Texte de départ de Josée, proposition 58 de Tisser les mots.
Contrainte page 65 du livre d’Eva Kavian : partir sur du vrai. Après avoir dressé une liste, prendre un personnage, son caractère, ses problèmes de santé, ses sentiments, etc. que l’on connaît + un lieu qu’on ne connaît pas ou très peu (dernière contrainte que je n’ai pas trop abordé : îles Galapagos.)
Mon personnage est professeur de province, il s’appelle Jean-Philippe, il a la 40taine, célibataire, a de l’hypotension et en a marre de sa vie qui est rythmée par les sonneries de cours de l’école où il bosse.
Jean-Philippe ne sait absolument pas comment il est arrivé ici, mais le simple fait de ne plus entendre la sonnerie de l’école lui donne le sourire. Il est content d’être dans ce lieu plutôt fantasmagorique où le silence règne en maître avec les chants des oiseaux. En observant un volatile, perché dans l’arbre à l’écorce granuleuse, cet enseignant de français se remémore le message qu’il a laissé plus tôt dans la salle des profs « Je pars, je vous aime », il se demande, en souriant, si l’un de ses collègues va trouver l’auteur original de ce message, sans doute que oui car il est le seul prof à avoir abandonné sa classe, et surtout, si l’un d’entre eux, ou plutôt si l’une d’entre elles, va savoir déchiffrer son message codé.
Jean-Philippe profite de l’instant présent, tout en pensant beaucoup à elle. Elle, Lucie, la trentaine bien entamée, qui travaille à l’école seulement deux jours semaine. Lucie n’est pas prof, non, elle est secrétaire, et plus précisément secrétaire médicale pour la Promotion de la Santé à l’école. Elle répertorie tous les élèves, contacte les parents par courrier, rappelle les séances de vaccination, est attentive aux déménagements et autres sources de problèmes administratifs. Lucie est arrivée deux ans seulement après Jean-Philippe. Aux yeux de ce dernier, elle est belle, belle, mais belle. Mais c’est juste pour lui, car les autres la trouvent quelconque. Elle s’habille sobrement, ni trop mal ni trop bien. Elle est discrète, un peu timide mais très douée dans son domaine où il faut patience, diplomatie et fermeté.
Il en est là dans ses pensées quand, au loin, il voit sa silhouette. Accroupi, occupé à dessiner n’importe quoi sur le sable, il se relève trop brutalement. De petites étoiles scintillent dans son regard, il chancelle, il titube. Dire que dans sa famille, ses parents, son frère et même son oncle souffrent d’hypertension, et lui, c’est l’inverse, il en a trop peu. Il doit toujours se redresser lentement, se lever de son lit avec douceur, ne pas faire des mouvements trop brusques. Il le sait pourtant depuis le temps que le médecin lui dit ça… Même pas 30 secondes plus tard, son petit malaise disparaît, en même temps que sa vision. Souffrirait-il déjà de démence ? D’hallucination ? Il a tellement souhaité cet instant, loin de son boulot, loin de son train-train quotidien qu’il croit que de simples pensées peuvent devenir réalité. Comme cette île. Elle ressemble beaucoup à l’image qu’il se fait des îles Galapagos. Encore un rêve qu’il ne réalisera pas. Des rêves, toujours des rêves. Si seulement, il avait un peu plus confiance en lui, si seulement il pouvait se donner un peu plus de moyen, s’il le voulait vraiment, il en réaliserait des rêves. Un voyage, ça s’organise, ça se prépare. Une relation d’amour, un peu moins. Un jour, il avait pourtant essayé de provoquer le coup de foudre. Il s’était préparé pour ça : bien habillé, légèrement parfumé, dressé son épi dans les cheveux, il s’était forcé à respecter une règle de jeu qu’il avait établie après sa cinquième rupture sentimentale. Il devait entrer dans un magasin, une pharmacie ou un restaurant et essayer de voir l’amour dans la première femme qui croiserait son chemin. Bien sûr, cette femme devait être non accompagnée ou alors seulement d’un animal de taille pas trop imposante, ne pas promener un bébé en poussette ni tenir la main à un enfant plus grand. Et ça avait marché, plus ou moins. C’était à la bibliothèque. Elle allait bientôt fermer. C’était un vendredi soir. Obnubilé par son jeu, il n’avait pas vu qu’une femme était juste derrière lui et ne lui avait pas tenu la porte. Il s’était fondu en excuses et la femme a sourit en lui disant qu’il n’y avait pas mal. C’était la femme de ménage de la bibliothèque qui allait commencer son service alors que lui il avait fini son travail à l’école depuis trois heures au moins. Leur rencontre avait débouché sur une invitation à manger un bout le soir-même. Tout aurait bien pu se passer sauf que la femme avait des sautes d’humeur imprévisibles et que le simple fait d’avoir fait tomber sa fourchette sur le sol du restaurant avait provoqué chez elle une terrible crise de nerf accompagné d’une flopée de reproches limites insultantes pour un premier rendez-vous. Jean-Philippe avait bien cru qu’elle allait lui crever les yeux avec la fourchette qu’elle avait ramassée et qu’elle brandissait toujours, menaçant.
Lucie, il avait eu le temps de la connaître, de l’apprivoiser sans lui avouer son attirance. Elle n’était pas de cette trempe, mais il n’osait toujours pas lui dire ce qu’il ressentait pour elle, par crainte d’essuyer un nouveau refus.
Il était parti de l’école, de chez lui où il était sûr qu’il ne manquerait à personne, car c’était là la seule solution qui lui paraissait la plus facile. Ce n’était pas fuir, non, il prenait des distances, prendre du recul, il appliquait le lâcher prise qu’il avait lu dans un bouquin acheté la semaine plus tôt à la librairie de son bled.
Quand il était sûr de ne plus avoir de mirage, Jean-Philippe s’assied à même le sol, dans une position de réflexion, tout en observant attentivement ce qui l’entoure pour essayer, quand même, de savoir où il a atterrit. La question du comment viendrait plus tard. Il essayait de mémoriser la faune et la flore qu’il pouvait répertorier afin de pouvoir mieux déterminer le lieu géographique de cet endroit à l’ambiance électrique.
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Et bien tu en trouve des idées qui conduisent toujours à de belles intrigues, merci
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