Nouvelle écrite dans le cadre du concours « Achève-moi! » organisé par le service Culture de la Province de Liège. Nous devions choisir un des débuts de texte proposé et continuer la suite…
* * *
Je me sens seule. Je suis seule.
Depuis que la mode de l’Amour est de cueillir des marguerites et d’arracher, un à un, nos pétales, nous devenons de plus en plus rares.
Hier midi encore, une jeune bipède écervelée a cueilli pas moins de dix-sept marguerites rien que dans le jardin qui m’a vue naître. Dix-sept ! Tout cela pour tomber sur la seule qui avait vingt-quatre pétales blancs, l’unique qui pouvait, enfin, lui dire que son amoureux l’aimait « à la folie » ! Rendez-vous compte, il n’en reste plus que trois : ma voisine d’en face, celle à ma gauche et moi-même. Et vous auriez dû voir avec quelle frénésie elle arrachait nos bras, oui chez nous, entre fleurs, on appelle cela les bras, c’est plus poétique, non ? Et puis, au moins, aucun risque que quelqu’un se trompe sur le sexe de ce mot ! Combien de fois ai-je entendu « une pétale » ? Je n’oserais même pas compter. Je suis sûre qu’avec mes trente bras, je n’ai pas assez pour comptabiliser le nombre d’erreurs sur le genre de ce mot.
Étrangement, depuis hier, je me sens bizarre. Depuis que la foldingue a crié « à la folie, il m’aime à la folie ! », je ne sais pas pourquoi, mais j’ai des envies de vengeances.
Est-ce réellement arrivé ou ai-je imaginé tout cela, mais j’ai cru voir le mot « folie » se matérialiser dans un grain porté par le vent. Un grain de folie. Et bien sûr, comme dans toute belle histoire, vous imaginez la suite… j’ai attrapé ce petit grain de folie. Eh ! Bien oui. C’est ainsi. Sinon, je ne peux expliquer autrement mon envie soudaine d’arracher tous les bras des humains qui croisent mon chemin.
Cette envie s’est transformée en réalité. La jeune écervelée d’hier est revenue. C’est la petite-fille du maître des lieux. Quinze, seize printemps, tout au plus ? Vu comment elle est formée et habillée, je pense même qu’elle se vieillit, tout cela pour paraître plus âgée. Pas de chance pour elle, c’est la première qui a croisé mon chemin. Elle était couchée, ventre dans l’herbe, le visage aux creux de ses mains, et elle me contemplait ! Oui, elle me regardait avec un regard de tueuse.
Je n’ai plus hésité. De mon regard jaune et rond, je l’ai hypnotisée. Puis, je l’ai dépétalisée délicatement. J’ai profité de son état léthargique pour tirer sur un bras d’abord. C’était tout mou. Je pensais que ce serait plus dur, plus résistant. Cela allait même plutôt rapidement jusqu’à ce que j’arrive à l’os. Là, il m’a fallu tirer d’un coup sec et, POP, le bras s’est détaché ! Le sang qui sortait de part et d’autre avait la couleur des tulipes rouges du jardin. J’ai fait la même chose avec l’autre bras.
Elle semblait toujours dormir, alors je n’éprouvais bien sûr aucun remords.
Comme les bipèdes n’ont que deux bras, cela me donna « elle m’aime… beaucoup ! », je ne voulais pas de ça. Certainement pas ! Alors j’ai continué avec les deux jambes, puis la tête. Ah, enfin ! « elle m’aime… pas du tout ».
Étant donné que personne n’oserait, une seule seconde, penser qu’une pauvre petite fleur serait la coupable de cet horrible acte sanglant, on me laissa tranquille.
Pour ne pas faire peser les soupçons sur moi, je ne fis pas trop de vagues les jours suivants. Ni les mois, sait-on jamais.
Jusqu’à l’année suivante. À la même période, la sœur cadette s’installa à une envergure de marguerite de moi.
Même scénario, même calme après la tempête.
Puis l’année d’après encore. La petite dernière n’avait visiblement rien compris, pas plus que ses parents ni même ses grands-parents, malheureux propriétaires d’un jardin hanté, qui porte la poisse, qui attire la mort, le sang, la violence.
La solitude ne me pesait plus. J’avais un but à présent, et les autres fleurs étaient devenues mes meilleures amies. Je leur ôtais une belle épine du pied. Pensez donc, combien de sales gamins arrachent des fleurs du jardin pour l’offrir à leur mère, à leur grand-mère, à leur tante ? Brrr… Beaucoup trop !
Et mes sœurs, les marguerites du jardin, se portaient on ne peut mieux.
Un autre jour, d’une autre année, on me captura. Pire, on m’arracha comme une mauvaise herbe. On m’enferma dans une pièce sans air, sans soleil, sans terre, sans eau. Les humains appellent ça un asile psychiatrique. Ce sont eux les fous, pas moi ! Ils ne savent même pas faire la différence entre une fleur et une humaine ! Et au final, je ne sais pas ce qui les dérange le plus : qu’ils me prennent pour la nounou des gamins que j’ai effeuillés ou que j’ai aidé le jardin à ne plus avoir ces indésirables mômes, ces parasites, qui arrachent toutes les belles fleurs ?
Je ne sais pas quelle raison ils ont choisi. Je ne sais pas pour quel acte je suis emprisonnée ici : trouble de la personnalité ou meurtres barbares sous emprise d’un hallucinogène encore inconnu ? Peut-être les deux ! Qui sait ? Comme je le dis plus haut, je sais, je me répète, ce sont eux les fous, pas moi…
Pourquoi ? Mais pourquoi a-t-il fallu que j’écrive tout cela dans ma feuille intime ? Croyez-vous que si j’avais intitulé mon journal autrement que « achève-moi », ils auraient découvert le pot aux roses ?
* * *
Je trouve toujours ça extraordinaire de lire, d’entendre, ce que mes participants ont écrit, tout cela avec quatre mots, quatre mots identiques pour chacun d’eux.
L’atelier était fini pour aujourd’hui. Les sonneries des portables s’égosillaient toujours et, encore une fois, personne ne songea à les couper ou à entamer une conversation. Un étrange malaise régnait dans la pièce. Et si tout cela était vrai ? Je veux dire si parmi mes participants, il y avait un vrai fou qui s’était amusé à écrire un véritable souvenir à partir de mes quatre malheureux mots !
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Bonjour. Ah non, je ne l’avais pas vu !! Merci beaucoup de me l’avoir signalé. Chouette de le savoir, encore merci ! Bonne journée, amicalement
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Bonjour ! Je ne sais pas si vous avez vu, mais votre texte faisait partie des six présélectionnés pour la suite du texte de Jean-Claude Bologne.
Amicalement
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Merci Valentyne, ce serait chouette de lire ce que tu as écrit… quand tu l’auras fini :-)
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J’ai beaucoup aimé cette Marguerite tueuse, quel grain de folie :-) j’ai ri plusieurs fois …
tu m’as donné envie de ressortir mon histoire de ce concour( que je n’avais pas réussi à boucler dans les temps )
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Très bonne idée !
A bientôt j’espère…
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Bonjour !
Merci beaucoup pour ce retour :-) non, je n’ai pu que te lire, mais je pourrais peut-être bientôt en lire une seconde qui n’a pas de blog et que j’ai invité à mettre son texte sur le mien pour le partage.
Je vais d’ailleurs lancer un « appel »… on verra s’il sera entendu.
A bientôt,
Belle journée… pluvieuse chez nous.
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Ravie de te lire ! Tu as su conserver le style du début de la nouvelle, ce qui était sûrement la plus grande difficulté dans cette aventure. Ton histoire est très imaginative et empreinte d’une certaine poésie, même si cette fleur vengeresse a un côté inquiétant. J’en avais oublié qu’il s’agissait d’une lecture de texte. Désormais, je ne regarderai plus les marguerites de la même manière… :-)
Tu as pu lire d’autres suites aux 6 débuts proposés ? Si seulement nos deux publications pouvaient faire boule de neige…
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