contraire, tu es un escargot très intelligent. Je suis sûre que tu trouveras des astuces pour échapper à tous les gourmands du quartier. Et arrête de t’accrocher à moi comme tu le fais, tu sais que j’ai horreur quand tu grimpes sur ma maison.
— Pardon maman. Ne m’abandonne pas, j’ai besoin de toi.
— Allons, allons, ne fais pas l’enfant, tu as déjà deux ans. Regarde donc ta peau, elle n’est plus si pâle, elle a de très jolies couleurs.
— Mais tu m’as dit que je serais adulte quand j’aurais deux rayures sur ma coquille, mais je n’en ai qu’une !
— Oui, en effet. Mais cela doit être à cause de ton accident. Le principal, c’est que ta maison soit solide, et, toc toc, elle l’est ! Elle n’est plus molle. Arrête de chercher le moindre prétexte à rester accrocher à mes tentacules.
Scar est dans tous ses états. Il se voit déjà grelottant, insomniaque, ne pouvant hiberner à cause de son insalubrité.
« Si je suis encore vivant d’ici là » pense-t-il.
Depuis cette discussion avec sa maman, des visions d’horreur occupent son esprit. Son sommeil est coupé par de nombreux cauchemars de hérissons dévoreurs, de grives décortiqueuses et d’insectes affamés.
— J’ai une lune pour abandonner le nid, pleure-t-il. Jamais je ne survivrai tout seul.
Scar a peur de quitter sa maman. Le délai que lui a laissé celle-ci pour se détacher d’elle est court, bien trop court au goût du petit escargot.
Et pourtant…
Bien des lunes plus tard, lors d’une nuit noire et silencieuse, Scar se réveille en sursaut. Il a entendu le souffle caractéristique du nez fouisseur de la taupe !
— Oh non ! Je… j’avais presque… ou… oublié celle… celle-là, bégaie-t-il de terreur.
Heureusement pour notre petit escargot, il a plu en journée. Il peut s’échapper en glissant aisément sur le sol encore humide.
Depuis qu’il vit seul, Scar a énormément travaillé son unique muscle et, après tous ces exercices, il est même prêt à participer à la course annuelle des gastéropodes. Mais pour cela, il lui faut d’abord sauver sa chair…
La taupe derrière lui, Scar grimpe sur le premier muret qu’il rencontre. Lors de sa progression, il trouve une petite crevasse, juste à sa taille. Il y pénètre bien vite.
— Ouf ! Sauvé.
Le lendemain matin, il risque un œil tendu vers la sortie.
Avant de le quitter, sa maman a pris soin d’inverser ses tentacules. À présent, son œil droit était à gauche et vice-versa. Grâce à ce système ingénieux, tenu délicatement par un fil solide, mais doux d’araignée, Scar voit nettement mieux.
— Point de taupe à l’horizon. Le hérisson dort sûrement à cette heure. Quant à la grive, je sais qu’elle est occupée à couver. Je peux donc sortir en toute sécurité.
L’escargot avait été à l’école des détectives privés. Les cours étaient accessibles à toute proie potentielle, autrement dit, beaucoup d’animaux avaient pu suivre cette formation.
Scar avait appris énormément de choses. Il était à cette époque le petit escargot myope qui n’avait jamais grandi à la vue de son unique strie sur sa carapace. Malgré ces problèmes de santé, il était sorti le meilleur élève de l’année scolaire !
Hélas, la théorie n’a rien de comparable à la pratique dans la vraie vie sauvage.
Scar décide donc de se montrer. Fini les cachettes. À force de rentrer dans un trou à n’importe quel bruit ou vision, identifié ou non, il n’a plus mangé depuis trois jours.
— J’en ai marre d’être considéré comme une poule mouillée. Aujourd’hui, je vais aller explorer le jardin du voisin. Il paraît qu’il y a de bonnes feuilles à se mettre sous la langue.
Affamé, il baisse sa garde. Il n’a pas le temps de poser pied sur un autre territoire qu’il est happé par une patte d’oiseau. Sa tête est rentrée immédiatement dans sa carapace au moment même où il a vu l’ombre volante fondre sur lui. Il sait qu’il a peu de chance d’échapper à une chute de plusieurs mètres dans le vide.
— Oh maman ! Si tu me voyais. J’ai perdu neuf grammes et là je vais m’écraser sur le sol comme une vulgaire fiente d’oiseau.
Scar parle souvent à sa mère, même s’il ignore où elle est. Cela le réconforte.
À cet instant, il s’efforce de se remémorer les techniques de secours en cas de danger pareil. Il l’a appris grâce à Monsieur Lapie. Le comble pour un escargot d’avoir eu un cours de sauvetage donné par un professeur-prédateur !
Le déclic est immédiat. Après la première tentative, ratée, d’écrasement, la grive se pose dans un arbre et cherche à déloger sa proie à coups de bec violents.
Scar a un instinct hors du commun. Avant de recevoir le premier coup, il balance tout son poids d’un côté de sa carapace et provoque le roulement attendu.
— Et ça marche ! Ouah ! Maman, maman ! Tu devrais voir ça. C’est génial. Même la sensation est extraordinaire. On dirait que je suis dans un ballon. Je roule, je roule. Ha ! Ha !
Et Scar roule pendant quelques secondes avant d’atterrir dans un buisson touffu, à l’abri du regard de l’oiseau.
— Sauvé. Je suis sain et sauf. Tête de linotte que je suis, j’ai pensé à la femelle qui couve, mais j’ai oublié le mâle !
Il n’en revient pas de s’en être sorti vivant d’une attaque de Grive ! Très brièvement, il s’examine :
— Point de coquille cassée et mon corps n’est pas égratigné ! Le nœud de maman a même résisté au choc, mes yeux ne se sont pas démêlés.
Au moment où il pousse un soupir de soulagement, il voit une boule piquante foncer droit sur lui.
— Un hérisson ! Sauve qui peut ! Mais que fait-il ici ? Réveillé en cette heure si avancée du jour ? Non d’une limace, je porte la poisse !
Sous le buisson, il ne peut aller de l’avant rapidement. Des branches et des feuilles entravent sa progression. Scar sait qu’il ne gagnerait pas cette course-ci.
Il n’a pas le temps de se remémorer un autre cours du professeur Lapie, le hérisson l’arrête d’un coup de patte griffue.
— Un jeune ! C’est un petit. Faites que sa maman ne lui ait pas encore expliqué comment se nourrir d’un escargot. Pitié, pitié, faites qu’il ne sache pas comment me déloger de ma maison !
Scar ne peut qu’espérer que son vœu va s’exaucer.
Il transpire de peur. Il sent une langue gluante lui caresser la tête. Il met aussi loin qu’il peut ses yeux derrière lui. Soudain, il se rend compte que le hérisson s’est pris d’affection pour lui ! Il ne veut pas le manger, mais lui donne des bisous baveux.
« Je dois déjà être au paradis pour m’imaginer une blague pareille ! » se dit Scar, à moitié mort de rire de penser à une telle relation amicale.
Mais il ne rêve pas. Le pressentiment qu’il a eu tout à l’heure sur le fait que le jeunot ne sache pas comment s’y prendre pour dévorer un escargot n’est pas tout à fait faux. Le petit hérisson, orphelin, ne comprend pas comment il doit faire pour décortiquer une bête comme Scar. Et à dire vrai, il ne peut concevoir de tuer un autre animal… notre boule piquante est végétarienne… pour le plus grand bonheur de notre ami.
« Finalement, j’ai beaucoup de chances. En une seule matinée, j’ai échappé deux fois à une mort certaine. Je dois avoir une bonne fée avec moi, ce n’est pas possible autrement. », pense-t-il tout ému de sa nouvelle connaissance.
Le petit hérisson n’a pas beaucoup de relations. En fait, Scar est son seul et unique ami. Aussi, quand, quelques jours plus tard, Scar est menacé par un insecte mangeur d’escargot, le hérisson lui suggère de grimper sur la tige d’un chardon.
— Mais tu es fou ? Tu veux que je grimpe là-dessus ? As-tu bien regardé cette tige ? Elle est truffée d’épines !
— Justement, mon ami, justement. Tu ne le sais sans doute pas, mais ton corps est aussi souple que de la gelée. Ces épines ne te perceront pas. Tu ne sentiras rien, crois-moi. J’en ai vu d’autres faire ça et ils n’ont même pas eu une seule griffe. Aie confiance en moi, Scar… ou essaie d’échapper à ces pinces puissantes !
Scar voit l’insecte avancer vers lui à une vitesse incroyable. Il n’a aucun autre moyen de l’éviter.
— J’espère que tu as raison. J’espère surtout que lui, il ne me suivra pas.
— Vas-y, dépêche-toi un peu.
— Si seulement tu n’étais pas végétarien, tu aurais pu le manger…
— Mais si je peux le manger lui, je peux te manger toi aussi alors…
— Bon, bon c’est d’accord, je n’ai rien dit, finit-il par lui répondre essoufflé d’avoir grimpé si vite sur le chardon.
Comme l’a bien conseillé son nouvel ami, Scar ne ressent pas la moindre gêne à glisser sur ces épines.
— Merci Heriss, du fond du cœur merci ! Sans toi, je n’aurais sans doute jamais eu l’idée de grimper ici.
Le hérisson sourit. Il s’amuse de la délicate position de l’insecte. Ce dernier essaye de suivre Scar mais les épines piquent son ventre sensible. Têtue, la bête tente à plusieurs reprises de monter sur la tige, mais en vain, elle finit par abandonner au grand soulagement des deux compères.

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