La rupture

Un petit texte sur le thème « la rupture ». 

–          Je constate qu’il y a une rupture, dit le médecin à son patient.

–          Ah bon ? s’étonne Monsieur Robin.

–          Oui, poursuivit le thérapeute. Jusqu’il y a peu, à chacune de nos rencontres, vous me parliez de votre voisin. Pas un jour, me semble-t-il, il ne vous laissait tranquille. Ce comportement aurait pu être décrit comme du harcèlement.

–          Je suis tout à fait d’accord avec vous, docteur.

–          Mais alors, que s’est-il passé, il y a quinze jours, pour que vous n’abordiez plus ce sujet ?

 Monsieur  Robin réfléchit. Il regarde le plafond, à gauche, comme si le coin pouvait subitement lui donner la réponse. Dans sa tête, défile d’étranges images, mais il n’arrive pas à faire le lien entre ce voisin malsain et son calme presque olympien depuis sa disparition.

 –          Si vous parveniez à trouver ce qui vous rend si détendu depuis deux semaines, reprend le médecin, vous parviendrez à vous soigner plus rapidement.

 Monsieur Robin se rend en effet compte, lui aussi, de cette cassure. Avant, il était tendu, nerveux, agressif. Il ne chantait presque plus. Et là, depuis que son voisin n’est plus là, il se sent tout autre, plus serein, plus heureux. Il a même envie de repousser la chansonnette. Cela se peut-il que la nature reprenne le dessus ? Est-ce que son instinct seul a-t-il suffit à calmer sa faim ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de nourriture !

Voilà des mois qu’il écoute son cœur. Des semaines entières, où, pour faire plaisir à sa nouvelle fiancée, il ne touche plus le moindre ver ! Il est sobre depuis si longtemps que son appétit d’oiseau s’est modifié. Son régime a changé, et son caractère aussi par la même occasion.

À y réfléchir encore plus intensément, le patient dit qu’en effet tout a commencé quand Monsieur Farine, grand ver de sa famille, a emménagé à côté de son nid. Le voisin se tortillait tous les jours, sous ses yeux, pour sortir de son trou. Il s’étirait et ondulait d’une façon ! Cela en était dégoûtant ! Provoquant même ! À force, ben oui ! Il l’a fait retrouver son appétit.

 –          Je ne suis pas un rouge-gorge pour rien, dit Robin en baissant les yeux. Tout le monde sait que le plat préféré de mon espèce, c’est le ver. Quel culot, il avait eu de venir s’installer juste sous mon bec. C’était de la provocation, n’est-ce pas docteur. De la légitime défense, non ?

Le médecin, dans son élégant costume blanc et noir, ne répondit pas tout de suite. Dans sa tête à lui dansait une scène délicieusement horrible où il se retrouvait, l’été passé, à dévorer les œufs d’un nid de rouge-gorge…

« Moui, sûrement, il me pardonnerait si je lui disais tout. Après tout, pondre des œufs juste sous mes yeux de pie, ça aussi c’est de la provoc’ »

 


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Auteur : ecrimagine

La lecture, l'écriture, la photographie et l'observation de la nature, sont pour moi de bonnes sources d'apaisement, de relaxation, d'imagination, d'évasion, de partage, de découverte,...

5 réflexions sur « La rupture »

  1. oups, en écrivant si vite, j’ai oublié de mentionné que l’élégant psy en noir et blanc était une pie :-) je n’ai pas cherché spécialement à mettre une morale dans cette histoire mais on pourrait en conclure qu’il ne faut pas modifier le régime alimentaire des animaux sauvages, car la nature revient toujours par dessus.

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  2. drôle d’histoire, de psy cannibale et de tentation rampante. Je me demande qu’elle est la morale de l’histoire ?

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